Economie
Elon Musk. Tesla, un bolide en roue libre ?
Sélection abonnésForte volatilité boursière, concurrence accrue des constructeurs automobiles, récession… Est-ce la fin de l’âge d’or pour Tesla, qui traverse une zone de turbulences ?
Stéphanie Bascou
© Patrick Pleul/ZUMA Press/ZUMA/RE
Elon Musk hué pendant de longues minutes : la scène, inimaginable il y a peu pour celui qui fut désigné en 2021 comme la personnalité de l’année par le magazine Time, a eu lieu mi-décembre 2022, en Californie. On y voit le directeur général de Tesla tétanisé face à une foule en colère. Il faut dire qu’en 2022, son rachat de Twitter et ses décisions controversées ont renversé la ferveur qu’il suscitait jusqu’alors.
De quoi faire plonger l’action de Tesla, dont la cote suit de près celle de son imprévisible dirigeant. Chez cet ovni de l’automobile, point de budget publicité. Elon Musk suffit à faire monter ou descendre le cours de l’entreprise. Lorsque ce dernier est adulé, tant par le Nasdaq que par la foule de fans de tech et de mécanique, la valorisation du fabricant de voitures électriques atteint des sommets. En octobre 2021, Tesla rejoignait le club très fermé des cinq sociétés les plus valorisées au monde en dépassant les 1000 milliards de dollars.
Elon Musk hué pendant de longues minutes : la scène, inimaginable il y a peu pour celui qui fut désigné en 2021 comme la personnalité de l’année par le magazine Time, a eu lieu mi-décembre 2022, en Californie. On y voit le directeur général de Tesla tétanisé face à une foule en colère. Il faut dire qu’en 2022, son rachat de Twitter et ses décisions controversées ont renversé la ferveur qu’il suscitait jusqu’alors.
De quoi faire plonger l’action de Tesla, dont la cote suit de près celle de son imprévisible dirigeant. Chez cet ovni de l’automobile, point de budget publicité. Elon Musk suffit à faire monter ou descendre le cours de l’entreprise. Lorsque ce dernier est adulé, tant par le Nasdaq que par la foule de fans de tech et de mécanique, la valorisation du fabricant de voitures électriques atteint des sommets. En octobre 2021, Tesla rejoignait le club très fermé des cinq sociétés les plus valorisées au monde en dépassant les 1000 milliards de dollars.
Lorsque au contraire, le milliardaire est critiqué ou qu’il suscite l’inquiétude des marchés, notamment après avoir suspendu des comptes Twitter de journalistes de CNN ou vendu des actions de Tesla, l’action du premier constructeur mondial de voitures électriques chute de 60 %… avant de remonter de 44 % au cours du mois de janvier 2023, après la publication des derniers résultats.
Il était une fois une Porsche…
Pourtant, l’histoire de Tesla a commencé bien avant l’homme d’affaires sud-africain. La société est créée en 2003 par deux ingénieurs américains qui veulent concevoir une Porsche avec des batteries d’ordinateurs. À la recherche d’investisseurs à une époque où personne ne parie sur l’électrique, ils convainquent celui qui vient de vendre PayPal de rejoindre l’aventure. Elon Musk investit cinq millions de dollars, il devient chairman de la start-up en avril 2004 avant d’en prendre les rênes, en 2008. Sa stratégie : « Commencer par le marché des voitures haut de gamme avant d’évoluer vers des véhicules plus abordables », écrit-il dans un blog, en 2006. Avec un pied dans la tech et l’autre dans l’automobile, ce plan va être appliqué à la lettre.
Cette même année, le Roadster 1 est lancé, une voiture sportive qui dépasse les 100 000 dollars, suivi en 2012 de la première voiture électrique « familiale », le Model S. Seront ensuite commercialisés le Model X (2015), le Model 3 (2017) et enfin, le Model Y (2019). L’entreprise atteint la rentabilité et rencontre le succès, malgré les innombrables rappels dont ses véhicules font l’objet. Elle passe de 317 000 véhicules vendus en 2017 à 1,3 million en 2022, soit presque autant que Renault, pour un chiffre d’affaires de 81,5 milliards de dollars – soit deux fois celui de Renault. En 2022, le Model Y est la quatrième voiture la plus vendue dans le monde.
Trois fois moins complexe qu’une BMW
Pour atteindre un tel résultat, l’ancienne start-up a totalement redéfini les codes du secteur. « Elon Musk a d’abord pensé son produit comme un logiciel qui va lui permettre de garder le contact avec ses clients, de répondre presque en direct à leurs besoins, et d’améliorer continuellement ses véhicules, à travers des mises à jour », analyse Michaël Valentin, auteur de La Méthode Elon et expert du secteur.
Ensuite, Tesla n’a pas à gérer une transition du thermique vers l’électrique contrairement à ses concurrentes historiques. En ne proposant que quatre modèles et quelques versions, contre des milliers pour les constructeurs traditionnels, elle simplifie la mise en vente, directement faite sur son site web. Et elle optimise ses processus de fabrication. Une Model 3 est trois fois moins complexe à assembler qu’une BMW Série 3.
Tesla va également chercher à être autonome à chaque étape de son processus de fabrication : elle négocie directement avec des raffineurs de minerai, et développe en interne son software – l’Autopilot, son logiciel d’aide à la conduite, dont la montée en puissance est désormais monétisée. Il en est de même de ses recharges de batterie, qui lui permettent de diversifier ses revenus.
Les économies d’échelle
Tout fabricant de voitures électriques doit faire face à un défi de taille : le coût de la batterie, qui oscille entre 15 000 et 30 000 euros – soit près de la moitié du prix du véhicule. Comment baisser les tarifs ? En augmentant ses volumes de production, on va pouvoir répartir les coûts fixes engendrés par les lignes de fabrication, la main-d’œuvre, ou encore les bâtiments sur un plus grand nombre d’unités produites. Cela va mécaniquement faire baisser le coût de la production d’un véhicule à l’unité. On parle alors d’économie d’échelle. C’est la stratégie adoptée par Tesla qui compte, selon les dires d’Elon Musk du 23 septembre 2020, vendre dans les prochaines années une Tesla à 22 000 euros, contre 39 990 euros aujourd’hui pour la moins chère en France. Pour ce faire, Tesla a ouvert en 2022 deux nouvelles usines à Berlin et Austin. Elle ambitionne de vendre 10 millions de véhicules tous les ans à moyen terme, et 20 millions d’ici 10 ans, contre… 1,3 million en 2022.
Un Chinois nommé BYD
Mais pour certains analystes, la société peinerait à se défaire de son ADN de start-up. Plutôt que de se concentrer sur son cœur de métier, Tesla se lance aussi dans la fabrication de robots humanoïdes. Et la société aurait surtout du mal à sortir de la communication inhérente à ce type de société en construction – qui promet monts et merveilles aux investisseurs – au lieu d’adapter le discours à la taille actuelle de l’entreprise et à l’écosystème concurrentiel d’aujourd’hui.
Un géant qui communique comme une start-up
« Tesla est dans son ADN une start-up, avec son mode de communication typique : on s’engage assez fortement sur les objectifs très ambitieux auxquels on ne pourra pas forcément répondre à 100 %, mais si on fait 80 %, ce sera génial », souligne Michaël Valentin. Problème : la frontière entre annonces prometteuses à destination des investisseurs et publicité trompeuse est parfois ténue. Et une vidéo publiée en 2016, dans laquelle on voit une Tesla se conduire toute seule, est au cœur de cette polémique. Car dans les faits, la Tesla filmée aurait terminé dans un grillage, selon un témoignage d’un cadre rapporté par Reuters : l’intention de la vidéo n’était pas de tromper, mais de « montrer ce qu’il était possible d’intégrer au système » dans le futur. Les capacités de la fonction pilote automatique ont-elles été survendues ? Un tribunal de Floride pourrait trancher, après la mise en cause de l’Autopilot lors d’une collision mortelle impliquant une Tesla 3.
Sa promesse d’une conduite totalement autonome, réitérée à plusieurs reprises comme en mai 2022, est aujourd’hui dans le viseur de nombreuses juridictions, après plusieurs accidents mortels. D’autant que même si son Autopilot permet de récolter une mine d’or de données unique dans le secteur automobile, il serait devenu moins performant que ceux de ses concurrents. Le Consumer Reports ne l’a placé, le 25 janvier dernier, qu’à la septième place sur 12, loin derrière celui de Ford, de General Motors et de Mercedes.
La société, longtemps en quasi-monopole et toujours en première position avec 18 % de parts de marché, serait en train de se faire rattraper par la concurrence. Le danger viendrait surtout des constructeurs chinois. BYD, acteur incontournable en Chine qui a vendu près de 911 000 véhicules électriques en 2022, contre 1,3 million pour l’entreprise de Musk, serait sur le point de déferler sur le marché américain et européen. La récession et les taux d’intérêt particulièrement élevés freineraient aussi la demande pour ces véhicules qui restent de 10 à 15 % plus chers que les thermiques. Voilà pourquoi l’entreprise a décidé de réduire ses prix en janvier dernier.
Son objectif est de conquérir des parts de marché, comme Apple l’a fait en baissant le prix de son iPhone, lui permettant de devenir un produit moins haut de gamme, accessible à un plus grand nombre. Quitte à rogner sur sa marge opérationnelle, unique dans le secteur de l’automobile, qui a atteint 16,8 % en 2022. Cela sera-t-il suffisant ?
« Il y a des hauts et des bas en permanence chez Tesla, en particulier à chaque fois que l’entreprise passe un palier », souligne Michaël Valentin. Son pick-up électrique, un modèle incontournable aux États-Unis attendu depuis 2019, et la probable future petite citadine, cruciale pour l’Europe et la Chine, pourraient lui permettre d’atteindre les niveaux de vente abyssaux visés par Elon Musk. Problème, l’imprévisible millionnaire est toujours aux manettes de la société pour qui il reste à la fois son meilleur… et son pire atout.
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