Hélas, les bons sentiments ne font pas toujours les bons raisonnements. En clair : on ne peut pas espérer combler l’écart d’emploi des PSH – 37 % contre 66 % pour la moyenne nationale – par le seul télétravail, pour des raisons liées à la structure de la population active en situation de handicap.
Les PSH sont surreprésentées dans des métiers qui ne s’exercent pas à distance : aide à la personne, distribution, maintenance, agriculture ou logistique. De plus, les PSH au chômage sont en moyenne plus âgées, moins diplômées et au chômage depuis plus longtemps que le reste des demandeurs d’emplois.
Sans oublier que 85 % des handicaps surviennent à l’âge adulte. Cela signifie que, pour diminuer le taux de chomage des PSH (16 % contre 8 % au global), il s’agit surtout de reclasser ou de former et pas seulement de combler une difficulté physique d’accessibilité au lieu de travail.

Eux-mêmes n’en veulent pas
Pour les métiers exerçables à distance, une deuxième limite se présente : les PSH sont loin de plébisciter le télétravail – 28 % déclarent vouloir en faire davantage à l’avenir, contre 50 % pour le reste des salariés. L’année 2020 a laissé un goût particulièrement amer aux PSH, ce que révèle une enquête menée par l’Agefiph et l’IFOP : les travailleurs porteurs d’un handicap sont plus nombreux à avoir ressenti fatigue, stress et surmenage. Pour 42 % d’entre eux (contre 31 % de l’ensemble des salariés), la motivation a chuté entre l’automne 2020 et le printemps 2021.
La source principale de cet écart, c’est l’anxiété résultant de l’isolement, pas les préoccupations économiques, atténuées par les aides publiques. « On s’est aperçu que le télétravail, pour les PSH, était générateur d’inquiétude sur leur place dans l’entreprise », analyse Véronique Bustreel.
« Pas étonnant », répond Katia Dayan, à la tête de l’agence de communication Les Papillons de jour. « Je suis contre le télétravail généralisé. Quand on embauche une PSH, c’est dans une démarche d’inclusion : ne pas l’intégrer physiquement dans un travail d’équipe, c’est totalement contradictoire ! »
Cela dépend de la nature du handicap, si l’on en croit la directrice de l’innovation, de l’évaluation et de la stratégie chez Agefiph : « Malentendants et entendants ont eu le même ressenti du télétravail pendant les confinements, mais les personnes qui présentent des troubles psychiques ou de déficience intellectuelle en ont le plus souffert. »
Leurs difficultés proviennent moins de questions pratiques (aménagement du poste de travail), que d’une charge mentale liée à la compréhension de consignes communiquées par des voix inhabituelles, d’un déficit d’accompagnement des RH et des managers. « Ça ne veut pas dire que le télétravail n’est pas viable pour ces personnes, prévient Véronique Bustreel, mais qu’il doit être mieux pensé. »
Télétravail concerté
Impossible, donc, de rendre le télétravail inclusif sans l’individualiser et donc se débarrasser d’une représentation erronée de ce qui constitue un handicap : « Le sourd, l’aveugle, le trisomique, le fauteuil… Ce sont des stéréotypes », explique Véronique Burstreel. Ces clichés règnent au sein de la population générale, mais aussi chez les dirigeants, les recruteurs… et les PSH elles-mêmes, qui se projettent plus facilement dans une identité de patient ou d’accidenté, par exemple. Katia Dayan s’amuse de ces préjugés.
Dans son agence, au moins 80 % des employés sont porteurs d’un handicap. « Mais quand ils vont chez un client, on voit bien qu’il se demande “où sont les handicapés ?” ». Ici, comme dans le reste de la population, 80 % des handicaps ne se voient pas.
Quant au télétravail, il ne sera inclusif que s’il s’accompagne d’investissements ne se faisant pas nécessairement là où l’on croit. Pendant la pandémie, le télétravail « forcé » a créé un changement culturel, tout en affichant ses faiblesses. Reste à transformer l’essai. « Le Covid-19 a changé notre état d’esprit », confie Yaëlle Leben, directrice des RH chez Salesforce.
Pour cette entreprise de la tech spécialisée dans la relation client, le temps est à la refonte de l’organisation globale du travail : « Créer un télétravail choisi tout en maintenant l’efficacité de la production, se demander quelles tâches doivent être réalisées en équipe, quels déplacements sont nécessaires, éviter l’isolement, s’adapter aux situations individuelles, assurer une progression de carrière équitable malgré des degrés de présence différents… C’est mon défi actuel. Cela concerne l’ensemble des salariés », rappelle la DRH.