Economie
"Entreprendre, c’est résoudre des problèmes toute la journée."
Sélection abonnésSÉRIE - Même lorsque l’activité est lancée, la réussite est loin d’être assurée pour les entrepreneurs. Chaque jour, ils prennent des décisions qui font grandir leur affaire, ou lui permettent de survivre face aux crises. Un stress quotidien qui peut les pousser à bout. [Série | "Entreprendre : âmes sensibles, s’abstenir", saison 1, épisode 4/5]
Juliette Vilrobe, Illustration de Juliette Mariage
© Juliette Mariage
Gérer une entreprise au quotidien, c’est une succession de choix. De la grande stratégie directrice aux petites décisions, rien ne se fait au hasard et tout a des conséquences. Dans beaucoup de cas, le chef d’entreprise ne décide pas seul des grandes orientations stratégiques, les actionnaires ont leur mot à dire.
Chez la start-up de brocante en ligne, Selency, les actionnaires, habitués aux business model des marketplaces, ont aidé la fondatrice dans ses choix.
"Depuis six ans, on a privilégié la croissance à la rentabilité. C’est une stratégie qui a été collégialement acceptée par nos investisseurs, certains nous ont même poussés à réinvestir encore et encore", explique la fondatrice Charlotte Cadé.
Au fil des ans, Selency a ainsi investi dans le marketing, son déploiement à l’international, la structuration de son offre et les recrutements sans se soucier de la rentabilité à court terme de l'entreprise.
"Évidemment on aspire à être rentable, on veut générer de la richesse au bout d’un moment", rappelle Charlotte Cadé, qui prévoit que son entreprise atteigne cet objectif d’ici deux ans.
Gérer une entreprise au quotidien, c’est une succession de choix. De la grande stratégie directrice aux petites décisions, rien ne se fait au hasard et tout a des conséquences. Dans beaucoup de cas, le chef d’entreprise ne décide pas seul des grandes orientations stratégiques, les actionnaires ont leur mot à dire.
Chez la start-up de brocante en ligne, Selency, les actionnaires, habitués aux business model des marketplaces, ont aidé la fondatrice dans ses choix.
"Depuis six ans, on a privilégié la croissance à la rentabilité. C’est une stratégie qui a été collégialement acceptée par nos investisseurs, certains nous ont même poussés à réinvestir encore et encore", explique la fondatrice Charlotte Cadé.
Au fil des ans, Selency a ainsi investi dans le marketing, son déploiement à l’international, la structuration de son offre et les recrutements sans se soucier de la rentabilité à court terme de l'entreprise.
"Évidemment on aspire à être rentable, on veut générer de la richesse au bout d’un moment", rappelle Charlotte Cadé, qui prévoit que son entreprise atteigne cet objectif d’ici deux ans.
Éco-mots
Actionnaire
Personne physique ou morale qui détient des parts sociales (actions) d’une entreprise. Une action donne des droits à son détenteur (un droit d’associé, un droit pécuniaire, un droit à l’information et un droit préférentiel). L’entreprise est donc tenue d’informer ses actionnaires sur les résultats de la société. Les actionnaires ont le droit de participer aux décisions collectives, qu’elles concernent l’organisation de l’entreprise ou la stratégie de développement.
Trois ans après la création de Sequoia pressing, Nicolas de Bronac commence à naviguer. Sous l’impulsion des actionnaires, il ouvre en 2011 une usine pour traiter les uniformes. "Mais en fait, on se lance dans un autre métier", analyse le patron de PME aujourd’hui. Il repart de zéro pour développer cette activité et négocie avec des entreprises. Le projet est "une erreur" pour Nicolas de Bronac : "on aurait dû attendre d’être plus solide sur les pressings avant de se lancer dans autre chose".
L’usine est fermée quatre ans plus tard et a ralenti le développement des pressings franchisés. L’entreprise s’en remet néanmoins et croît doucement. En novembre 2019, Nicolas de Bronac se dit que "tous les voyants sont au vert".
"L’euphorie de la réussite a duré quatre mois, tout va bien et du jour au lendemain tout s’écroule".Nicolas de Bronac
Fondateur de Sequoia pressing
"On est rentable, on finit notre première année vraiment dans le vert, on a huit ouvertures prévues en 2020, on vient de faire une augmentation de capital, on a un centre de formation agréé et un partenariat avec Pôle Emploi pour former nos futurs collaborateurs".
Année 2020, tout le monde connaît la suite. La crise économique liée à la pandémie de Covid-19 met un frein à ses activités. "L’euphorie de la réussite a duré quatre mois", raconte le fondateur de Sequoia pressing. "Tout va bien et du jour au lendemain tout s’écroule".
Les pressings faisaient partie des activités autorisées pendant le premier confinement, donc l'entreprise ne reçoit "aucune aide à part le chômage partiel mais notre chiffre d’affaires a chuté de 30 %".
"Il a fallu se réinventer, se réorganiser, mais on a tenu le choc grâce à la trésorerie qu’on détenait." Au quotidien, pour Nicolas de Bronac, "l’entreprise est une succession de petits et gros problèmes qui s’enchaînent et quelques moments de joie. ll faut avoir le cœur bien accroché et être solide psychologiquement mais c’est passionnant ! "
L'entrepreneuriat a un côté épanouissant qui a permis à ce patron d'en "apprendre beaucoup sur soi-même, sur les autres, sur la vie". Il essaie toujours d'avoir une longueur d'avance et de s'améliorer, "il faut toujours se remettre en question, ne jamais se reposer sur ses acquis".
Hausse des risques de burn-out avec le Covid-19
À Montpellier, un observatoire de la santé physique et morale des travailleurs non salariés a été créé pour suivre l’état de santé des dirigeants de PME, commerçants, indépendants, artisans. D’après l'observatoire Amarok, un tiers des patrons et indépendants interrogés en avril 2020 présente un risque de burn-out. Contre seulement 17,5 % en 2019. L’étude ajoute qu’avec la crise du Covid-19, 9 % des 1925 participants de l’étude auraient besoin "d’une aide ou une intervention extérieure".
Si on rapporte ce pourcentage à la population française, l'association, qui étudie en particulier les liens entre la santé de l’entreprise et celle de son dirigeant, estime que 300 000 entrepreneurs étaient en risque sévère d’épuisement professionnel lors du premier confinement. "Rester à la maison et voir son entreprise brûler, atteint fortement la santé mentale et la qualité du sommeil" des patrons et indépendants.
Pour l’artisan boucher Olivier Davenier, ce n'est pas la crise du Covid-19 qui a menacé son activité. La vraie crise, pour lui, est survenue l’année précédente, avec les deux canicules de 2019. "C’était ma première année d’exercice, et pendant la canicule les gens ne mangent pas, donc on faisait très peu de recettes et les banques ne me lâchaient pas". Avec un emprunt, un salarié et un loyer à payer, le néoboucher avait de quoi s’inquiéter.
Pour rattraper 2019, l’année 2020 a été "très bonne", même si Olivier Davenier concède ne pas arriver à vivre correctement de son activité. "Je sens que ça vient donc je ne suis pas inquiet, et puis j’adore ce que je fais, je suis tout le temps en contact avec des gens, des clients, des éleveurs".
Très heureux de son changement de vie, l’ancien architecte se concentre sur les partenariats à développer avec les agriculteurs pour avoir sa propre viande, issue de ses propres troupeaux. Plusieurs fois par mois, il s’absente pour aller rencontrer des éleveurs et choisir les bêtes à abattre.
"Comme un gosse, je me suis fait un cadeau, un 4x4. Même lorsque je me lève à 6 heures, je suis content de partir visiter des fermes dans mon pick-up”, raconte-t-il, guilleret.
Patrons multitâches
Olivier Davenier relativise sa charge de travail, mais pour Nicolas de Bronac, au quotidien "c’est du 8h-20h du lundi au samedi midi". "Ce qui est très difficile en tant que chef d’entreprise d’une PME, c’est de devoir tout faire", explique le chef d’entreprise.
Impossible d’avoir une équipe spécialisée pour chaque domaine, donc le patron "s’occupe de tout, vérifie tout, s’assure que ça se passe bien partout", du financement et à la comptabilité, au management et à la communication.
"Il y a des moments où on fatigue, où j’ai eu envie de tout envoyer valser."Charlotte Cadé
Cofondatrice de Selency
Même constat pour Charlotte Cadé, qui a eu des difficultés avec les ressources humaines. "Maxime (son conjoint et associé) et moi sommes assez jeunes, on a peu de connaissances dans le domaine des RH, qui est très complexe. Quand on fait une erreur de recrutement, ça coûte beaucoup d’argent et d’énergie."
"Le métier d’entrepreneur c’est résoudre des problèmes toute la journée, jour après jour, témoigne la startuppeuse. J’en ai pris conscience sur le tard…"
Dans son quotidien il y a "autant de sources de motivation que de sources d’épuisement". "Je n’ai jamais douté car Selency a toujours eu la confiance du marché, mais il y a des moments où on fatigue, où j’ai eu envie de tout envoyer valser, de dire ciao je me casse ! Et puis la seconde d’après il suffit de lire un commentaire positif d’utilisateur ou de vendeur et ça repart".
Elle ajoute que "l'entrepreneuriat c'est les montagnes russes au quotidien !" Entre deux bugs à gérer il y a quand même des moments de fête, la réussite d'une levée de fonds par exemple, et de joie dans cette "aventure humaine". "Les meilleurs moments sont ceux avec mon équipe, les voir investis et motivés par le projet me rend vraiment heureuse", témoigne Charlotte Cadé.
Des "amplitudes émotionnelles" très large, mais qui correspondent bien à son mode de vie : "je me sens très à l'aise dans cet exercice et je ne me vois pas redevenir salariée".
"Il y a eu des périodes où j’ai senti que la pression était trop forte."Taïg Khris
Fondateur de Onoff
Une amplitude émotionnelle que Taïg Khris a connue. Après la crise du manque de financement, qui a failli mettre en péril l’entreprise, les 10 millions d’euros investis par des fonds d’investissement lui ont permis de "souffler et d’éviter de tout perdre".
Lire notre épisode précédent : "Ça a été infernal, je devais lever des fonds tout le temps pour éviter la faillite."
L’entreprise recommence à grandir, l’application Onoff peut enfin être lancée et proposer de détenir plusieurs numéros de téléphone sur un seul smartphone et sans carte SIM.
Deux ans plus tard, Onoff a réalisé un chiffre d’affaires de dix millions d’euros en 2020, a signé un contrat avec l’opérateur Bouygues, et la société est présentée comme "un fer de lance de l’innovation par le régulateur des télécoms".
Pour en arriver là, Taïg Khris a sacrifié sa vie personnelle et sa santé. "Il y a eu des périodes où j’ai senti que la pression était trop forte, j’avais trop de stress, trop de choses reposaient sur mes épaules : la boîte, quarante salariés, ma famille…" Il a connu "deux ou trois moments de burn-out".
"On ne parle pas assez de la santé des dirigeants d’entreprises", estime Sonia Boussaguet. Pour la professeure de l’école de commerce Neoma, "l’entrepreneuriat c’est un couple individu et projet. Pour monter le projet et le développer, vous êtes souvent entourés mais l’individu est terriblement seul".
Les chefs d’entreprise nient souvent leurs problèmes, ne prennent pas le temps de parler à un médecin et font tout pour montrer une image rassurante à leurs équipes. Malgré la pression subie quotidiennement dans la gestion de leur entreprise, qui s'accumule quand les affaires vont mal, jusqu'à l'angoisse du dépôt de bilan.
Heureusement, les efforts finissent parfois par payer et le petit projet devient une vraie entreprise, une société rentable, voire, qui sait, un leader du marché.
Suivez leurs aventures jusqu’à la fin de la série
Le patron de PME. Nicolas de Bronac, fondateur de la franchise Sequoia Pressing, 37 ans. Il a toujours voulu créer une entreprise et a été attiré par la franchise après son diplôme obtenu dans une école de commerce d’Anger.
Sequoia pressing fondé en 2008, 62 boutiques, 200 salariés.
La startuppeuse. Charlotte Cadé, cofondatrice de Selency (ex-Brocante Lab), 33 ans. Plutôt orientée vers une carrière de marketing, elle a eu l’idée de créer une plateforme de brocante en ligne et s’est lancée dans l’entrepreneuriat avec son conjoint Maxime Brousse comme associé.
Brocante Lab fondé en 2014, 50 salariés.
L’artisan. Olivier Davenier, boucher à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, 52 ans. Ancien architecte, il n’était plus heureux dans son métier et a décidé de se reconvertir en boucher.
Boutique Archi-boucher ouverte en 2018, un salarié et un apprenti.
Le serial entrepreneur. Taïg Khris, fondateur de la startup Onoff, de la gamme de papeterie TK Concept, d’un magasin de roller et associé d’une boisson énergisée, 45 ans. Ancien champion du monde de roller, il a créé plusieurs petites entreprises avant de se consacrer à 100 % à Onoff après une énième blessure.
Onoff fondé en 2014, 60 salariés.
À suivre dans Entreprendre : âmes sensibles, s’abstenir
Episode 5 : Vivre ou mourir, croître ou dépérir.
Sur le long terme, l’entreprise est-elle viable ? Va-t-elle tenir tous les chocs et poursuivre sa croissance ? Ou bien faut-il déposer le bilan, liquider la société, licencier le personnel ? Et au revoir, fin de l’histoire ?
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