Economie
"Entreprendre, c’est un marathon. Il ne faut pas s’essouffler trop vite"
SÉRIE - Dans une entreprise, entre l’idée créatrice et la réalisation de profits, il y a un gouffre de plusieurs années parfois. Les débuts de la vie d’un entrepreneur sont autant galvanisants et épanouissants que stressants et éreintants. Et ça se passe rarement comme prévu. [Série | "Entreprendre : âmes sensibles, s’abstenir", saison 1, épisode 2/5]
Juliette Vilrobe, Illustration de Juliette Mariage
© Juliette Mariage
Avoir une idée, check. Faire une étude de marché et un business plan, check. Se former, check. Quitter son ancien job, check. Et ensuite ? "C’est là que les ennuis commencent."
Nicolas de Bronac raconte ses premiers pas mi-agacé, mi-grisé. Le jeune patron de Sequoia Pressing est allé interroger les entreprises de l’écosystème avant de s’installer.
Nicolas de Bronac, patron de Sequoia Pressing
"On m’a mis des bâtons dans les roues, c’était abominable. J’ai eu du mal à trouver un seul fournisseur qui acceptait de me vendre une machine à laver", se souvient-il, affirmant que les pressings faisaient pression sur les fournisseurs.
"Tout l’écosystème me connaissait, avant même que j’ouvre une boutique, c’était hallucinant. Mais leur réticence m’a énormément motivé et m’a conforté dans mon idée !" Ne pas avoir le soutien de ses pairs l’a quand même conduit à faire des erreurs.
Son premier pressing, censé être la concrétisation de son projet, "n’a pas fait un carton", selon Nicolas. "C’était du bafouillage, je n’ai pas été assez bien formé au métier du pressing, l’agencement n’était pas assez opérationnel, les produits détachants n’étaient pas forcément les bons…" Pour lui les premiers pas ont été "forcément compliqués" car il n’était "pas du métier".
"En l’espace de trois ans, on n’avait ouvert que quatre boutiques alors qu’on en prévoyait 15-20 dans le business plan", relate-t-il. Le manque d'expérience dans le métier est tel qu'il est contraint de ralentir son développement. "Heureusement qu’on n’a pas ouvert dix boutiques d’un coup en deux ans, sinon on aurait été à l’abattoir."
Sans une meilleure maîtrise des outils et un concept de boutique affiné en fonction des retours d'expérience, les autres pressings n'auraient pas pu marcher. Il prend donc le temps de s’améliorer, avant d'en ouvrir d'autres, plus expérimenté et mieux armé.
Mon premier pressing n’a pas fait un carton. C’était du bafouillage, je n’étais pas assez bien formé.Nicolas de Bronac,
Patron de Sequoia Pressing
Charlotte Cadé était consciente de ce besoin d’être entourée. La fondatrice de Selency (ex-Brocante Lab) s’est appuyée sur des réseaux d’entrepreneurs. Notamment le Réseau Entreprendre, où son conjoint Maxime Brousse a travaillé pendant presque trois ans, qui accompagne les start-up au démarrage, sur le plan financier mais aussi sur le plan humain.
La professeure d’entrepreneuriat Sonia Boussaguet confirme l’importance du réseau. “Aller demander des conseils, voir des experts, ça peut largement faire la différence”, répète-t-elle à ses étudiants.
Éco-mots
Réseau d’entrepreneurs
Association qui regroupe différents acteurs de l’entrepreneuriat (chefs d’entreprise, investisseurs, consultants) et favorise les contacts entre ces acteurs afin d’aider les membres du réseau dans leur entreprise. Certains réseaux sont spécialisés dans une thématique (start-up, entrepreneuses, intelligence artificielle, etc.), d’autres sont généralistes.
Plus de 70, 80 heures par semaine
"Au début la start-up c’est beaucoup de travail, c’est 12 heures par jour et tous les jours." Un rythme nécessaire mais pas tenable plus de deux ans selon elle.
"L’entreprise c’est un marathon, il ne faut pas s’essouffler trop vite". Son conjoint, Maxime, en était bien conscient et a su la conseiller.
Ils avaient d’abord écarté l’idée de s’associer, sur les recommandations de leur entourage qui leur déconseillait de travailler en couple. "On est revenu sur cette idée parce que j’avais besoin d’un associé, Maxime et moi sommes très complémentaires et le projet l’intéressait."
Ils se sont tout de même imposé une période d’essai de six mois, à travailler ensemble quotidiennement, avant de s’associer officiellement. "On a conscience que ça peut être une source de problèmes, il faut créer un cadre, définir les missions de chacun", explique-t-elle.
Attitude rationnelle puisque selon Sonia Boussaguet, l’une des principales causes d’échec d’une entreprise est le conflit entre associés. Chez Selency, "nous avons appliqué les règles fixées entre nous avec encore plus de rigueur", estime Charlotte Cadé.
Illustration Juliette Mariage
"L’idée met du temps à se concrétiser"
Bien s’entourer peut aussi s’avérer primordial lorsqu’on arrive dans un domaine sans compétence. Après avoir eu l’idée de créer des numéros de téléphone dématérialisés, Taïg Khris "commence à embaucher", et "commence à être patron d’un truc inconnu".
"Donc je posais des questions bêtes toute la journée à mes ingénieurs", raconte le serial entrepreneur. Au fur et à mesure, les questions deviennent de plus en plus précises,
Taïg devient expert et acquiert les arguments pour défendre son projet auprès du régulateur des télécommunications. Mais l’idée a mis du temps à se concrétiser.
"En sport la victoire est instantanée alors que dans une entreprise, c’est une succession de mini-victoires". Le premier test d’un cloud number, par exemple, "c’était super excitant de voir que ça marche mais en même temps ça bug et il va falloir des mois supplémentaires pour développer l’idée", se remémore-t-il.
Créer son entreprise, c’est un marathon : il ne faut pas s’essouffler trop viteCharlotte Cadé
Cofondatrice de Selency
Pour Charlotte Cadé, sa start-up est devenue réelle le jour du lancement officiel devant les partenaires, la presse, etc. "C’était important d’avoir une date de rendu, d’officialiser Brocante Lab".
Et la première vente de Brocante Lab, Charlotte Cadé est allée la livrer en personne, pour marquer le coup et présenter le projet.
Elle garde un "affect particulier" avec sa première salariée, une commerciale qui a permis de proposer plus de produits et de booster la plateforme.
Charlotte Cadé, patronne de Selency (ex-Brocante Lab)
Les premiers pas peuvent aussi se faire dans une entreprise déjà existante. "Et là toute la difficulté pour un nouveau patron est de devenir crédible et légitime aux yeux de l’équipe en place", explique Sonia Boussaguet.
Il faut toujours prévoir dans le business plan que ça se passe moins bien que prévu.Nicolas de Bronac,
Patron de Sequoia Pressing
La professeure de l’école de commerce Neoma tient à rappeler que "l’entrepreneuriat c’est aussi la reprise d’entreprise !" Certes, c’est un marché très confidentiel où les reprises s’effectuent en interne ou par bouche-à-oreille, mais ça peut être "une belle opportunité et tout aussi valorisant que de créer son entreprise". À condition d’être "humble et respectueux du travail précédemment accompli", précise Sonia Boussaguet.
Dernier conseil de Nicolas de Bronac : "Toujours prévoir dans le business plan que ça se passe moins bien que prévu, il vaut mieux multiplier les charges estimées par deux et abaisser les revenus escomptés". Et avant que les deux s’équilibrent, c’est l’angoisse du financement, le challenge des levées de fonds, et la peur de la faillite.
Suivez leurs aventures jusqu'à la fin de la série
Le patron de PME. Nicolas de Bronac, fondateur de la franchise Sequoia Pressing, 37 ans. Il a toujours voulu créer une entreprise et a été attiré par la franchise après son diplôme obtenu dans une école de commerce d’Anger. Sequoia pressing fondé en 2008, 62 boutiques, 200 salariés.
La startupeuse. Charlotte Cadé, cofondatrice de Selency (ex-Brocante Lab), 33 ans. Plutôt orientée vers une carrière de marketing, elle a eu l’idée de créer une plateforme de brocante en ligne et s’est lancée dans l’entrepreneuriat avec son conjoint Maxime Brousse comme associé. Brocante Lab fondé en 2014, 50 salariés.
L’artisan. Olivier Davenier, boucher à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, 52 ans. Ancien architecte, il n’était plus heureux dans son métier et a décidé de se reconvertir en boucher. Boutique Archi-boucher ouverte en 2018, un salarié et un apprenti.
Le serial entrepreneur. Taïg Khris, fondateur de la startup Onoff, de la gamme de papeterie TK Concept, d’un magasin de roller et associé d’une boisson énergisée, 45 ans. Ancien champion du monde de roller, il a créé plusieurs petites entreprises avant de se consacrer à 100 % à Onoff après une énième blessure. Onoff fondé en 2014, 60 salariés.
À suivre dans Entreprendre : âmes sensibles, s’abstenir
Épisode 3 : "Ça a été infernal, je devais lever des fonds tout le temps pour éviter la faillite."
L’argent. Le nerf de la guerre. Celui qu’il faut trouver en attendant d’en gagner grâce à son entreprise. Celui qui permet de se lancer, de monter son projet, de se développer, ou tout simplement de vivre pendant des années en attendant d’être rentable.
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