Economie

Et Netflix chutait en Bourse... comment survivre dans la guerre du streaming ?

Après la chute boursière et les mesures annoncées, Netflix, l’ovni mono-produit du streaming, a le choix : se diversifier pour défendre sa place sur un marché très concurrentiel, ou être racheté. 

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© Pexels

Dégringolade, fin de règne, catastrophe, et même « bain de sang digne de Kill Bill »… En avril, les médias faisaient marcher à plein régime le champ lexical de la chute des géants après la publication des résultats du premier trimestre 2022 de Netflix. Pour la première fois de son histoire, le leader mondial du streaming annonçait le 19 avril dernier avoir perdu des abonnés. En quelques heures, les actions plongeaient de 35 %, et la capitalisation boursière passait sous la barre des 100 milliards de dollars.

La « chute » s’explique d’abord par des raisons macroéconomiques, expose Julien Pillot, enseignant-chercheur en économie à l’Inseec. Pendant une dizaine d’années, on a constaté « une hypertrophie de la sphère financière », entre « la crise des subprimes, la réduction des taux d’intérêt directeurs qui favorisait l’investissement au détriment de l’épargne, les mesures de soutien pendant le Covid qui se sont retrouvées en partie dans la sphère financière, et qui ont gonflé de manière artificielle les investissements sur certaines valeurs, dont la tech ». Tout ceci a permis aux entreprises de la tech, dont Netflix, d’atteindre des sommets de capitalisation boursière.

Or depuis quelques mois, « on commence à sonner la fin de la récréation », cingle l’économiste. « Le "quoiqu’il en coûte" se termine et les taux d’intérêt sont en train de remonter, avec un contexte international qui se tend ». Résultat : « Les investisseurs font collectivement le choix de vendre des actions, notamment des actions Netflix, et d’un coup d’un seul, on a des valeurs boursières qui après avoir tutoyé les sommets, commencent à rentrer dans le rang. »

Ajoutez à cela une particularité pour les actions Netflix : elles sont extrêmement agitées. « Il ne faut pas être cardiaque si on est investisseur de cette plateforme », relève Julien Pillot. Vingt ans après son entrée sur le marché boursier, l’entreprise a connu près de huit crises. La raison : un rapport passionnel avec la Bourse : « À Wall Street, 50 % des financiers détestent Netflix, 50 % l’adorent. Alors quand les chiffres sont meilleurs que prévu, l’action augmente de manière déraisonnable. Si les résultats ne sont pas bons, c'est l'effondrement », expose l’économiste de l’audiovisuel Alain Le Diberder.

« Netflix est la seule rentable »

En l’occurrence, le 1er trimestre 2022 n’a pas été bon. Netflix annonçait avoir perdu 200 000 abonnés au total : la guerre en Ukraine lui aurait fait perdre brutalement 700 000 abonnés, à cause de la fermeture du marché russe, indique la plateforme dans sa longue lettre aux actionnaires du 18 avril 2022, un chiffre à soustraire aux 500 000 nouveaux abonnés acquis sur la période.

La plateforme prévoit 2 millions de départs supplémentaires au deuxième trimestre. Le marché serait devenu extrêmement concurrentiel, avec « des clients difficiles à fidéliser parce qu’ils peuvent se désabonner facilement, et qu'ils n’ont pas les poches infiniment extensibles : à un moment donné, des arbitrages de consommation sont faits entre les plateformes de streaming, et le reste », analyse l’économiste Julien Pillot.

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Pourtant, Netflix ne va pas si mal. La société a affiché un bénéfice net de 1,6 milliard de dollars au premier trimestre 2022, avec une marge opérationnelle (le rapport entre le revenu opérationnel et le chiffre d’affaires) de 25 %. « C’est colossal, 25 %. La marge d’Amazon, pour la partie commerce électronique, c’est 1 % », rappelle l’expert Alain Le Diberder. Son chiffre d’affaires a augmenté d’environ 10 % par rapport à avril 2021 pour atteindre 7,87 milliards de dollars. Ses 221,6 millions d’abonnés dans le monde lui permettent d’être toujours en tête du peloton, et de loin. Sa concurrente la plus proche, Disney, ne compte « que » 170 millions d’abonnés.

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Mais surtout, parmi toutes les géantes de streaming telles Disney, Amazon, Apple et WarnerMedia, « Netflix est la seule à publier ses comptes, et la seule à être rentable », avance le spécialiste des médias et du cinéma. « Pour Amazon ou Apple : l’activité SVOD est totalement opaque, car elle est intégrée dans leurs comptes. Pour Disney, ils ont expliqué vouloir être rentables en 2025, voire 2027, ce qui signifie qu’ils ne le sont pas », constate Alain Le Diberder.

Une offre avec de la publicité ? 

Pour autant, il fallait rassurer les investisseurs. C’est pourquoi Netflix a longuement développé, lors de la publication de ses résultats, un plan pour améliorer ses résultats. Le fondateur de Netflix Reed Hastings a d’abord expliqué que le groupe envisageait de mettre en place une offre d’abonnement avec publicité. « Pour que Hastings en vienne à envisager cette éventualité, c’est qu’il y a panique à bord », s’étonne Julien Pillot. Le fondateur a toujours été farouchement opposé à de la publicité avant, pendant ou après le film. Pour autant, ce modèle est actuellement dans l’air du temps. Il serait plus rentable que celui sans publicité, soutenaient les dirigeants des plateformes de streaming américaines Hulu et de HBO Max.

Pour Alain Le Diberder, « Reed Hastings sait parfaitement que le modèle à deux étages - le premier, un peu cher et sans publicité, le second, moins cher mais avec publicité, plaît beaucoup aux investisseurs ». Mais il n’y a « aucune stratégie sérieuse derrière », estime l’expert. L'action a continué à baisser. 

Le partage de mots de passe toléré parce que « le online, c’est trop radin »

Deuxième proposition mise en avant, et évoquée depuis 2018 : l’entreprise réfléchit à la manière de monétiser le partage des mots de passe. Dans sa lettre aux actionnaires, Netflix estime que 100 millions de foyers utiliseraient ses services sans payer. La plateforme de streaming perdrait jusqu’à 6,25 milliards de dollars de revenus annuels, selon un récent rapport du Daily Mail, à cause de marchés illégaux de partage de mots de passe où des abonnements sont illégalement partagés pour un dollar.

On l’oublie souvent, mais « jusqu’en 2010, Netflix était une société de location de DVD que les gens pouvaient se prêter. Et quand ils ont inventé le modèle de streaming dématérialisé, ils se sont dit : le online, c’est radin, on ne peut pas le prêter », expose Alain Le Diberder. Du coup, la société n’a jamais combattu vigoureusement le partage de mots de passe, voire laissé volontairement un flou subsister les premières années.

Si elles sont réellement appliquées, ces deux mesures relatives à la publicité et aux mots de passe n’auront toutefois que peu d’effet. Et si jamais elles en ont, cela ne sera pas avant 2024, au mieux, évaluent les analystes de Bank of America, cités par le magazine américain Fortune.

Pour l’instant, Netflix n’a pas d’autres leviers à disposition. « Le probléme structurel de Netflix, c’est qu’elle est ultra-spécialisée. Elle ne s’est jamais diversifiée, contrairement à Amazon, qui peut se permettre de perdre de l’argent sur le streaming, parce qu’il en gagne beaucoup sur l’e-commerce, la logistique, le cloud », soutient Julien Pillot. Microsoft vend des logiciels et des services de cloud. Disney a des parcs d’attractions et vend des croisières. Apple a sa market place et ses hard wares, Amazon son site e-commerce.

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Netflix, d’abord diffuseur, puis producteur de contenus, n’a fait qu’une timide incursion dans les jeux mobiles, avec la création d’une série animée basée sur le jeu de cartes Exploding Kittens ces derniers mois. Elle ne se serait pas étendue à d’autres secteurs parce qu’elle n’en aurait tout simplement pas besoin, soutient à l’inverse Alain Le Diberder, pour qui le modèle économique mono-produit de Netflix marche.

Il existe néanmoins un risque à cette situation : une OPA, avertit l’économiste. Car si l’action baisse encore, elle pourrait être rachetée par ses concurrentes, ce qui poserait des problèmes concurrentiels. Elle pourrait aussi tomber dans les mains d’un milliardaire, comme Twitter avec Elon Musk.

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« Qu’est-ce qui empêcherait aujourd’hui Microsoft ou Facebook de racheter Netflix ? Rien, à mon avis », renchérit Julien Pillot. « Est-ce que Netflix peut durablement rester indépendante ? Pour moi, non. Lorsque vous êtes sur un business qui demande énormément d’argent pour fonctionner, et ultra-concurrentiel comme le streaming, à un moment donné, il n’y a que la concentration qui fonctionne », raisonne-t-il. Netflix, future branche d’un bouquet de services à la Amazon Prime ?

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