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Automne 2017, au Centre de formation d’apprentis (CFA) de Joué-Lès-Tours (Touraine). Lazar Javorac, un col blanc même pas trentenaire, change de vie : « J’avais 27 ans quand j’ai entamé ma reconversion. À l’époque, je travaillais dans le marketing. J’en étais à ma cinquième boîte en cinq ans et je commençais à me demander à quoi je servais. Mes études qualitatives sur les consommateurs étaient ignorées, mes propositions étaient boudées. Ce qui comptait, c’était les chiffres, les résultats à très court terme. »
Et puis, au-dehors, il y avait ces métiers de la bouche qui l’attirent depuis toujours. Peut-être pour leur caractère manuel ou parce qu’il aime bien cuisiner, il ne sait pas exactement. Quoi qu’il en soit, après avoir hésité un temps entre boulanger et boucher, Lazar opte pour le second.
« Ce sont les articles dans la presse sur la pénurie de bouchers, leurs bons salaires et les belles carrières qui m’ont décidé », explique-t-il. La profession œuvre depuis 20 ans pour rendre le métier attractif. Les bouchers ouvrent leurs portes aux journalistes, lancent des campagnes de communication et de recrutement.
À l’été 2019, pour la première fois, des apprentis bouchers ont défendu les couleurs de la France aux Olympiades des métiers. Et d’ici la fin 2022, les « chirurgiens de la viande », comme ils aiment s’appeler, sauront si le ministère de la Culture appuie leur candidature pour faire reconnaître leur « noble artisanat » au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.
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L’intense lobbying a porté ses fruits. Aujourd’hui, « nous formons chaque année 10 000 jeunes apprentis âgés de 15 à 18 ans, contre 6 000 il y a 10 ans. Et environ 2 000 personnes, souvent des trentenaires, se forment chaque année au métier, le double d’il y a cinq ans », ajoute Jean-François Guihard, président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT) et patron de la Maison Guihard (neuf salariés dont cinq bouchers) à Malestroit, dans le Morbihan.
L’art de la découpe à la française
Lazar Javorac se souvient de ses débuts professionnels : « Armé d’un master (bac +5) en stratégie du marketing, j’ai pourtant eu du mal à trouver un premier job, j’ai enchaîné les CDD. Alors boucher, oui, pourquoi pas ? Avec un brevet professionnel (niveau bac) ou une licence (bac +3), on trouve facilement une place de second chez un boucher ou de chef du rayon boucherie dans un hypermarché. Avec une bonne chance d’être promu directeur des rayons frais et enfin, directeur de tout le magasin. C’était très tentant pour moi. »
Il aime particulièrement la relation directe avec les clients qu’offre ce métier de commerçant. Cela lui manque dans sa vie de marketeur.
En novembre 2017, il s’inscrit en CAP et se prépare au choc culturel. Et pourtant… « Le responsable de formation a cassé l’image que j’avais du boucher bourru et frustre. Il nous a appris à découper une carcasse, à détacher chaque muscle. C’est précis, fin. Seuls les Français le font comme ça. »
Sur une demi-bête, les bouchers français détaillent en effet jusqu’à 40 morceaux, quand dans les autres pays, on en détaille cinq ou six. Lazar qui travaille aujourd’hui dans la boucherie de Sylvain Chable, à Tours, se donne 10 ans pour manier à la perfection l’art de la découpe française, et ne compte pas ses heures.
« C’est un métier complet, exigeant : on se lève de bonne heure, on travaille le week-end, on travaille au froid… », prévient Francis Martin, secrétaire du syndicat des artisans bouchers, bouchers-charcutiers-traiteurs d’Ariège-Pyrénées.
Un rythme qui a découragé Alexandre Pophin, ex-boucher en reconversion et ancien camarade de CAP de Lazar. « Le métier est passionnant mais très prenant. Ma vie de famille en a pâti », confie-t-il. Alors, il est revenu à son ancien métier, cadre dans l’informatique, le projet de boucher viendra plus tard, quand ses enfants seront adolescents.