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Football féminin : comment faire décoller son modèle économique

Le modèle économique du football féminin français reste à construire. La rémunération des joueuses est trop faible. Tout passera par une meilleure médiatisation.

Audrey Fisné-Koch
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© PETE KIEHART/NYT-REDUX-REA

« Le foot masculin, ça paie. Le foot féminin ça coûte », déplorait Fatma Samoura, secrétaire générale de la FIFA, en 2019. Elle ajoutait : « Ça devrait payer et ça va payer. »

Près de deux ans après la dernière Coupe du monde féminine et son succès inédit, le constat reste navrant : « Le modèle économique du football féminin ? Justement, l’un des gros problèmes, c’est qu’il n’y en a pas », se désole Cyrille Rougier, chargé d’études économiques au Centre de droit et d’économie du sport (CDES).

Éco-mots

Modèle économique 

Manière dont une entreprise ou un secteur génère ou va générer de la rentabilité. C’est une description cohérente des moyens de tirer des revenus d’une activité.

Grand Ecart #6 Foot féminin : la sanction du marché

Si le football masculin repose essentiellement sur les droits TV (près de la moitié des revenus) et s’appuie sur le marché des transferts, « dans le foot féminin, ça n’existe quasiment pas ». Pour ce qui est de la billetterie et des sponsors, « il y a un frémissement ces dernières années, mais les chiffres restent très bas ».

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Source : Pour l’Éco, à partir des données de la FFF, du CSA et d’Instagram.

En France, la plupart des clubs de footballeuses sont des sections adossées aux clubs professionnels masculins. Elles en dépendent financièrement. « La contribution du club “parent” représente près des trois quarts du budget », écrivent Luc Arrondel et Richard Duhautois, dans leur ouvrage Comme les garçons ? L’économie du football féminin (éd. Rue d’Ulm).

Aujourd’hui, même pour les clubs qui misent beaucoup sur le foot féminin, c’est un investissement à perte. En 2017-2018, huit clubs sur 12 étaient déficitaires.

Une dynamique en marche

Pourtant, cela fait plusieurs années que des pistes sont évoquées pour établir un réel modèle économique. Pas forcément identique au modèle masculin.

La médiatisation représente « un enjeu majeur »​,​​ explique Carole Gomez, directrice de recherche en géopolitique du sport à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) : « De nombreux travaux montrent que plus on voit des modèles, des matchs dans les médias, plus ça donne envie de pratiquer le sport. Ça peut aussi rassurer les parents qui hésitent à inscrire leurs filles et ça permet de casser les stéréotypes. »​​​​​

Cette première étape permettrait d’enclencher un cercle vertueux, complète Cyrille Rougier : « ​Plus de spectateurs et téléspectateurs, plus de médias, plus de sponsors. »​​​​​ Une telle dynamique s’est amorcée en 2018 et 2019.

À lire : Combien ça coûte, de regarder un match de foot ?

En l’espace de deux ans, la FIFA a présenté sa première stratégie globale pour le développement du foot féminin. Le ballon d’or féminin a été décerné pour la première fois, à Ada Hegerberg. Arkema est devenu le sponsor du Mondial féminin, et a ensuite signé un contrat de « naming »​​​​ pour la division 1 (D1).

Une seule caméra pour filmer les matchs féminin

« La preuve que ce n’est pas juste une lubie »​​​​​, note Carole Gomez. La Coupe du monde a battu des records d’audience : en France, 1,12 milliard de téléspectateurs ont suivi les retransmissions officielles (30 % de plus qu’en 2015). « Les fédérations se sont rendu compte qu’il y avait un enjeu financier. Après avoir atteint un seuil avec les hommes, les femmes représentent un vrai réservoir en termes de consommatrices et de pratiquantes. »​​​

En 2020, la Fédération française de football a d’ailleurs passé le cap des 200 000 licenciées. Le groupe Canal + a acheté les droits de diffusion des matchs de la D1 Arkema pour 1,2 million d’euros par an jusqu’en 2022. « ​​​​​Une excellente chose »​​​, même si cela reste perfectible, nuance Carole Gomez. « Il n’y a qu’une seule caméra qui filme, ce qui rend le match compliqué à suivre. »​​​

D’autant que la diffusion des rencontres sur une chaîne payante, les week-ends et l’après-midi, pose question. « La médiatisation, c’est très bien, à condition qu’il y ait la qualité et la quantité. »​​​

En Chiffres

1,2million d’euros contre 680 millions d’euros

Canal+ a déboursé 566 fois plus pour les droits de diffusion des matchs masculins (L1 et L2) que pour ceux de la D1 féminine, pour la saison 2020-2021.

Le Covid, un frein majeur

« Le football féminin rencontre aussi un problème de structuration​, souligne Cyrille Rougier. Souvent, les personnels qui s’occupent des féminines sont chargés d’autres missions en parallèle. Or, si l’on veut que la pratique passe à la vitesse supérieure, il faut s’y consacrer entièrement. »​​ 

C’est une question que l’on retrouve aussi sur le terrain puisque les clubs ne sont pas tous professionnels : certains sont amateurs ou semi-professionnels et de nombreuses joueuses sont dans une démarche de double projet, partageant leur temps entre le foot et un autre cursus. « Ce qui peut leur assurer une sécurité si jamais “demain tout s’arrête”, mais ce qui a aussi des conséquences sur leur salaire et sur leur progression sportive »​​, ajoute l’économiste.

Et c’est sans parler de la crise du Covid-19, qui ajoute des difficultés. La pandémie a mis un coup d’arrêt à la dynamique lancée en 2019 et a fait sortir des radars le football féminin : « On a lu des kilomètres d’articles sur Mediapro, mais les médias n’ont pas rediffusé un seul match et n’ont pas du tout parlé de la situation des clubs féminins », se désole Carole Gomez.

Un certain nombre de sponsors et partenaires ont de leur côté reconnu qu’il serait compliqué d’investir dans le foot féminin à l’avenir. Si bien que le syndicat mondial des joueurs professionnels (Fifpro) est allé jusqu’à parler d’une « menace presque existentielle »​​ sur le foot féminin en raison du Covid-19.

« Cela montre bien l’urgence de se mettre autour de la table pour réfléchir à un modèle économique innovant, plus sain, et avec de meilleures logiques de redistribution que ce qui existe dans le modèle masculin »​​, conclut Cyrille Rougier.

Pour aller plus loin 

1 et 2. Quart de finale France/USA en 2017 (femmes); Finale France/Croatie en 2019 (hommes)

3. Droits annuels pour 2018-2023 division 1 (femmes), droits renégociés en février 2021 pour les Ligues 1 et 2 (hommes)

4. CSA

5. Coupe du monde 2019 (femmes) et 2018 (hommes). Face aux audiences inattendues de la Coupe du monde féminine en 2019, TF1 a fait bondir ses tarifs publicitaires, engrangeant des recettes élevées. Résultat: un coefficient de rentabilité supérieur de 2 selon le CSA. À l’inverse, la chaîne avait perdu de l’argent lors de la diffusion de la Coupe du monde masculine, du fait d’investissements très supérieurs à ceux déployés pour la compétition féminine, et ce malgré le titre des Bleus.