Dans les magasins et au siège, la nouvelle ne surprend pas. « Tout le monde s’attendait à être racheté. On ignorait seulement par qui », lance Laurence Labaurie, 34 ans de maison, dont 24 années chez FO, deuxième syndicat dans les magasins derrière la CGT.
Cinq dirigeants en 15 ans
C’est l’arrivée à la direction de Go Sport, en 2019, de Philippe Favre, consultant de Prospheres, cabinet spécialisé dans les restructurations, qui a mis la puce à l’oreille de la déléguée syndicale. Le nouveau président a pour mission de « définir avec l’ensemble des salariés les actions nécessaires qui permettront de poursuivre la transformation », fait savoir à l’époque la maison mère.
Elle traduit : « Rallye jette l’éponge. Go Sport va être vendu et Prospheres se charge d’habiller la mariée. » À l’époque, cela fait 15 ans que l’enseigne prend l’eau. Cinq dirigeants se sont succédé depuis 2004, chacun avec sa stratégie pour renflouer les caisses et passer devant le rival Decathlon…
En vain : 35 magasins ont fermé depuis 2014 et les pertes ont continué. Les boutiques ont été relookées, le logo aussi. Rien n’y a fait.
Go Sport est même tombé du podium, devancé par Decathlon, Intersport, puis Sport 2000. Quinze ans à chercher le bon modèle et à échouer. Il était prévisible qu’à un moment, Jean-Charles Naouri, président de Rallye, passerait la main. D’autant qu’au début de 2019, Naouri et sa holding, Rallye, qui contrôle Casino, Monoprix, Franprix et Go Sport, est elle-même en mauvaise posture. Depuis l’automne précédent, Casino est dans la spirale de l’endettement.
Assiégé, Naouri riposte : Rallye vend Courir pour 283 millions d’euros. Les salariés comprennent alors que la maison-mère n’a plus les moyens. La confirmation tombe en mai 2019. Rallye, plombée par 3,3 milliards d’euros de dettes, est placée sous procédure de sauvegarde1. À l’automne, Rallye charge deux banques, Natixis et Rothschild, de trouver un repreneur pour Go Sport.
La FIB sort du chapeau
« Naouri veut certainement vendre rapidement à un acheteur assez solide financièrement pour reprendre à son compte les dettes de Go Sport [le montant, officieux, dépasserait les 150 millions d’euros, selon le magazine LSA, NDLR] et pour relancer ensuite l’activité commerciale de l’enseigne », décrypte Thierry Hassanaly, associé et cofondateur d’Inspirit Partners, un cabinet spécialisé dans les fusions-acquisitions.
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Sinon, pourquoi vendre pour un euro ? Dans les bureaux et les magasins, il se murmure que le Russe Sportmaster et Intersport seraient intéressés. C’est finalement un autre nom qui sort du chapeau, le 10 mars dernier : la Financière immobilière bordelaise (FIB) de Michel Ohayon, 144e fortune de France.
« Au moins, ce n’est pas le Russe », pense aussitôt Laurence Labaurie, la déléguée syndicale.
« Un acheteur étranger cela nous inquiète toujours. Il y a le risque qu’ils connaissent mal notre Code du travail. Faire travailler les employés le dimanche, sans repos ni indemnité compensatoire, cela s’est déjà vu. Et le nouveau directeur placé en France n’est pas toujours vraiment décisionnaire. Il est alors difficile de défendre les droits et intérêts des salariés », explique Audrey Rosellini de la fédération Commerces de FO.
Le 10 mars, peu avant que les médias n’ébruitent la nouvelle, Laurence Labaurie, prévenue la veille, retrouve Othmane Zemri, son homologue de la CGT, pour préparer la négociation. Rien n’est encore scellé. Michel Ohayon doit franchir plusieurs obstacles : rassurer les créanciers et leur offrir des garanties, mais aussi consulter les instances représentatives du personnel. La première réunion entre les syndicats, l’acheteur et le vendeur est fixée au 1er avril.
Conseil contre conseil
Quand Laurence et Othmane se retrouvent le 10 mars pour préparer les discussions, ils se disent : « Au point où on en est, le rachat est peut-être la meilleure option. » En 10 ans, tous les avantages qui existaient en 1987 ont été sucrés.
Les changements de cap à répétition ont épuisé les salariés. Certains sont partis, d’autres ont été licenciés et les quelques mouvements de grève ont laissé un sentiment de lassitude. « Ouverts au dialogue, mais pas naïfs », les deux syndicalistes décident de se faire accompagner par le cabinet Technologia. « Ils nous aident à établir une liste de questions pertinentes à poser à la FIB pour connaître leurs intentions », explique la syndicaliste FO. Le 17 mai, les représentants du personnel devront rendre leur avis sur ce projet d’achat2.
« L’avis est consultatif. Un avis négatif n’invaliderait donc pas la vente. Mais il peut effrayer le repreneur au point de le pousser à reconsidérer son offre pour s’éviter des affrontements futurs. Et cela, le vendeur, qui veut vendre, ne le souhaite pas. Vendeur comme acheteur ont donc un intérêt commun à présenter positivement le projet de reprise », explique Lionel Lesur, avocat associé au cabinet Franklin et conseil des entreprises dans les opérations de fusion-acquisition.
Dans le cas de Go Sport, ils ont doublement intérêt à enjoliver. Car pour que la vente se fasse, et c’est le dernier gros obstacle, Rallye doit obtenir du tribunal de commerce de Paris « la levée de l’inaliénabilité sur les titres de Go Sport ».
Pour comprendre, il faut remonter au 28 février dernier. Jusque-là et depuis sept mois, les dettes de la holding sont gelées. Rallye propose de rembourser ses créanciers sur 10 ans. Le tribunal accepte, à une condition : pendant 10 ans, Go Sport, un actif indispensable pour la continuation de Rallye, ne sera pas vendu sans son accord. Histoire que le répit accordé à l’entreprise en difficulté ne soit pas utilisé pour la vider de ses forces vives – salariés, machine et technologies.
« Pour prendre sa décision, le tribunal de commerce regarde si le projet de l’acheteur permet une pérennité de l’activité et de l’emploi et s’il a le soutien des salariés et de leurs représentants », souligne Arnaud Pédron, associé au cabinet Franklin et expert en droit des entreprises en difficulté.
Si le client revient…
Les réunions entre acheteur, vendeur et syndicats prennent des airs de marché de dupes.
« Nous restons vigilants. Nous avons sondé nos camarades de Camaïeu, rachetés en août dernier par la FIB. Les échos sont plutôt bons : des accords de participation sont en discussion, les bureaux derrière les boutiques sont en train d’être refaits à neuf et des passerelles avec les autres enseignes de la FIB sont en construction », témoigne Laurence Labaurie.
En outre, les trois réunions, les 1er et 14 avril, et le 5 mai, avec Wilhelm Hubner, président de la branche Retail de la FIB, et Samuel Alimi, son vice-président, ont rassuré. Ce premier s’est présenté en homme de terrain, se rendant au moins une fois par semaine dans les magasins.
« Cela n’a pas sonné faux. Ils croient fortement au retour des gens dans les magasins, rapporte la déléguée de FO. Mais serons-nous prêts pour accueillir les clients, notamment pendant les soldes d’été et à la rentrée, qui sont les deux rendez-vous à ne pas louper ? Beaucoup de salariés sont partis depuis le début de la crise sanitaire et les CDD n’ont pas été renouvelés. »
Un autre point inquiète aussi Laurence. Michel Ohayon rachète à tour de bras depuis trois ans : Galeries Lafayette, La Grande Récré (2018), Camaïeu, Go Sport et Gap (racheté le 9 avril dernier). Il s’achète un empire, mais a-t-il vraiment la volonté et les moyens de relancer des commerces endettés ayant beaucoup souffert, entre « gilets jaunes », grèves des transports et confinements ?