Des relations différentes avec les PME ?
« Nous avons besoin des industriels français pour avoir une offre locale, différente de la concurrence, c’est un moyen de fidéliser » affirme Thierry Dessouches. Selon Jacques Creyssel, « les PME sont plus innovantes que les grands industriels et leur prennent parfois des parts de marché ».
Toutes les personnes interrogées reconnaissent des relations moins conflictuelles mais cela « n’empêche pas les tensions », notamment sur la renégociation des prix en période d’inflation. « La grande distribution est très focalisée sur les prix », dénonce Léonard Prunier, président de la FEEF (Fédération des entreprises et entrepreneurs de France). Pour lui, c’est aux industriels de « montrer comment une meilleure rémunération des producteurs permet de répondre aux enjeux de réindustrialisation et de transition écologique ».
En effet, et cela vaut pour les centrales d’achats comme pour les consommateurs, si le prix est le seul critère d’achat, il peut être plus simple d’acheter peu cher et peu durable à l’étranger. Alors que l’achat plus local et plus durable peut être plus cher au premier abord mais porteur de davantage d’externalités positives à plus long terme, sur l’emploi par exemple.
Cas particulier : les marques de distributeur (MDD). D’après la FCD, les relations sont « plus proches, il y a des appels d’offres, une transparence totale ». Les distributeurs veulent les développer (avec l’inflation les consommateurs achètent plus ces marques, moins chères). Côté industriels, malgré des contraintes fortes sur les prix, la pérennité et la régularité des relations les aide davantage à se projeter : ils ont plus de visibilité sur leur production et leurs marges.
Pour Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire à l’UFC Que Choisir, avec une marge brute obligatoire d’au moins 10 % partout pour les distributeurs, « le chiffre d’affaires des petits producteurs a baissé. La grande distribution pour ne pas être trop inflationniste fait pression sur eux ». La FEEF attend une évaluation pour émettre un avis définitif mais « ne comprend pas bien comment cela peut aider au ruissellement », notant que dans certains rayons, dont les boissons, les multinationales ont ainsi repris des parts de marché.
Trop de lois ?
Pour les distributeurs et les petits industriels, la réglementation conséquente (presqu’une loi par an, la première en 1973) participe aux tensions. Pour Léonard Prunier, elle apporte beaucoup de complexité inutile et un cadre juridique incompréhensible sans recours à un expert.
Selon Christine Lambey, « la loi essaye de rétablir l’équilibre des pouvoirs depuis les années 90. Normalement elle est faite pour protéger les plus petits » mais n’y parvient pas toujours. Les revenus des agriculteurs, en amont de la chaîne, restent très bas malgré une légère augmentation.
Ils vendent généralement aux industriels ou aux grossistes, mais les grandes surfaces développent les circuits courts. « Pour une rémunération juste de tous les maillons de la chaîne, il suffit d’appliquer les dispositions des lois Egalim, assure Olivier Andrault. Or, ce n’est pas contrôlé ».
Mais dans les relations entre fournisseurs et distributeurs, un acteur, absent, est présent dans toutes les têtes : le consommateur. L’ensemble des acteurs doit « s’adapter au pouvoir d’achat, sinon le risque est d’avoir uniquement de l’import à bas prix », alerte Christine Lambey.
Un système de négociations annuelles à revoir ?
Les négociations annuelles entre le 1er décembre et le 1er mars sont un point d’orgue des relations entre fournisseurs et distributeurs. « Elles sont déterminantes et très réglementées, indique Christine Lambey. C’est un phénomène très politique et social » mettant en jeu la notion de « prix juste » pour chaque acteur. Mais Jacques Creyssel souligne que malgré leur médiatisation elles « ne concernent que 20 % des produits ».
En 2023, les industriels, « qui veulent rétablir leurs marges », ont obtenu une hausse moyenne estimée à 10 %. Jacques Creyssel reconnaît « un moment toujours tendu » mais pas sanglant. « Les industriels, notamment les plus grands, refusent la transparence ». Cette année, cela a parfois abouti à des ruptures commerciales, tel Nestlé avec Intermarché. Même avec les PME, où c’est souvent plus rapide, « elles ont globalement été plus tendues », assure Léonard Prunier.
Distribution comme PME plaident pour un autre système, moins long, plus souple avec des contrats pluriannuels à l’image des MDD. « Les entreprises ont besoin d’une vision à quelques années pour investir », explique Léonard Prunier. Et plusieurs révisions si besoin. Comme en 2022 face à la guerre en Ukraine et l’inflation (jusqu’à cinq négociations pour les pâtes, selon la FCD). Un nouveau round, qui s’annonce déjà compliqué, s’ouvrira en mai.