À l’étranger, Novo Mesto et Valladolid reprendront le 2 mai.
Pascal Rougel, secrétaire général du syndicat majoritaire de Renault au Mans, connaît les dates d’arrêt de toutes les usines du groupe jusqu’à juin 2022. Le planning prévisionnel est établi sur deux mois, en fonction des commandes de semi-conducteurs : « Mais en vérité, on ne sait vraiment qu’une semaine à l’autre. Pour la semaine du 15 au 22 avril, en Sarthe, nous avons appris l’arrêt la semaine précédente ». Celui qui se charge de cette planification à l’échelle internationale, c’est Jose Vicente de los Mozos, le directeur industriel. Chaque usine a ensuite ses propres responsables logistiques.
En cause, ni le confinement, ni une baisse de la demande, mais un défaut d’approvisionnement en composants électroniques. « Il nous manque des semi-conducteurs » nous précise par téléphone Pascal Rougel. « Notre usine est chargée de monter les châssis. S’il nous manquait des enjoliveurs, on pourrait continuer à travailler, parce qu’il suffirait de les ajouter dès que nous les recevons, même si la voiture est déjà montée. Mais pour des semi-conducteurs, c’est plus compliqué : on ne va pas monter le tableau de bord puis démonter et remonter l’habitacle une fois que nous recevons les pièces ».
Cette crise empêche 300 000 Renault de sortir des usines en 2022. À titre de comparaison, en 2019, dernière année sans perturbation sur les chaînes d’approvisionnement, le groupe avait produit 3,8 millions de véhicules.
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Alors il faut faire un choix : quelles voitures privilégiées ? La priorité est donnée à la production des nouveaux modèles, électriques et électrifiées, nous indique le service de communication du groupe.
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Le problème ne concerne pas que le producteur français. L’industrie mondiale des semi-conducteurs représentait 556 milliards de dollars en 2021, selon la Semiconductor Industry Association (SIA), c’est dire le poids qu’elle pèse dans la construction de tous types de technologies.
« Suite à l’invasion de l’Ukraine, nous avons réduit notre prévision de croissance du PIB mondial de -0,8 point en 2022 (à 3,3 %) et -0,4 point en 2023 (à 2,8 %) » indique Allianz Trade dans une étude parue le 12 avril 2022, « environ deux tiers de cette révision à la baisse sont dus aux chocs sur la confiance et les chaînes d’approvisionnement ».
« L’invasion de l’Ukraine crée des goulots d’étranglement au niveau européen », estimait Françoise Huang, une de leurs économistes, dans les Échos. En effet, le pays en guerre produit près de 70 % du gaz néon, essentiel à la fabrication des semi-conducteurs. Intel (USA) et TSMC (Taïwan), deux des plus gros fabricants de puces, disent disposer de stocks. « Le problème sera plus difficile à régler pour les constructeurs plus petits », explique aux Échos Guillaume Roels, professeur à l’Insead.
Pascal Rougel, le syndicaliste, réagit pour Renault : « La situation de l’entreprise ne nous permet pas de négocier des achats conséquents qui assureraient la production sur le long terme. S’il y a plusieurs entreprises, et que certaines peuvent payer cash une grosse quantité alors que les autres n’ont pas les liquidités, le fournisseur choisit vite avec qui il va faire affaire. »
Françoise Huang reprend : « la vague de Covid en Chine aura des répercussions mondiales plus larges. Les délais de livraison des fournisseurs devraient rester relativement élevés pour plus longtemps, mais en dessous des pics de 2021 ».
Luca de Meo, le CEO du groupe, espère une accalmie pour le second semestre 2022.
Chaîne d’approvisionnement (supply chain)
Processus de production d’un bien en cinq étapes : la planification, l’obtention de biens, la production, la livraison et le retour. Une chaîne d’approvisionnement comporte trois types d’interlocuteurs : les fournisseurs externes, les fabricants internes et les distributeurs externes. Elle dépend de trois flux : les flux physiques (de marchandises), les flux d’informations (disponibilités des stocks en interne, chez les fournisseurs et à la vente) et les flux financiers.
Les chaînes d’approvisionnement ont pourtant beaucoup évolué ces 20 dernières années, limitant, en temps normal, les pénuries. Si le commerce s’est internationalisé, des outils logiciels ont permis de fluidifier la gestion des stocks et des commandes. On parle de logiciel TMS (Transport Management System) pour gérer les transports, de CRM (Customer Relationship Management) pour anticiper les demandes des clients.
Mais depuis deux ans, le problème est ailleurs, la fermeture des frontières, le ralentissement du transport mondial, l’arrêt de la production dû à la pandémie, réinterrogent le circuit logistique. Et les solutions techniques de planification n’ont pas prouvé leur efficacité. Renault a monté une « task force » dès le début de la crise Covid, pour suivre « au plus près les besoins pour la production et les approvisionnements », sans parvenir, pour le moment, à rétablir les chaînes de production.
Alors, à long terme, quelles sont les solutions ? Certains préconisent une relocalisation de certaines productions industrielles, mais cela nécessiterait de la formation, ce qui, dans certains secteurs, peut prendre plusieurs années. D’importants investissements privés et publics sont prévus pour relocaliser la production des puces et, à terme, offrir moins de prise aux perturbations sur les chaînes d’approvisionnement. « En France, en Italie et au Royaume-Uni, un tiers des exportateurs [qui produisent localement pour vendre à l’étranger, ndlr] a décidé de chercher de nouveaux fournisseurs. Aux États-Unis, un exportateur sur deux s’est concentré sur l’accroissement des stocks. En Allemagne, 39 % des répondants ont décidé de se concentrer sur des marchés géographiques plus proches » continue Allianz Trade dans son étude.
Le changement est déjà perceptible, selon la SIA qui répartit l’évolution des ventes par région du monde : La Chine et le Japon ont moins vendu de semiconducteurs (respectivement - 2,2 % et - 2,8 % entre novembre 2021 et février 2022), quand les autres pays asiatiques ont connu une forte croissance (+ 19,2 %). L’Europe se développe sur ce marché (+ 5,1 %) et les États-Unis stagnent (+ 0,9 %).
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D’autres, enfin, brandissent le recyclage et l’économie circulaire (Circular manufacturing 4.0). Enfin, ce moment pourrait être une aubaine pour réellement passer à la sobriété : faute de semi-conducteurs pour ses écrans embarqués, Stellantis a déjà annoncé revenir aux cadrans à aiguille pour l’actuelle génération de sa berline Peugeot 308, montée à Sochaux (Doubs). La prochaine génération, produite à Mulhouse (Haut-Rhin), devrait en revanche retrouver un compteur numérique.