Pourquoi lui ?
D’une formation d’ingénieur à MINES ParisTech, Vincent Charlet est économiste. Il est délégué général du think tank La Fabrique de l’industrie et a publié plusieurs rapports en 2022 sur les conséquences de la crise énergétique pour l’industrie française.
À l’échelle nationale, quelles sont les conséquences de la hausse des prix de l’énergie sur l’industrie ?
La réponse diffère selon la position de l’entreprise sur la chaîne de valeur. En amont des chaînes de valeur se trouvent de grands industriels qui fabriquent les matériaux de base (acier, verre, ciment, etc.). Pour eux, qui consomment le plus d’énergie et émettent la plupart des émissions de CO2, la facture est salée et la crise énergétique remet fortement en question leur équilibre économique.
Ils pourraient choisir d’aller investir dans d’autres continents, là où l’énergie est moins chère. Pour les Petites et moyennes entreprises (PME) et les Entreprises de taille intermédiaire (ETI), la délocalisation n’est pas une option, les risques de défaillance pèsent plus lourd. Pour certaines, la hausse des dépenses énergétiques remet en cause leur survie.
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En aval des chaînes de valeur, c’est-à-dire au stade des produits finis, les dépenses énergétiques sont sensiblement plus basses et il est plus facile, pour les entreprises concernées, de répercuter les coûts sur les clients. Mais si toute leur chaîne de valeur se fragilise, ces firmes pourraient alors se tourner vers d’autres fournisseurs.
En 2019, avant la crise que nous traversons, la totalité de l’énergie nécessaire à la production de l’industrie française représentait 8 % de son chiffre d’affaires. Et en moins de deux ans, la facture énergétique a doublé.
On parle beaucoup de sobriété et d’efficacité énergétique. Cette crise oblige-t-elle les acteurs industriels français à innover ?
Dans cette crise, on enchaîne des périodes où les prix de l’énergie flambent, puis retombent pendant six mois. On a craint des coupures qui n’ont pas eu lieu, grâce à un hiver doux. C’est le règne du court terme. Donc les industriels ont eu assez de visibilité pour lancer de gros efforts de transformation de leurs procédés industriels.
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Certains ont innové (dans l’isolation des bâtiments, etc.), mais les mouvements sont encore très lents. Aujourd’hui, j’entends beaucoup moins parler d’efforts de sobriété énergétique que de risques de défaillance pour les petites firmes et de délocalisation pour les plus grands groupes.
Où s’installeraient les entreprises françaises ?
Lorsque l’on voit les mesures prises par Joe Biden au titre de l’Inflation Reduction Act [qui offre des subventions aux entreprises pour qu’elles fabriquent leurs produits aux États-Unis, NDLR] et la hausse des prix de l’énergie en France, les appels des sirènes américaines sont de plus en plus tentants pour les firmes.
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Justement, pour limiter l’inflation des prix de l’énergie, certains appellent à sortir du marché européen de l’énergie. Serait-ce une solution ?
D’abord, l’expression « marché européen » est un abus de langage, car il y a un marché par État. Tous ces marchés sont interconnectés et suivent un certain nombre de règles communes, mais chaque pays reste souverain : il choisit par exemple de sortir du nucléaire ou d’investir dans telle ou telle capacité de production, etc.
Hors crise, cette interconnexion des marchés est un principe vertueux puisqu’elle permet à la France d’exporter de l’électricité. Un excédent non négligeable dans nos échanges extérieurs. Ce système interconnecté, plus stable jusqu’à aujourd’hui qu’il y a 30 ou 40 ans, permet de produire, d’éviter les black-out et de vendre notre électricité.
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Mais il faut distinguer cette question d’une autre : quel mécanisme doit-on utiliser pour fixer le tarif du kilowattheure (kWh) ? Car avec la crise, ce système est parti en roue libre. Il n’y a en effet aucun moyen de contrôle efficace pour maintenir les prix.
Ce marché fonctionne sur l’idée que, comme par magie, le système va se stabiliser autour d’un prix raisonnable de marché. C’est faux. Il faut que les 27 se mettent d’accord pour convenir d’un moyen de contrôle.
