En 2003, un rapport parlementaire dénombrait encore 42 000 boulangeries artisanales en France, contre 29 600 aujourd’hui, d’après l’institut CHD Expert.
Le chiffre d’affaires du secteur, lui, progresse de 7 à 10 % par an, porté par le développement de chaînes comme Ange, Marie Blachère ou Boulangerie Louise. Les industriels grignotent des parts de marché sur les artisans en s’installant surtout à la périphérie des villes et dans les zones commerciales.
Un succès que le délégué général de la Fédération des entreprises de boulangerie (FEB), Matthieu Labbé, attribue à l’effet de taille : « Aujourd’hui, la différence entre un industriel et un artisan, ce ne sont pas les matières premières – ils utilisent les mêmes –, mais la taille du pétrin. Beaucoup d’artisans boulangers utilisent nos produits, notamment pour les viennoiseries. En rapport qualité prix, nous sommes imbattables".
Seule l’industrie peut répondre à une demande de masse. Preuve en est, selon la FEB, les bons chiffres de l’exportation de la boulangerie-pâtisserie industrielle française : 2,6 milliards d’euros en 2019, soit une hausse de 25 % par rapport à 2015.
En France, l’artisanat résiste
Pour leur part, les artisans dénoncent une uniformisation de l’offre. « Faute d’éducation alimentaire, le grand public ne sait plus distinguer le fait maison des produits industriels. C’est une véritable menace pour la boulangerie-pâtisserie artisanale », juge Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNBPF).
En janvier 2020, celle-ci a d’ailleurs lancé le label "Boulanger de France" afin de mettre à l’honneur les artisans qui fabriquent eux-mêmes leurs pains, viennoiseries, pâtisseries et produits de snacking (sandwichs, salades, pizzas, etc.).

Il n’en reste pas moins que le marché français est encore dominé par l’artisanat : 55 % contre 45 % pour les industriels, selon la CNBPF. Au niveau européen, le ratio est inversé : les boulangeries industrielles y représentent 70 % des sources d’approvisionnement des consommateurs.
Pour éviter ce scénario en France, Thomas Teffri-Chambelland, boulanger et chantre du levain naturel, fondateur de l’École internationale de la boulangerie dans les Alpes-de-Haute-Provence, a un conseil : la spécialisation. « L’artisanat commercial va mourir s’il ne produit pas des produits singuliers », assène-t-il.
Cet ancien professeur de biologie forme des personnes en reconversion à la production de pain bio : « Notre activité est ultra-ciblée. Nous ne faisons ni baguette ni viennoiserie, car ce sont des produits peu rentables et très concurrencés. Avec les pâtisseries et les produits de snacking, les marges sont bien moindres que pour le pain. Il faut se reporter sur les pains aux graines, au seigle, etc., pour être plus rentable. »
La néo-boulangerie, lieu de vie hybride
Pour attirer de nouveaux consommateurs, il faut donc une identité forte. Ce qui explique le grand retour des paysans-meuniers, qui produisent eux-mêmes leurs blés et leurs pains.
Les 18-24 ans mangent moins de pain que leurs aînés et ils seraient 41 % à acheter du pain en supermarché (étude YouGov, janvier 2020), mais les jeunes générations sont particulièrement friandes des nouveaux concepts, par exemple la boulangerie hybride.
Ceci se reflète dans l’offre et la présentation des nouveaux établissements. La plupart d’entre eux ont en effet considérablement réduit leur gamme de produits, tout en proposant des pains toujours plus variés.
En centre-ville, on trouve de plus en plus de boulangeries-pâtisseries qui font aussi restaurant, bar à cocktails ou encore épicerie fine. « Nos métiers de bouche évoluent. La boulangerie est un lieu de vie autour duquel se crée un véritable univers », résume Benoît Castel.
À la tête de trois boulangeries à Paris, dont deux dans le quartier très jeune de Ménilmontant, cet ancien pâtissier de restaurant étoilé laisse une large place à la restauration sur place, et même au brunch le week-end, tout en proposant des produits bio et sourcés. Ses établissements sont donc plus proches du coffee-shop haut de gamme que de la traditionnelle boulangerie de quartier.
Un modèle auquel Benoît Castel croit, tout en restant lucide : « Nous avons aussi besoin des industriels pour nourrir la planète, car il est totalement utopique d’imaginer que tout le monde se nourrisse uniquement en bio et français. C’est impossible. »
Baguette 2.0, le casse-tête de la distribution
Les nouvelles technologies font leur entrée, doucement, mais sûrement, dans nos boulangeries-pâtisseries. Une évolution que la crise sanitaire a accentuée.
Le "click and collect" (réserver en ligne et retirer en boutique) et la vente en ligne ont été adoptés par de nombreuses chaînes, mais aussi par des indépendants.
Benoît Castel a profité de ces derniers mois pour lancer une e-shop pour ses trois boulangeries parisiennes : « C’est un nouveau métier, mais il faut se bouger. En Asie, ils sont très en avance sur nous. Les jeunes veulent tout, tout de suite."
Et puis le numérique, permettant une meilleure gestion des stocks, limite le gaspillage. Il en va de même pour les distributeurs automatiques de pain qui ont fleuri un peu partout dans les campagnes françaises ces dernières années.
En revanche, la livraison pose toujours un problème logistique aigu, au regard, par exemple, de la chaîne du froid, mais aussi parce que le ticket moyen reste peu élevé.
Des start-up se sont pourtant lancées sur ce créneau comme Baguette à Bicyclette, à Lyon, ou Croustillant, à Paris. Cette dernière optimise déjà ses tournées matinales grâce à un algorithme afin de livrer en pains et viennoiseries, entre 5 h 30 et 7 h, ceux de ses clients qui ont au préalable commandé via une application.
Croustillant travaille pour cela avec six des meilleures boulangeries de la capitale qui lui fournissent certains de leurs produits et l’enseigne ne compte pas s’arrêter là. Cyril Barthet, le cofondateur, explique : « C’est une aberration de produire et de vendre au même endroit. La zone de chalandise est très limitée et les charges fixes restent élevées. »
La start-up compte donc ouvrir d’ici la fin de l’année à Paris un « dark fournil », autrement dit, un lieu dédié à la production de viennoiseries qui seront disponibles à la vente partout dans la capitale, mais uniquement en livraison, sur le même modèle que les « restaurants fantômes ».
« Nous maîtriserions mieux les flux logistiques, nous pourrons donc nous développer plus vite, car il nous suffira d’implanter un ou deux lieux de production en fonction de nos besoins, sans avoir à être présents partout pour répondre à la demande locale de tel ou tel quartier », justifie l’entrepreneur. Le défi est de taille.
Longtemps considérée comme une voie de garage pour les élèves en décrochage scolaire, la boulangerie-pâtisserie attire aujourd’hui nombre de vocations.
Pour l’année 2016-2017, le secteur comptait plus de 30 000 apprentis, en tête du secteur de l’alimentaire de proximité, devant l’hôtellerie-restauration.
L’image du métier profite du nouvel attrait pour les professions manuelles artisanales, et d’une possibilité d’embauche quasi immédiate après le diplôme.
En effet, la boulangerie-pâtisserie manque de main-d’œuvre, alors la formation s’adapte. Il est désormais possible de passer des CAP à distance grâce à des plateformes spécialisées comme Skill and You. Un outil avantageux, surtout pour les adultes en reconversion professionnelle, toujours plus nombreux dans ce secteur.