L'essentiel.
- Le 28 septembre 2022, les juges du tribunal de commerce Lille Métropole ont prononcé la liquidation judiciaire de Camaïeu, à la surprise des salariés et clients de la marque. Ses 2 600 salariés ont été licenciés.
- La marque, perdue de son segment du milieu de gamme, a eu du mal à s'adapter aux nouvelles tendances de consommation numériques, accélérées par le confinement et à l'émergence de géants de l'ultra low cost comme Shein.
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La sentence apparaît radicale en ce début octobre : Camaïeu est placé en liquidation judiciaire. Une annonce qui tombe comme un couperet pour les 2 600 employés. Ce ne sont pas moins de 511 magasins qui ferment subitement leurs portes, laissant à peine le temps aux équipes magasins de saluer leurs clients. Les témoignages de sympathie et de solidarité affluent. Trop tard.
Et pourtant, en 2020, Camaïeu avait été élue pour la troisième année consécutive meilleure chaîne de prêt-à-porter féminin pour une agence marketing. En 2021, l’une des dernières campagnes de publicité met en avant des femmes dans leurs tenues de travail, sur un bateau de pêche, dans un hôpital, un restaurant, un tribunal, aux commandes d’un avion : « À la ville, ces femmes portent du Camaïeu » conclut le spot. « Audacieux » félicite le magazine dédié Culture Pub.
L'essentiel.
- Le 28 septembre 2022, les juges du tribunal de commerce Lille Métropole ont prononcé la liquidation judiciaire de Camaïeu, à la surprise des salariés et clients de la marque. Ses 2 600 salariés ont été licenciés.
- La marque, perdue de son segment du milieu de gamme, a eu du mal à s'adapter aux nouvelles tendances de consommation numériques, accélérées par le confinement et à l'émergence de géants de l'ultra low cost comme Shein.
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La sentence apparaît radicale en ce début octobre : Camaïeu est placé en liquidation judiciaire. Une annonce qui tombe comme un couperet pour les 2 600 employés. Ce ne sont pas moins de 511 magasins qui ferment subitement leurs portes, laissant à peine le temps aux équipes magasins de saluer leurs clients. Les témoignages de sympathie et de solidarité affluent. Trop tard.
Et pourtant, en 2020, Camaïeu avait été élue pour la troisième année consécutive meilleure chaîne de prêt-à-porter féminin pour une agence marketing. En 2021, l’une des dernières campagnes de publicité met en avant des femmes dans leurs tenues de travail, sur un bateau de pêche, dans un hôpital, un restaurant, un tribunal, aux commandes d’un avion : « À la ville, ces femmes portent du Camaïeu » conclut le spot. « Audacieux » félicite le magazine dédié Culture Pub.
Alors que s’est-il passé ? La fermeture de cette marque née en 1984 était-elle prévisible ?
Vitrine du Camaïeu de Saint-Germain en laye, où la direction du magazin a mis tous les post it de remerciement des clients sur la vitrine. Photo : Jean-Luc Suzé.
Des difficultés multiples liées aux tendances du marché
Camaïeu est ce que l’on appelle « un acteur physique » du marché du textile. Ce sont ceux dont l’écrasante majorité du chiffre d’affaires se réalise grâce à des magasins traditionnels par opposition aux acteurs qui font majoritairement ou totalement leur chiffre d’affaires en ligne. Ces acteurs physiques du textile sont ceux qui font particulièrement les frais de la double crise : celle liée à la pandémie mondiale de 2020 puis celle liée à l’inflation.
Ainsi, le 22 septembre, l’enseigne de chaussures San Marina, avec ses 163 magasins et 680 salariés, est entrée en procédure de redressement judiciaire pour une durée de 6 mois. La Halle avait connu le même sort avant d’être sauvée par le Groupe Beaumanoir. Quant à Pimkie, l’enseigne est en vente depuis quelques mois. Celio a aussi vacillé, devant fermer 120 magasins et supprimer 380 postes il y a 1 an. Au-delà des crises, le secteur textile est difficulté récurrente depuis une dizaine d’années.
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Le segment de milieu de gamme attaqué par la crise
De toute la filière habillement et chaussures, le segment du milieu de gamme est le plus touché. Ce positionnement est attaqué par les enseignes qui proposent des produits très bons marchés et celles qui proposent des produits plus luxueux. Cette tendance n’est pas propre à ce marché, on retrouve ainsi les mêmes tendances sur le marché de l’alimentaire.
Les enseignes qui savent communiquer sur le prix et le pouvoir d’achat progressent, ainsi que celles qui opèrent des montées en gamme et savent promouvoir une valeur ajoutée de leurs produits. Pris en sandwich, les enseignes qui tentent le double discours deviennent inaudibles. Ceci peut aboutir à des pertes de parts de marché qui potentiellement mettent en difficulté la pérennité de leur business modèle.
Parts de marché
Pourcentage des ventes d'une entreprise sur un marché par rapport au total des ventes de ce produit faites par ses concurrents et elle-même.
Dans le secteur textile, le phénomène de la "fast-fashion", voire de “l’ultra fast-fashion” décuple le phénomène du dynamisme de l’entrée de gamme. Des acteurs comme Shein sur le web ou Primark qui continue d’implanter des points de vente (20 magasins en France dans les plus grands centres commerciaux ou artères commerciales) préemptent le marché.
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L’inflation, qui renchérit déjà les prix en rayons et atteindra plus de 6% selon l’INSEE sur l’année 2022, risque d’aggraver encore le phénomène. C’est donc le positionnement marketing de nombreuses enseignes qui, dans ce contexte, pose question et devrait être revu. Plus facile à dire qu’à mettre en œuvre compte tenu de tous les enjeux logistiques, de production et les nombreuses charges fixes de ces enseignes. Une problématique à l’allure d’un casse-tête insoluble.
L’e-commerce rogne des parts de marché sur le commerce physique
Comme si ce défi de positionnement ne suffisait pas, ces enseignes doivent faire face aux défis de l’e-commerce, tendance de fond qui s’est accélérée depuis la pandémie et les confinements répétés. Des consommateurs ont été contraints d’utiliser d’autres canaux d’achats et une part d’entre eux a conservé ces habitudes post pandémie.
Tous les magasins physiques souffrent fortement de la concurrence du e-commerce. L’année 2021 a été une nouvelle année de croissance pour l’e-commerce : ce sont 129 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France qui se sont faits en ligne. Cela représente une évolution de 15,1 % sur un an.
En 2020, l’e-commerce avait déjà réalisé une progression de 8,5% (étude réalisée par par KPMG France et la Fevad). Les Français sont en effet de plus en plus accroc à l’achat en ligne et ils sont désormais 41,8 millions en 2021 à avoir adopté cette pratique. Ce sont 153 000 e-consommateurs de plus en une seule année pour des transactions en hause de 16% et un chiffre d’affaires additionnel de plus de 2 milliards d’euros.
En ce qui concerne plus particulièrement le domaine du textile, selon une étude de l’institut de la mode, 21% des achats en 2021 ont eu lieu en ligne, contre seulement 6% il y a douze ans !
Les enseignes de la mode et du vêtement traditionnelles (Camaïeu commence son activité dans les années 80) ont tenté de s’adapter en multipliant les applications et sites marchands en ligne, contribuant ainsi à la dynamique du e-commerce : les achats sur mobiles affichent une croissance de 23 %.
Mais elles partent avec un train de retard sur les spécialistes de la vente en ligne. Ceux-ci sont appelés des « pure player », c’est-à-dire des acteurs ou entreprises qui exercent leur activité uniquement sur le web.
Leurs coûts sont ainsi drastiquement réduits. Les circuits logistiques sont simplifiés, les coûts de stockage sont fortement limités. L’activité exclusivement en ligne leur permet également de limiter la masse salariale (les équipes magasins) et d’économiser des loyers commerciaux qui peuvent s’avérer extrêmement élevés notamment dans les centres commerciaux les plus prisés.
Coûts fixes
Coûts encourus par une entreprise dont la variation n’est pas liée à son niveau d’activité. (loyer, coûts administratifs, électricité hors production, etc.)
Difficile donc pour les enseignes traditionnelles jouant sur les deux tableaux du commerce physique et du web de rivaliser : c’est un autre business modèle compliqué à adopter s’il n’est pas intégré dans l’ADN de l’entreprise dès l’origine. Camaïeu l'aura appris à ses dépends.
Dans le programme de SES
Première. « Comment un marché concurrentiel fonctionne-t-il ? »
Seconde. « Comment se forment les prix sur un marché ? »