C’était la première peine prononcée au pénal contre « l’ubérisation » du travail. Le 19 avril, Deliveroo France a été condamné à 375 000 euros d’amende pour « travail dissimulé ». Deux anciens dirigeants et un ex-manager ont également été condamnés. L’entreprise a fait appel.
Ce n’est pas la première fois que la justice se penche sur le lien de subordination des travailleurs de la « gig economy ». En novembre 2018, la Cour de cassation requalifie en contrat de travail le lien entre la défunte Take Eat Easy et un de ses livreurs.
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En mars 2020, c’est au tour d’Uber de se voir appliquer cette jurisprudence par la Cour de cassation. En mai 2021, la cour d’appel de Paris requalifie également le contrat d’un chauffeur Uber.
À l’étranger aussi, ces entreprises essuient des revers. Au Royaume-Uni, en 2016, Uber a été condamné à considérer ses chauffeurs comme salariés et à les payer au salaire minimum, décision confirmée en 2021 par la Cour suprême. Même tendance aux Pays-Bas, en Suisse ou encore en Californie.
Des décisions dont on voit déjà les impacts, estime Kevin Mention, avocat spécialisé dans la défense des livreurs. « Deliveroo a déjà changé ses pratiques. Le planning qui obligeait les coursiers à s’inscrire et permettait à la plateforme de vérifier les absences et les retards a disparu en 2020. »
Surtout, ces décisions ont probablement mis un frein aux ambitions d’autres plateformes. « Certaines se lançaient sur des métiers comme plongeur ou caissier, évoque-t-il. Désormais, ce genre de société risque des poursuites. »
D’ailleurs, une nouvelle génération de plateformes comme Gorillas ou Flink, arrivées en France en 2021, embauche en salariat. En février 2021, l’entreprise Just Eat lançait une série de recrutements en CDI pour « une solution de livraison plus responsable ».
Preuve de la difficulté du modèle, un an plus tard, il ne reste qu’un quart des 4 500 livreurs embauchés en CDI par Just Eat.
Présomption de salariat
L’industrie est en train de construire des alternatives. La fédération CoopCycle, lancée en 2017, représente 70 coopératives à travers une dizaine de pays, soit environ 500 livreurs. Les coopératives du réseau s’engagent à salarier leurs employés, avec une sous-traitance tolérée jusqu’à 15 % du chiffre d’affaires.
Arrivent-elles à exister face aux géants ? « Ça dépend », reconnaît Adrien Claude, coordinateur à CoopCycle.
Si ces boîtes n’ont pas la même force marketing et commerciale que les multinationales, certaines s’en sortent, rassure Adrien Claude, qui cite cinq coopératives à succès à Nantes, Grenoble, Rennes, Strasbourg et Montpellier.
« On montre que c’est possible. On ne prétend pas remplacer Uber et Deliveroo et si ça doit se faire, ça ne sera qu’avec l’aide des pouvoirs publics », pose le coordinateur, qui estime que l’abus du statut d’auto-entrepreneur équivaut à du dumping social.
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Si la France n’est pas prête à légiférer, l’Union Européenne, elle, s’est emparée du sujet avec un projet de directive pour une présomption de salariat des travailleurs du numérique – une disposition qui existe déjà en Espagne.
« La sous-traitance à outrance ne date pas de l’économie du numérique, rappelle Adrien Claude. C’est d’ailleurs comme ça qu’est né le salariat. Depuis quelques années, nous étions dans une phase de régression ; voici peut-être quelques signaux faibles d’une inversion de tendance vers davantage de régulation. »
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