Economie
La tempête Alex, stimulant économique pour la Brasserie du Comté
Sélection abonnésAprès la catastrophe, Edwards Dilly et son équipe ont passé deux ans à négocier avec les assurances et constituer des dossiers de subvention. Ils brassent à nouveau dans des cuves flambant neuves, au bord de la Vésubie.
Cathy Dogon
© Cathy Dogon
L’odeur du malt flotte à nouveau sur le haut pays niçois. La Brasserie du Comté a recommencé à produire sa bière en juillet 2022, en aval du village de Saint-Martin-Vésubie, dans les Alpes-Maritimes. Au bord de la rivière, le bâtiment flambant neuf est recouvert de bois. L'énorme aigle est peint sur la façade, affirmant l’identité régionale de l’entreprise, fière d’être nissarde.
Juste en dessous, une cuve rappelle le passé. Elle est cabossée par les événements du 2 octobre 2020. Ce jour-là, la tempête Alex s’abattait sur les vallées maralpines : 650 millions de tonnes d’eau ont fait déborder les courants, ont emporté 10 vies, fait huit disparus et détruit des milliers de maisons et d’usines. Décroché de la brasserie, un énorme bout de métal a été retrouvé sur la plage de Nice, 40 kilomètres plus loin.
« On venait tout juste d’investir pour augmenter notre production » se souvient Edwards Dilly, le directeur général. Trois cent mille euros de matériel sont partis avec les flots ce jour-là, dont une partie toute fraîchement achetée et pas encore assurée.
L’odeur du malt flotte à nouveau sur le haut pays niçois. La Brasserie du Comté a recommencé à produire sa bière en juillet 2022, en aval du village de Saint-Martin-Vésubie, dans les Alpes-Maritimes. Au bord de la rivière, le bâtiment flambant neuf est recouvert de bois. L'énorme aigle est peint sur la façade, affirmant l’identité régionale de l’entreprise, fière d’être nissarde.
Juste en dessous, une cuve rappelle le passé. Elle est cabossée par les événements du 2 octobre 2020. Ce jour-là, la tempête Alex s’abattait sur les vallées maralpines : 650 millions de tonnes d’eau ont fait déborder les courants, ont emporté 10 vies, fait huit disparus et détruit des milliers de maisons et d’usines. Décroché de la brasserie, un énorme bout de métal a été retrouvé sur la plage de Nice, 40 kilomètres plus loin.
« On venait tout juste d’investir pour augmenter notre production » se souvient Edwards Dilly, le directeur général. Trois cent mille euros de matériel sont partis avec les flots ce jour-là, dont une partie toute fraîchement achetée et pas encore assurée.
L'aigle noir indique l'emplacement de la brasserie avant la tempête Alex...
... puis après.
« À l’époque, nous ne parvenions pas à honorer toutes les commandes. J’avais établi un business plan pour passer de 700 000 euros de chiffre d’affaires à 1,150 million. Il a fallu le prouver à l’assurance. » Commence alors un long dialogue avec AXA, la compagnie qui les suivait depuis le début.
Éco-mots
Assurance
Repose sur le principe de mutualisation, une stratégie collective qui consiste à couvrir les risques de quelques-uns en transférant la charge de ces risques à un grand nombre d’agents économiques. Les sociétés d’assurance sont privées et cherchent à générer un bénéfice. Leur activité s’appuie sur la mesure des probabilités d’occurrence du risque, pour fixer le montant des cotisations et des primes d’assurance.
L'aide des collectivités territoriales
Pour cette catastrophe, la Fédération française de l’assurance, aujourd’hui renommée France Assureurs, a recensé 12 980 sinistres pour 217 millions d’euros de dommages sur les biens privés. À titre de comparaison, les assurances avaient versé 256 millions d’euros d’indemnisation suite aux inondations dans l’Aude, en 2018. Ce bilan n’atteint néanmoins pas les records des tempêtes Xynthia, en 2010, et Lothar et Martin, en 1999.
« S’agissant des seules infrastructures publiques, comme les routes, ponts, stations d’épuration, 727 millions d’euros de dégâts ont été constatés », nous écrit par mail Xavier Pelletier, préfet délégué à la reconstruction des vallées. Fin 2021, plus de 100 millions d’euros avaient déjà été engagés par les collectivités locales pour la reconstruction.
Concernant les biens privés, France Assureurs affirme qu’un an après la catastrophe, 92 % des sinistrés avaient reçu un premier versement d’indemnités. Une soixantaine de dossiers restaient encore en suspens : « Il s’agit de dossiers où les délais étaient vécus comme trop longs par les sinistrés, souvent en raison des difficultés d’accès pendant plusieurs mois rendant les expertises complètes impossibles, ou bien de dossiers concernés par le Fonds Barnier [fonds de prévention des risques naturels majeurs, NDLR] », précisait Florence Lustman, présidente de la Fédération au média L’Argus.
Les collectivités territoriales ont joué les médiateurs entre les assurances et les victimes. Parce que l’indemnisation est avant tout une histoire de négociation. « J’ai décidé de ne pas prendre d’expert assuré et de gérer moi-même les discussions avec l’assurance. Je ne voulais pas tendre les négociations avant qu’elles aient commencé, raconte le gestionnaire de la brasserie. Néanmoins je les ai menacés à plusieurs reprises d’en prendre un. Finalement, ça s’est bien passé. »
La catastrophe, un tremplin
L’assurance a payé la perte d’exploitation pour un an. Il s’agit de la couverture des charges fixes et des frais généraux permanents ainsi que de la compensation des effets de la diminution du chiffre d’affaires. Edwards Dilly et ses salariés ont à ce titre été indemnisés de 600 000 euros pour l’année suivant les dégâts, comme c’était prévu dans leur contrat. Cette somme leur a permis de se remettre au boulot, seulement six semaines après la tempête, en finançant la location des cuves copains brasseurs pendant 12 mois.
Ensuite, l'entreprise a sorti 450 000 euros de sa poche, attendant de retrouver les siennes. Parce qu'un an, c'est court... Impossible de reconstruire la brasserie dans ce délai. « La deuxième année a été à notre charge. La préfecture a tenté de négocier plus haut, auprès des réassureurs, pour nous financer la deuxième année de pertes d’exploitation, mais ils n’ont pas accepté. Heureusement que nous avions de la trésorerie. »
L’assurance a aussi versé 220 000 euros pour rembourser la valeur usuelle du matériel. « C’est mal tombé. On venait tout juste d’investir 80 000 euros pour passer du brassage de 40 hectolitres par semaine à 60, mais nous ne l’avions pas encore déclaré ! À ce moment-là, je me contentais de faire l’état des lieux du matériel une fois par an. L’assurance aurait aussi dû payer les salaires, mais elle renvoyait la balle à l’État. Nous n’avons eu que trois semaines de chômage partiel juste après la tempête. » L’entreprise a continué à payer les salaires, alors qu’elle a longtemps produit à régime réduit.
Quand on demande à Edwards Dilly s’il se satisfait de la tournure qu’ont finalement prise les choses, sa réponse est en demi-teinte : « Disons que l’assurance a payé ce qu’elle devait. Elle a fait preuve de bienveillance à notre égard. Ce n’est pas le cas pour toutes les autres entreprises, moins médiatisées. »
Si certains des brasseurs ont perdu leur maison, avec des dégâts terribles, la catastrophe s’est plutôt révélée être un tremplin pour l'entreprise. « Normalement, un projet de construction de brasserie comme celui-ci, c’est trois à quatre ans. Nous, on l’a fait en 20 mois depuis la tempête. » Dans les trois mois qui ont suivi le sinistre, les brasseurs cherchaient déjà à reconstruire leur propre ligne de production. L’équipe a commencé à commander du matériel, avant même d’avoir trouvé un bâtiment. « En mars 2021, nous n’avions toujours pas de toit », se rappelle le gérant.
Une vallée longtemps impraticable
Les vestiges de la tempête sont toujours visibles. La vallée est restée longtemps impraticable. Certaines routes n’ont été reconstruites qu’à l’été 2022. Des maisons restent éventrées.
Difficile alors pour les entrepreneurs locaux et les collectivités locales de faire de nouveaux projets. Où et comment reconstruire après une telle catastrophe naturelle ? Le préfet donne un exemple : « Avant tempête, le torrent du Boréon avait un lit d’une largeur de 10 mètres. Il passera à une largeur minimum de 45 mêtres avec des zones plus larges de régulation naturelle des sédiments. » Pas le droit donc de construire dans ce périmètre. « La seule option qui se dégageait à l’époque était à Carros, reprend Edwards Dilly, mais tous les gars viennent de Saint-Martin-Vésubie, ils étaient catastrophés à l’idée de descendre de la vallée. »
Des complications qui ont obligé les protagonistes à employer les grands moyens : publier un communiqué de presse pour expliquer la situation critique de la brasserie. Et ça a payé : « En six jours, les politiques nous ont trouvé une solution ». Depuis, tout est allé très vite. « On avait déjà travaillé avec un architecte, donc il connaissait nos besoins et nos contraintes. Le lendemain de notre appel, il avait fini de constituer le dossier. Quatre jours après, Christian Estrosi nous autorisait à acheter le terrain », situé en aval de Saint-Martin-Vésubie, à quelques mètres de la rivière.
Le délai de la prise en charge de la perte d’exploitation ne laissait pas aux sinistrés le temps de penser plus longtemps : une fois le terrain trouvé, il a fallu construire vite, sans lancer d’appel d’offres. Ils ont dû faire confiance aux entreprises locales.
Confiance aux entreprises locales
Pour financer tout ça, la Brasserie du Comté a pu compter sur les subventions. « J’ai découvert un monde, avoue le directeur général. Ce sont des sommes énormes, mais uniquement pour les entreprises qui fonctionnent », nuance-t-il. Le projet total vaut 3,7 millions d’euros.
L’entreprise a pu compter sur 60 000 euros du département pour la reconstruction suite à la tempête Alex, 200 000 euros de la région et 200 000 de l’Union européenne, ainsi que 400 000 euros du plan de relance national. « La chance, c’est que la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) et la métropole nous ont aidés à constituer tous ces dossiers de subventions. »
À cela, il a tout de même fallu ajouter un emprunt de 1,9 million d’euros sur huit ans pour le matériel et 15 ans pour le bâtiment. « Finalement, avec toute l’aide que nous avons reçue, nous sommes parvenus à réaliser un chiffre d’affaires de 1,6 million d’euros en 2021. C’est ce que j’avais prévu initialement, mais sans compter bien sûr les trois mois d’arrêt de la production ! ».
Ces aventures ont aussi débouché sur de nouveaux projets. « Nous sommes passés de sept salariés à 14. » À côté des nouvelles saveurs de bière et de citronnade, les brasseurs cherchent à produire leur propre houblon. « Aujourd’hui, on produit 150 hectolitres par semaine. On aimerait passer à 250 dans deux ans. »
La brasserie va aussi devenir un centre de formation. Finalement, qu’est-ce qu’Edwards Dilly a appris de la tempête ? « Maintenant, je nous assurerais pour deux ans minimum et je communiquerais immédiatement chaque montant investi à l’assurance. »
Cet article est issu de notre numéro consacré à l'économie chinoise, disponible sur notre boutique en ligne.
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