Les voitures propres accentuent notre problème de déficit
Les véhicules hybrides ont tellement le vent en poupe qu’il a fallu en importer 106 699 en 2021, soit +203,3% par rapport à 2019. Quant aux voitures électriques, ce sont 152 464 modèles neufs qui sont arrivés dans les ports français l’an dernier (+350,4% par rapport à 2019). La seule importation de ces modèles a coûté 3,6 milliards d’euros alors que ce poste de dépense était inférieur à 1 milliard en 2019… Des milliards qui sont allés embellir les chiffres du commerce extérieur des Etats-Unis et de l’Allemagne, les principaux fournisseurs de véhicules électriques de l’Hexagone.
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La France est à ce jour la cinquième nation européenne en matière de fabrication de véhicules neufs, après en avoir longtemps été la deuxième. Le pic de production fut atteint en 1989. Cette année-là, 3 919 775 véhicules légers furent fabriqués dans le pays. Renault comme PSA produisaient à l’époque 80% de leurs modèles en France.
Mais trente ans plus tard, soit en 2019, les cartes ont été rebattues. Tandis que la production nationale a été divisée plus que par deux, PSA ne réalise plus que 36% de ses autos sur son territoire d’origine et Renault 17,9%. Que s’est-il donc passé en trente ans ? « Le poids des pays de l’Est a plus que triplé » observait l’Insee dans une note consacrée à l’industrie automobile en 2019.
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Deux éléments se sont en effet révélés fondateurs du déséquilibre persistant du commerce extérieur automobile. L’investissement massif de Renault sur Dacia, d’abord. L’Insee relevait ainsi en 2009 que « la détérioration de nos échanges automobiles remonte à 2005 », ce qui correspond aux premières livraisons dans l’Hexagone de la Dacia Logan, fabriquée en Roumanie.
Mais la balance commerciale devint déficitaire en 2008, après une autre décision radicale. PSA avait en effet décidé de délocaliser en Slovaquie la production de son modèle phare, la 207, un an auparavant. Un exemple suivi par Renault qui délocalisa à son tour la fabrication de la Clio en Turquie, dès 2010. Avec les deux principales ventes du marché français produites à l’étranger, la balance commerciale ne pouvait dès lors que se dégrader davantage chaque année, pour en arriver à la situation actuelle.
Rajouter de la valeur ajoutée
Pour le président du Conseil d’analyse économique (CAE) Philippe Martin, « les groupes automobiles français sont compétitifs » car « leurs ventes n’ont pas chuté de manière drastique. Le problème, c’est celui de la compétitivité des sites industriels en France » analyse-t-il.
Luca de Meo, directeur général de Renault, s’était fait encore plus précis lors d’une conférence tenue en octobre dernier : « La vraie bataille, c’est celle de la valeur ajoutée (…) Il faudrait que d’ici à 2030, nous produisions 2 millions de véhicules électriques en France. Pour que cela soit pérenne, il faut rajouter 5000€ de valeur ajoutée par véhicule en France » avait-il fait savoir.
Et pour ce faire, les moyens sont connus : « Si l’on souhaite baisser les coûts de production en France avec un objectif d’exportation, la question de la C3S se pose très clairement » soutient Philippe Martin.
La C3S, où l’impôt qui frappe les plus grands. Cette « Contribution sociale solidarité des sociétés », destinée à financer la sécurité sociale, est égale à 0,16% du chiffre d’affaires annuel. Elle ne concerne que les entreprises qui témoignent d’un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 19 millions d’euros. Or, « ce sont les grandes entreprises qui font les exportations, pas les TPE ou les PME » fait remarquer M. Martin.
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L’autre grande solution pour redonner de l’attrait à l’industrie en France serait de parvenir à effectuer des économies d’échelle : « Pour que nos sites français soient compétitifs, il faut qu'ils soient pleins comme des œufs, c'est le seul moyen. En face, ils le sont tous » avait expliqué à l’Assemblée nationale Jean-Dominique Sénard, le PDG de Renault, en juin 2020.
Car si l’industrie automobile française est si peu compétitive aujourd’hui, du moins pour ce qui concerne l’appareil productif de Stellantis et de Renault, c’est paradoxalement parce qu’elle a perdu les volumes à produire. Le préambule de l’accord salarial signé entre Renault et ses salariés des usines de Douai et de Maubeuge à l’été 2021 ne le cache pas : « Au-delà du faible niveau de production, la performance économique des sites et leur compétitivité sont dégradés par les frais et coûts inhérents à leur superficie » est-il expliqué.
Ce même préambule annonce que « les prévisions pour 2021 sont de l’ordre de 25 000 véhicules, alors même que le site dispose d’une capacité de production de 300 000 unités ». Ainsi, l’usine Renault de Douai tourne à l’heure actuelle à 8,3% de sa capacité ! Parvenir à faire baisser les dépenses en énergie, plus particulièrement en électricité, fait aussi partie des pistes évoquées par le CAE pour baisser les coûts et tenter de rapatrier des volumes de production en France.
Batteries et moteurs made in France
Tandis que 61,3% des Renault vendues en France en 2021 relevaient d’un assemblage effectué à l’étranger, le constructeur a semble-t-il décidé d’inverser la tendance. A été signé en décembre dernier le plan « Re-nouveau France 2025 », qui prévoit notamment neuf nouveaux véhicules à fabriquer « avec l’ambition de produire plus de 700 000 véhicules par an dans l’Hexagone » à l’horizon 2025. En 2021, un peu plus de 500 000 voitures auraient été construites.
Surtout, Renault entend fabriquer à Douai et Maubeuge les futures Mégane et Renault 5 électriques. Deux engins susceptibles de devenir à moyen terme des autos de très grande diffusion : « La chaîne de valeur du véhicule électrique diffère de celle du véhicule thermique » observe le constructeur, qui fait ainsi remarquer que l’usine qui produira les batteries sera elle aussi à Douai, tandis que les moteurs continueront de provenir de Cléon en Normandie.
Chez le concurrent Stellantis en revanche, point de déclaration patriotique sur le devenir des sites industriels : « Nos usines sont orientées vers des projets en lien avec la transition énergétique. Nous avons de l’investissement, de nouvelles plateformes ont été attribuées à Rennes ou à Sochaux par exemple mais au-delà de ça, il y a aussi beaucoup de délocalisations de nos activités » note Christine Virassamy, déléguée syndicale centrale CFDT de Stellantis.
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Et d’égrainer pêle-mêle la fabrication d’un moteur diesel « qui va partir en Italie », l’assemblage des fourgons qui sera « délocalisé à Kaluga, en Russie », etc. Selon le cabinet Syndex qui travaille de longue date avec la CFDT, « les prévisions d’IHS mettent en évidence une progression des volumes assemblés en Italie alors que la décrue est manifeste en France et semble s’annoncer sur le pôle ibérique ».
De là à conclure que la valeur ajoutée automobile sera bientôt de retour en France grâce à Renault, il n’y a qu’un pas… Qu’il s’agit de ne surtout pas franchir. Le 23 mars 2021, Renault a assuré aux salariés de ses usines espagnoles que 3 modèles hybrides seraient attribués à l’usine de Palencia entre 2022 et 2024. Et le 1e décembre dernier, le constructeur a crée une filiale baptisée RGO afin de renforcer la présence industrielle de la marque en Turquie et de « contribuer au développement de l’écosystème du véhicule électrique » selon le quotidien Hürriyet.