Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des Finances, les avait avertis. Le gouvernement « donnera les noms des influenceurs » qui n’ont pas été transparents et n’ont pas indiqué leurs partenariats rémunérés pour promouvoir certains produits sur les réseaux sociaux. Depuis le 2 juin, c’est chose faite. La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) a déjà publié les noms de six influenceurs contraints d’afficher en ligne un message d’avertissement pour « pratiques commerciales trompeuses ».
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Le ministre a utilisé un procédé nommé « name and shame ». L’idée est de dévoiler publiquement , pour alerter la population, les noms d’entreprises ayant une conduite éthiquement contestable .
Littéralement, il s’agit de « nommer et blâmer » les mauvais comportements, même s’ils ne sont pas judiciairement répréhensibles. Par exemple, le non-respect du tri de tous les déchets dans les fast-foods, le manque de femmes à la tête de grandes sociétés, ou les entreprises payant la majorité de leurs impôts hors de France. Le "name and shame" menace directement l’image publique de l’entreprise, ce procédé a pour but de pousser les entreprises à changer de comportements pour regagner la confiance de leurs consommateurs, partenaires ou actionnaires.
Une pratique ancienne
Le name and shame est une technique utilisée depuis très longtemps par les ONG comme Greenpeace, ou les associations, pour dénoncer des pratiques peu respectueuses de l’environnement ou des droits de l’Homme. Depuis les années 70, le Royaume-Uni utilise cet outil pour leurs politiques publiques. L’objectif, pour le gouvernement, est avant tout de faire réagir les entreprises et l’opinion publique pour dissuader d’autres sociétés d’user des mêmes méthodes.
En 1992, le gouvernement britannique met en place un outil de mesure pour savoir quel type de véhicule est le plus volé. L’indicateur nommé The Home Office Car Theft Index permet au public de découvrir qu’une majorité des véhicules du constructeur Ford sont dérobés faute de serrures solides. Les ventes chutent, et Ford investit à contrecœur pour mieux sécuriser ses véhicules, afin de redorer son image.
Une mise en place récente en France
En France, le name and shame n’a conquis les pouvoirs publics qu’après l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. Les membres du gouvernement s’expriment régulièrement dans les médias pour mettre en garde certaines entreprises. Le 10 mai 2023 sur RTL, la ministre déléguée au Commerce Olivia Grégoire avertissait les industriels de l’alimentation qui ne baisseraient pas leur prix : « On fera du name and shame, on citera publiquement les marques qui ne veulent pas négocier à la baisse et je ne suis pas sûre que ça leur fasse de la publicité ».
Mais au-delà de ces avertissements médiatiques, est-ce que le name and shame pousse les organisations à modifier leurs comportements ? Selon les spécialistes interrogés, peu d’études directes existent sur le sujet. Il est cependant possible de questionner son efficacité à partir de cas concrets de politiques publiques.
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Une efficacité contrastée
Depuis la crise de 2008 et plusieurs vagues internationales de name and shame , le secteur de la fiscalité des entreprises s’est transformé. Les entreprises ont modifié leurs communications envers le public et même envers leurs actionnaires. « Auparavant, les sociétés mettaient en avant le fait de ‘fiscaliser malin’ en payant le moins d’impôts possible. Alors qu’aujourd’hui, les bilans des grandes entreprises font état de leur taux d’imposition et des sommes versées. Être plus transparentes en matière de fiscalité, c’est tout nouveau pour les sociétés ! Et c’est clairement pour des questions d’image, pour éviter que leur nom soit discrédité et associé à de l’évasion fiscale » soutient Martin Collet, professeur en droit public et fiscal à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas.
Cependant, l’efficacité du name and shame est plus contrastée pour les politiques publiques sur l’emploi. C’est le cas de l’Index d’égalité professionnelle. Ce dispositif permet de mesurer les inégalités salariales entre les hommes et les femmes selon plusieurs critères. Les noms et les scores des entreprises de plus de 1 000 salariés sont accessibles en ligne sur le site du ministère du Travail, dont 44 sociétés ont obtenu un score insuffisant en 2020. Bien que le ministère se félicite que deux sociétés sur trois aient communiqué leurs résultats, les spécialistes sont plus nuancés.
« Selon l’Institut des politiques publiques, même si les entreprises se plient à cette mesure et que certaines tendent à s’améliorer pour éviter d’avoir leur nom associé à un mauvais score, l’index manque d’efficacité réelle dans la réduction des inégalités. Même si on intègre le name and shame dans un dispositif de politique publique, cela ne suffit pas à provoquer des changements concrets dans une entreprise », explique Thomas Delahais, spécialiste Quadrant de l’évaluation des politiques publiques.
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Une médiatisation nécessaire
L’une des problématiques du name and shame est que son efficacité repose en grande partie sur les relais d’opinion et la bonne volonté des entreprises. « L’impact du name and shame dépend beaucoup de l’indignation de l’opinion publique et donc de la diffusion de l’information par les médias et les associations, pour que même les entreprises récalcitrantes se sentent concernées », affirme Mireille Chiroleu-Assouline, professeur de sciences économiques à Paris 1 Sorbonne et à PSE.
Pour garantir l’efficacité du name and shame, il faut avant tout qu’il soit combiné à d’autres dispositifs de politiques publiques. L’expert Thomas Delahais soutient que : « Le name and shame peut marcher et faire bouger les lignes. C’est un procédé qui sert avant tout d’étincelle, il catalyse l’attention sur un sujet pour annoncer un futur changement. Il faut le coupler à d’autres outils d’accompagnements et de sanctions pour déclencher des changements durables ».