Le siège social de Disney, à Burbank près de Los Angeles, a la forme d’un temple grec. Ses cariatides, au lieu d’être des jeunes femmes en toge, sont les sept nains du film Blanche Neige (1937), en hommage au premier long-métrage de l’entreprise. Le message est clair : l’empire Disney est fondé sur ses succès au box-office.
En 2020, la pandémie a secoué le temple sur ses bases. « Cette année n’a ressemblé à aucune autre dans nos vies et dans toute l’histoire de la Walt Disney Company », a commenté Bob Chapek, son directeur général, en présentant début novembre des résultats en baisse (les résultats de l’exercice financier de Disney sont arrêtés fin septembre).
En Chiffres
2,4 milliards
En dollars la perte nette de Disney pour l'année 2020.
Les plus fortes pertes ont concerné le secteur des parcs d’attractions et les ventes de produits dérivés, avec des revenus en baisse de 37 %. À partir de mars 2020, les six parcs Disney – Anaheim (Californie), Orlando (Floride), Paris, Tokyo, Hong Kong et Shanghai – ont dû fermer pendant plusieurs mois, tout comme les 300 Disney Stores dans le monde. Tandis que les quatre paquebots de croisière Disney restaient à quai.
Les plus fortes pertes ont concerné le secteur des parcs d’attractions et les ventes de produits dérivés, avec des revenus en baisse de 37 %. À partir de mars 2020, les six parcs Disney – Anaheim (Californie), Orlando (Floride), Paris, Tokyo, Hong Kong et Shanghai – ont dû fermer pendant plusieurs mois, tout comme les 300 Disney Stores dans le monde. Tandis que les quatre paquebots de croisière Disney restaient à quai.

Ce secteur, le plus important du groupe, représentait près de 40 % du chiffre d’affaires en 2019. Au bout du compte, celui de 2020 a baissé de 6 %, compensé par la hausse des revenus provenant des chaînes de télévision et des plateformes de streaming. Ce qui n’a pas empêché la firme de finir l’année sur une perte nette de 2,4 milliards de dollars.
La magie plus le numérique
En 1923, après une première faillite, le succès surprise d’Alice au pays des merveilles permet à Walt Disney de remonter en selle à Hollywood. Pour ne pas dépendre des seuls cinémas, il diversifie ses revenus avec des produits dérivés dès 1927. C’est toujours à la limite de la faillite qu’il parvient à produire son premier long-métrage, Blanche Neige et les sept nains (1937).
Les financements de la télévision l’aident à ouvrir son premier parc d’attractions, en 1955. Walt meurt en 1966, mais l’écosystème est en place. Après un passage à vide créatif dans les années 70, les successeurs retrouvent la magie Disney avec La Petite Sirène (1989) et Le Roi lion (1994). Les rachats de Pixar (2006), Marvel (2009) et Lucasfilm (2012) permettent de passer au numérique et de conquérir un nouveau public.
Cela ne veut pas dire que le règne de Mickey touche à sa fin. « L’entreprise a constitué au cours des années un portefeuille de marques puissantes », analyse Laurent Creton, spécialiste de l’économie du cinéma à la Sorbonne Nouvelle.
À lire Disney Studio, machine à cash
32 000 emplois supprimés
Comme le voulait son fondateur, Walt, Disney est un écosystème fondé sur son art du storytelling. De Blanche Neige à Star Wars, chacun de ses succès au cinéma est conçu pour devenir un univers commercialisable sous forme de marques rémunératrices. C’est la « magie Disney », un capital immatériel dont les investisseurs raffolent. Pour preuve, courant 2020, le cours de l’action est reparti à la hausse pour atteindre les plus hauts sommets de son histoire.
Brandosaure
Contraction de brand (marque en anglais) et dinosaure comme si l'entreprise anéantissait tout sur son passage. L'incarnation parfaite en est Disney.
L’écosystème Disney, pourtant, ne sort pas sans dommages de cette période. En octobre 2020, le groupe a annoncé 28 000 suppressions d’emplois dans ses parcs d’attractions aux États-Unis, avant de fixer le chiffre à 32 000 en décembre. Cela fait 15 % de ses employés dans le monde. Des Disney Stores disparaissent – au moins 60 vont fermer en Amérique du Nord. En France également, un projet de fermeture de certaines boutiques est à l’étude.
L’enjeu ? S’adapter à un environnement en mutation. Avec la banalisation du haut débit, la plupart des expériences vécues dans le monde physique peuvent avoir lieu en ligne. Au règne des multiplexes et des attractions à grands frissons a succédé l’empire des smartphones.
Rattraper Netflix
La réplique était dans les tuyaux avant la pandémie. Elle a été concoctée par le prédécesseur de Bob Chapek, Bob Iger, resté aux commandes jusqu’en février 2020. Disney+, la plateforme de streaming lancée fin 2019, est le plus grand espoir de croissance du groupe.
« Le vrai point positif est notre activité de vente directe aux consommateurs, qui est la clé de l’avenir de la compagnie », a souligné Bob Chapek en présentant les résultats. De ce point de vue, le Covid-19 s’est avéré un allié. Le nombre d’abonnés à Disney+ a triplé de 33,5 millions en mars 2020 à 103,6 millions en avril 2021.

ESPN+, qui diffuse en streaming des événements sportifs et Hulu, rachetée en 2019 avec la 21st Century Fox, ont profité de la même vague. Le groupe Disney cumulait 159 millions d’abonnés à un service de streaming au premier trimestre 2021, contre 200 millions pour le service Prime d’Amazon (qui comprend l’offre Prime Video) et 207,6 millions pour le leader Netflix. En septembre 2020, Disney s’est permis un coup de force.
Son long-métrage très attendu, Mulan, est sorti directement sur Disney+ sans faire le détour par une sortie sur grand écran, court-circuitant la traditionnelle chronologie des médias.
La chronologie des médias
En apprenant que Mulan ne sortirait que sur Disney+, un exploitant de salles français a détruit à coups de batte de base-ball le présentoir de carton qu’il avait dans son hall. En temps normal, une chronologie des médias impose un délai de plusieurs mois entre la sortie d’un film sur grand écran et sa diffusion sur d’autres supports, le temps pour les cinémas de faire leur recette.
La règle est fixée par la loi pour les DVD, Blu-ray et la VOD (délai de trois ou quatre mois). Elle est négociée entre l’ensemble des professionnels du secteur pour les télévisions et plateformes de streaming (six à 36 mois). « Cette chronologie ne se déclenche qu’à partir d’une sortie nationale au cinéma », explique Marc Le Roy, spécialiste en droit audiovisuel. Ce qui autorisait Disney à la zapper.
Le dernier indépendant
Pourtant, les succès au box-office ont toujours fait la fortune de Disney, notamment grâce aux répercussions sur la vente de produits dérivés. Tandis qu’entrer sur ce nouveau marché est un investissement qui coûte cher à l’entreprise.
L’activité de streaming affichait une perte opérationnelle de 2,8 milliards de dollars pour l’exercice financier 2020. La perte était encore de 756 millions de dollars sur les six premiers mois de 2021. Il faut dire que 30 % des abonnés Disney+ ont souscrit l’offre low cost Hotstar, lancée sur les marchés indien et indonésien.
En Chiffres
230 millions
Le nombre d'abonnés nécessaires à Disney+ pour atteindre le seuil de rentabilité.
Disney+ ne devrait devenir rentable qu’en 2024, à partir de 230 millions d’abonnés. Ce qui explique un regret de Bob Chapek, exprimé en décembre 2020 : « Nos films avaient gagné 13 milliards de dollars au box-office en 2019. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut prendre de haut. »
Reste que Disney est aujourd’hui la seule major à conserver les moyens de son indépendance. « Warner Bros a été rachetée par AT & T, la MGM par Amazon… Disney est la figure de proue d’un bateau qui coule », souligne Alexandre Bohas, professeur de relations internationales à l’Essca et auteur d’une thèse sur le capitalisme culturel de Hollywood. Comment ne pas sombrer avec le reste du navire ?
Les rachats de Pixar, Marvel et Lucasfilm ont permis à Disney de rester au goût du jour. Mais il faudra rester créatif pour offrir de nouvelles histoires à l’écosystème. Car les sept nains finiront bien par faire valoir leurs droits à la retraite.