Economie

Le télétravail confiné, un booster de burn-out

Témoignages et études d'opinions soulignent une hausse de la détresse psychologique depuis le début du confinement. Est-ce à dire que le surmenage, voire le burn-out, guette les travailleurs à distance improvisés ? Cinquième volet de notre série "Nos vies de bureau confinées". 

Elsa Fayner
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Illustration de l'article <span><span><span><span><span><span><span>Le télétravail confiné, <span class="highlighted">un booster de </span></span></span></span></span><span class="highlighted"><span lang="EN-US" xml:lang="EN-US" xml:lang="EN-US">burn-out</span> ? </span></span></span></span>

© Simon Bournel / Pour l'Eco

Pauline* est « en mode survie : si je ne gère pas mieux mon temps, en juillet je serai épuisée, et je n’ai pas de pause cette année. » Vincent, lui, a failli « tout plaquer mi-avril : Je me suis dit que je n’étais pas fait pour mon job finalement, que je n’arrivais plus à affronter mes problèmes. J’ai vraiment pensé démissionner. » Tandis que Sabine se dit « dégoûtée » : « quand j’ai dit à mon patron que j’avais les deux enfants à la maison, il m’a dit que je n’avais qu’à travailler le soir. C’est ce que je fais, en plus de la journée. Pas sûre de tenir encore longtemps. »

En Chiffres

21%

des télétravailleurs se disent en "détresse psychologique". C'est 6 points de plus que trois semaines plus tôt.

Augmentation du temps de travail

Selon un sondage réalisé par Opinion Way pour le cabinet Empreinte humaine, 47 % des salariés interrogés entre le 15 au 22 avril se déclarent en « détresse psychologique », contre 44 % entre le 31 mars et le 8 avril. Chez les télétravailleurs, 21 % se disent concernés par la détresse psychologique, soit 6 points de plus en trois semaines. Est-ce à dire que le surmenage, voire le burn-out, guette les travailleurs à distance improvisés ?

J’ai pensé que ça ne durerait qu’un temps et que ça allait se calmer, mais pas du tout…
Vincent, comptable

Depuis le début du confinement, Pauline est sur son écran de 8h30 à 19h, elle prend vingt minutes pour déjeuner, week-end compris, le tout depuis chez elle. « J’ai pris mon poste il y a trois mois, explique cette cadre supérieure dans une entreprise de cosmétiques. Mon rôle est d’organiser les réunions stratégiques qui, habituellement, se tiennent à un rythme régulier. J’ai à peine eu le temps de m'adapter que le planning complet est tombé à l’eau. Il faut tout reprogrammer… » 

Vincent aussi a « beaucoup plus de travail » qu’en temps normal. « J’ai pensé que ça ne durerait qu’un temps et que ça allait se calmer, mais pas du tout… », raconte le comptable, qui doit remplir les fiches de paie de ses clients, dont certains recourent au chômage partiel, ce qui allonge un peu plus ses journées. « Ca n’arrête pas. Dix heures par jour. On est en permanence totalement à fond. »

Des passionnés désœuvrés

Il faut dire que, depuis l’ordonnance gouvernementale du 25 mars, la durée hebdomadaire maximale de travail en France peut aller jusqu’à 60 heures, contre 48 heures en principe. Quand la durée du repos quotidien entre deux journées travaillées peut être réduite à 9 heures consécutives, et non plus 11.

La charge de travail n’explique cependant pas à elle seule le mal-être de certains salariés, confinement ou pas. Celles et ceux qui craquent sont avant tout « des individus qui apprécient leur activité, s’investissent beaucoup et y trouvent du sens. Ils ont souvent un lien affectif avec leur travail, ce que le management moderne encourage », analyse Samuel Michalon, psychologue du travail. « Cela crée une très grande satisfaction, une grande émulation. Jusqu’au moment où l’entreprise change les règles du jeu. »

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Perte d’autonomie… et de sens

C’est ce changement qui peut gravement perturber, surtout s’il est durable. De nouveaux horaires moins compatibles avec la vie privée, des courriels qui débordent sur la nuit, des marges de manœuvre soudain réduites, de nouveaux logiciels sans la formation adaptée, des consignes qui se mettent à changer tout le temps, etc. Ce qui avait un sens peut commencer à en perdre, et l’équilibre s’effriter.

Sabine le constate depuis quelques semaines : « Je découvre à quel point mon patron veut tout contrôler, je perds de l’autonomie. Ce n’est pas pour ça que j’ai signé. » Pauline déplore de son côté la place que prend son travail maintenant : « J’ai beau partager l’appartement avec ma fille, je ne la vois pas, sauf pour les repas. Je ne fais que bosser. Faudra faire le bilan de tout ça.» Vincent le dit aussi : « je fais le même métier que ma compagne, on télétravaille tous les deux, on parle boulot dès qu’on arrête, on ne décroche jamais. Pour évacuer, penser à autre chose, c’est compliqué. J’espère avoir une prime avec tout ce que je fais... »

« Surcharge émotionnelle »

Vincent regrette les moments entre collègues. « Les pauses-café, l’apéro du vendredi, le resto du midi me manquent », confie le comptable. « Ce sont des soupapes », des « respirations », estime aussi Sylvaine Perragin. La psychothérapeute et consultante en ressources humaines craint des dépressions chez les télétravailleurs à cause de cette « surcharge émotionnelle » provoquée par le fait de partager en permanence le même espace que la famille, les enfants, le conjoint, et de devoir répondre à leurs sollicitations en permanence. « Le travail, c’est aussi un moyen de s’isoler », insiste Sylvaine Perragin.

Le travail, c’est aussi un moyen de s’isoler.
Sylvaine Perragin.

Psychothérapeute

« Pour tenir, ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier », résume Robert Neuburger. Pour lui, il est important de s’investir dans différents « cercles d’appartenance » : famille, couple, amis, associations, clubs sportifs, églises, entreprise. Cela permet de se forger ce que le psychiatre et psychanalyste appelle notre « sentiment d’exister », celui qui nous aide à nous tenir debout, à nous sentir le droit d’avoir notre place ici. Que ce sentiment vacille et on peut glisser dans la dépression. Ou dans le burn-out, cette dépression particulièrement brutale qui s’accompagne de symptômes physiques, souvent médicalement inexpliqués. Pauline, Sabine ou Vincent n’en sont pas là.

*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée.

Série | Nos vies de bureau confinées

A partir de témoignages et de situations concrètes, Elsa Fayner interroge notre manière de travailler à l’heure du Coronavirus. En 5 épisodes, la série « nos vies de bureau confinées » explore ce qui pourrait bien devenir notre façon de travailler « après » le confinement. Les illustrations sont signées Simon Bournel.

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