Le télétravail va-t-il supprimer la rêverie, socle de la créativité ?
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Le télétravail va-t-il supprimer la rêverie, socle de la créativité ?

Elsa Fayner
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Le télétravail redessine les rythmes de notre quotidien, avec moins de temps "morts". Pourtant, la divagation est précieuse pour la santé des travailleurs et sans doute très utile à la performance des entreprises. Quatrième épisode de notre série "Nos vies de bureau confinées".

« Depuis que je travaille chez moi, j'ai l’impression d’être happé par mille sollicitations. Je ne m’y attendais pas. » Patrice, ouvrier dans une usine automobile, est également syndicaliste. Son téléphone n’arrête pas de sonner depuis le début du confinement. Avec des conséquence sur sa vie et sur sa capacité à ...rêvasser. Il regrette : « Je lisais beaucoup dans le RER, je levais le nez sans penser à rien. Je n’ai plus ces moments de décompression ». Le télétravail, en redessinant les rythmes de notre quotidien, aurait-il supprimé ces moments suspendus propice à la déconnexion créative ?

Quand l'esprit divague, le cerveau passe en « mode par défaut », expliquent le psychologue Yves François et le docteur en neurosciences Jérémy Grivel. « Le mode par défaut correspond au moment où nous cessons de nous focaliser sur une page ou un écran. Nous nous mettons sur pause. Le cerveau reste très actif, consomme autant d’énergie que quand il lit, mais fonctionne différemment. » Nous passons en moyenne 50 % de notre temps d’éveil en mode par défaut. Sans nous en rendre compte.

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Divaguer pour trouver 

Cet état d’esprit peut s’inviter à tout moment, dans les transports ou au travail, confiné ou pas. « Un battement de paupière suffit » pour changer d’état d’esprit. « Pendant une visioconférence, on voit très bien les moments où l’attention lâche chez quelqu’un : il est moins attentif, plus immobile et son regard est ailleurs. Un simple mot sur l’écran peut lui permettre de s’évader. Il continue à balayer le texte mais il ne sait plus ce qu’il a lu. »

C’est arrivé à Julien lors d’une réunion en ligne : « on peut facilement s’échapper d’une réunion à distance, d’autant plus que j’active rarement la vidéo. Parfois, c’est pour travailler sur un autre dossier, et parfois pour laisser flotter mes pensées ». Il remarque qu’il « décroche » plus facilement à distance. Au travail, quand il sent qu’il n’est plus productif, il fait un tour au square ou raconte des blagues dans le bureau voisin.

Contrairement à une idée répandue, rêvasser serait productif. C’est en tout cas le sens des propos des deux chercheurs Yves François et Jérémy Grivel, qui dirigent également une agence de conseils aux entreprises. Ils s’évertuent à convaincre les employeurs de laisser les salariés s’évader mentalement.

« De façon automatique et non consciente, le cerveau passe en revue des dizaines, voire des centaines de solutions aux questions que nous nous posons pour isoler les meilleures, développe le psychologue. Le cerveau plonge dans notre passé pour se remémorer toutes les façons dont nous avons réagi à une situation similaire, ou pour faire des liens avec d’autres événements, d’autres données. Il teste des possibilités et il construit, à partir de ce matériau ancien, un scénario nouveau, unique, adapté. »

Le cerveau plonge dans notre passé pour se remémorer toutes les façons dont nous avons réagi à une situation similaire, ou pour faire des liens avec d’autres événements, d’autres données. Il teste des possibilités et il construit, à partir de ce matériau ancien, un scénario nouveau, unique, adapté.
Yves François, Psychologue

Innover en rêvant  

La place du rêve dans l’entreprise fait même l’objet d’une étude très sérieuse publiée en 2016 par Capgemini Consulting et The Boson. 82 % des 2 500 répondants, composés en grande majorité de cadres et de salariés, soulignent que les mots « rêve » et « entreprise » constituent « un couple compatible ». Surtout, 62,5 % d’entre eux estiment que « rêver en entreprise » apparaît « vital »« Le rêve constitue l’une des clés fortes de l’engagement des salariés », poursuit l’étude, tout en notant que 42 % des personnes interrogées ne sont pas en mesure de rêver au travail.

Ces moments seraient utiles à la performance de l’entreprise. « Par ce même mécanisme de balayage, le cerveau est capable de faire émerger une idée nouvelle. Si cette idée, ou cette réponse, est jugée géniale, le cerveau nous sort de notre rêverie. » Songer permettrait donc de trouver une solution à un problème et faire germer de nouveaux projets.

Floriane a également pris conscience de ce phénomène. Pour cette maquettiste, le mode « cerveau par défaut » intervient plus facilement quand elle écoute de la musique au travail. Des idées de mise en page surgissent dans ces moments là. « Mon esprit se libère et les solutions arrivent plus rapidement. Puis les alertes Hangouts de Google m'arrachent à mes flâneries », s’amuse-t-elle.

La quadra estime elle aussi les échappées mentales plus accessibles depuis chez elle. « Au début du confinement, j’ai entendu une mouche voler. J’ai adoré ! En temps normal, je travaille en open space. Il y a donc toujours du bruit autour de moi, des échanges brefs, des débats, un bruissement de stress, des toux, des éternuements. Jamais de silence. Ce brouhaha n’était pas propice à la rêverie ». En complément de l'incontournable pause-café, l’entreprise performante de demain sera-t-elle celle qui autorisera la pause-rêve ?

Série | Nos vies de bureau confinées

A partir de témoignages et de situations concrètes, Elsa Fayner interroge notre manière de travailler à l’heure du Coronavirus. En 5 épisodes, la série « nos vies de bureau confinées » explore ce qui pourrait bien devenir notre façon de travailler « après » le confinement. Les illustrations sont signées Simon Bournel.