L'essentiel
- En arrivant à la tête de Twitter, Elon Musk a brutalement licencié la moitié des salariés et posé un ultimatum aux restants
- Musk met en danger la survie de l'entreprise en prenant le risque d'en faire une coquille vide
- Conformément à l'effet d'Hawthorne, ses méthodes autoritaires risquent de diminuer la productivité des salariés
______
Fermeture de différents services, prises de décisions sans concertation, suppression du télétravail… Le patron de Tesla et SpaceX a fait une entrée fracassante à la tête du réseau social à l’oiseau bleu. Depuis sa prise de poste officielle comme dirigeant et propriétaire le 27 octobre dernier, c’est toute la stratégie, mais aussi l’organisation interne de l’entreprise, qui se sont vues bouleversées.
La coopération et la concertation entre membres de l’entreprise semblent avoir disparu chez Twitter, au profit d'une hypercentralisation de la décision, autour de Musk et de ses fidèles. Preuve en est : après un ultimatum posé par le néo-propriétaire à ses salariés (les 50 % n’ayant pas été licenciés après son arrivée), leur demandant de prévoir « de longues heures de travail à haute intensité » ou de quitter le navire, une nouvelle vague de départ a été enregistrée.
Genèse des relations entre patrons et salariés
Cette gestion managériale pourrait coûter cher à Elon Musk. Certes, l’entreprise repose sur les principes de hiérarchie et de subordination. Comme le décrivait Karl Marx, les patrons possédant les moyens de production, les salariés en sont dépendants pour exercer leur force de travail. Et ce principe s'applique également aux entreprises non-industrielles : du siège à la marque, Elon Musk possède tous les éléments qui permettent de faire tourner Twitter.
À lire aussi > Opinion publique. Après le rachat par Elon Musk, chamboule-tout sur l'audience de Twitter
Les méthodes rigides d’organisation du travail ont fait leurs preuves dans le passé. La naissance du taylorisme, instauré par l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor au début des années 1880, a notamment permis une augmentation de la productivité, avec une division des tâches et un management basé sur l’organisation scientifique du travail (OST). Les dirigeants mettaient en place une stratégie de conception industrielle, que les salariés n’avaient plus qu'à appliquer mécaniquement.
Organisation scientifique du travail
Méthode de gestion et d'organisation du travail créée par Frederick Winslow Taylor et qui repose sur une division extrême du travail. Selon Taylor, la productivité d'une entreprise ne peut être améliorée qu'en décomposant les différentes étapes d'un travail.
Pour autant, de nombreux travaux sociologiques et de modélisation économique ont montré que le fonctionnement d’une entreprise ne repose pas uniquement sur la subordination. Chaque employé possède des compétences propres, toutes maillons de la chaîne de production. Bien qu’Elon Musk n’en soit pas à son premier poste de dirigeant, il ne peut pas toutes les maîtriser.
Il ne ne peut donc pas se passer de l’investissement de ses salariés. « Lorsqu’on achète une entreprise, on achète des compétences : si elles partent, la coquille se vide », analyse Audrey Rouzies, professeure en management stratégique à Toulouse School of Management.
La coopération pour une croissance durable
Confiance, participation et investissement vont de pair avec la rentabilité. C’est en tout cas ce que laisse entendre l’expérience de Hawthorne, réalisée par le sociologue Elton Mayo entre 1927 et 1932 au sein de la Western Electric Company, afin de tenter de définir les facteurs améliorant la productivité du personnel. Étonnamment, ce ne sont pas les modifications des conditions de travail qui ont augmenté l’investissement des ouvriers, mais le fait de faire l'objet d’une attention particulière, donc d’être considérés.
Effet Hawthorne
Situation dans laquelle les résultats d'une expérience ne sont pas dus aux facteurs expérimentaux mais au fait que les sujets ont conscience de participer à une expérience dans laquelle ils sont testés, ce qui se traduit généralement par une plus grande motivation. En entreprise, cet effet s'observe lorsque la productivité des employés augmente en raison de l'attention particulière qui leur est portée. L'expression tire son nom d'une usine de la ville de Hawthorne, près de Chicago.
Durant les Trente Glorieuses, période d’importante croissance économique qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, s’est développé un nouveau courant managérial : celui du développement organisationnel.
En prenant en compte les intérêts de l’ensemble des acteurs, il est fondé sur la cogestion. On retrouve aujourd’hui ce type de gestion, appelé « modèle partenarial » (ou stakeholder) notamment en Allemagne et dans les pays scandinaves.
« La participation des salariés augmente leur motivation, car ils s’approprient l’entreprise », affirme Françoise Piotet, professeure émérite à l'Université Panthéon-Sorbonne où elle a dirigé l'Institut des Sciences Sociales du Travail. À l’inverse, « le modèle que propose Elon Musk est une adhésion totale et sans réserve, les salariés étant considérés comme des soldats à qui on ne demande pas leur avis, analyse l’experte. À terme, on a constaté qu’avec ce type de patron, presque caractériel, l’entreprise va à la catastrophe ».
Une période de bouleversement nécessite une équipe solide
La présence d’un patron proposant un cap est nécessaire en période de changement, telle que celle traversée par Twitter. Mais selon Audrey Rouzies, qui travaille depuis vingt ans sur les enjeux humains dans les fusions-acquisitions, une transition réussie repose sur l'exemplarité du leader. « Une nouvelle stratégie doit passer par une communication ouverte, pour que chacun puisse s'approprier les objectifs, y adhérer et les mettre en œuvre. Aucune entreprise ne peut avoir un avantage concurrentiel durable sans l’engagement et le soutien des collaborateurs ».
Avantage concurrentiel
Ensemble d'éléments qui confère à une entreprise un avantage sur ses entreprises concurrentes, l’aidant à attirer plus de clientèle et à accroître sa part de marché. Cela peut être : un avantage de coût (inférieur à celui des entreprises concurrentes), d’offre (de plus grande qualité par exemple)...
Le cas de la fusion ratée de Daimler et Chrysler, en 1998, illustre ce phénomène. Les cultures nationales américaines et allemandes, que ce soit au niveau de la production, du marketing ou du management, étaient incompatibles. Résultat : la fusion des deux entreprises a échoué. « On estime à hauteur de 50% les opérations de fusions-acquisitions qui n’atteignent pas leurs objectifs », indique Audrey Rouzies.
À lire aussi > Fusions-acquisitions : quels risques, pour quels bénéfices ?
La spécificité du modèle américain
A noter que les relations entre patrons et salariés aux Etats-Unis sont bien différentes du modèle français, strictement encadré. Les lois Auroux de 1982 ont renforcé les droits des travailleurs instaurés en 1910 avec le Code du Travail. Les salariés ont un droit d’expression quant à leurs conditions de travail et une négociation collective doit être réalisée chaque année sur la durée, l’organisation du travail ainsi que sur les salaires.
Outre la protection des salariés et l’introduction des principes de démocratie dans le monde du travail, ces lois visent également à responsabiliser les acteurs au sein de l’entreprise et à renforcer le dialogue social au sein des structures.
« Il n’y a pas de comité d’entreprise, d'œuvres sociales ou d’obligation de mutuelle aux Etats-Unis. Le lien dans l’entreprise n’est pas de même nature », rappelle Françoise Piotet. Ainsi, les syndicats ne sont pas obligatoires, et la majorité des entreprises n’ont aucune instance de médiation. « Les salariés peuvent être licenciés du jour au lendemain, comme l’illustre ce qu’il s’est passé chez Twitter ».
À lire aussi > Licenciements massifs chez Twitter : aux États-Unis, le patron est-il tout puissant ?
Dans le programme de SES
Première. « Comment les entreprises sont-elles organisées et gouvernées ? »