26 mai 2023 : face à plusieurs dizaines de militants devant la salle Pleyel à Paris, les actionnaires de Total Énergies ont du mal à entrer. Comme l’an dernier, et comme pour d’autres groupes pétroliers. Ces militants demandent une politique environnementale plus ambitieuse.
Pour eux, le « Say on Climate » proposé en assemblée générale cette année par Total, comme huit autres entreprises cotées en France, est très insuffisant. « La stratégie climat de Total prévoit plusieurs nouveaux projets pétroliers et gaziers, explique Lorette Philippot, porte-parole des Amis De La Terre. Ce n’est donc pas un plan climat crédible ».
Say on climate
Résolution, non contraignante, que les entreprises présentent en assemblée générale et dans lesquelles elles affichent leur stratégie environnementale.
Pour elle, la contre-proposition plus ambitieuse, émanant de 17 actionnaires de Total Energies, est « un signe positif ». Rejetée, elle a tout de même recueilli 30 % des voix. « Certains actionnaires, BNP, par exemple, ont soutenu à la fois la résolution de Total et la contre résolution. C’est de l’hypocrisie, un manque de courage alors que, une fois par an, ils pourraient faire bouger les choses ». Elle ajoute : « Dans les AG de certains grands groupes, on trouve des actionnaires extrêmement opposés aux discours des scientifiques et des ONG, qu’ils huent, mais ce n’est pas la norme ».
Pour elle, la contre-proposition plus ambitieuse, émanant de 17 actionnaires de Total Energies, est « un signe positif ». Rejetée, elle a tout de même recueilli 30 % des voix. « Certains actionnaires, BNP, par exemple, ont soutenu à la fois la résolution de Total et la contre résolution. C’est de l’hypocrisie, un manque de courage alors que, une fois par an, ils pourraient faire bouger les choses ». Elle ajoute : « Dans les AG de certains grands groupes, on trouve des actionnaires extrêmement opposés aux discours des scientifiques et des ONG, qu’ils huent, mais ce n’est pas la norme ».
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Un organe de gouvernance central mais pas déterminant
Si les assemblées générales sont de plus en plus sous le feu des médias et des militants, la politique des entreprises s’y décide-t-elle vraiment ? Obligatoire une fois par an, l’AG réunit les actionnaires détenant des parts dans la société, en résumé les "copropriétaires" de l’entreprise.
Les administrateurs, choisis par les actionnaires, forment le conseil d’administration (CA), élisent un président du conseil et rendent des comptes aux actionnaires lors des AG. La direction générale assure le fonctionnement de l’entreprise et le CA garantit l’exécution à long terme de la stratégie. En théorie, les actionnaires nomment et peuvent révoquer les administrateurs. En réalité, explique Miriam Garnier, juge honoraire et professeure en gouvernance, stratégie et intelligence économique, « les administrateurs sont nommés par le conseil et l’assemblée générale ne fait que ratifier. La stratégie est présentée en AG mais le vote des actionnaires n’est obligatoire que sur des points mineurs : emprunts, opérations immobilières… ».
Lorette Philippot regrette que « les entreprises brandissent des engagements de long terme extrêmement flous », mais les actionnaires ne connaissent pas suffisamment l’entreprise de l’intérieur pour décider de sa stratégie, selon Tiphaine Compernolle, chercheuse en sciences de gestion à l’école de commerce Ieseg. Ils peuvent « exprimer leurs grandes attentes », mais pour déposer une proposition de résolution en AG, il faut rassembler au moins 10 % des voix, et le CA a le droit de la rejeter avant l’AG. La chercheuse note cependant que « dans le cas d’un actionnariat familial, les actionnaires et le CA sont très proches et se comprennent ».
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Atteindre le conseil d’administration
L’organe central, c’est le conseil d’administration. « Ses débats se tiennent de façon tout à fait fermée, raconte Miriam Garnier. Au sein du CA, le rapport de force peut être extrêmement violent, j’ai assisté à des réunions où les gens se hurlaient dessus ». Le CA a une responsabilité collégiale vis-à-vis des actionnaires, mais en cas de poursuite judiciaire, chaque administrateur est responsable individuellement de son vote.
Certains grands actionnaires, souvent des fonds de gestion d’actifs, essayent d’influencer le conseil d’administration. « En règle générale, ce sont les investisseurs les plus puissants qui désignent les administrateurs », note Miriam Garnier. Avec un risque élevé de conflit d’intérêts. La loi impose d’ailleurs un nombre minimum d’administrateurs, pour garantir une certaine pluralité.
Gouvernance d’une société anonyme (SA)
Une société anonyme, avec des actionnaires copropriétaires, peut être dotée d’un conseil d’administration (trois à dix-huit administrateurs), ou d’un conseil de surveillance, organe non exécutif qui "surveille" un directoire. Dans les deux cas, le conseil répond à l’assemblée générale des actionnaires. Côté opérationnel, l’entreprise est dirigée par un directeur général. Le CA élit un président. S’il est aussi président du conseil, alors il est PDG (président – directeur général).
Le fonctionnement de l’AG et celui du CA doivent respecter un cadre légal. « Le droit français considère qu’une société, en tant que "personne morale", possède un intérêt propre distinct de celui de ses actionnaires", rappelle Miriam Garnier, la société n’a pas le droit de poursuivre une activité déficitaire et doit donc rechercher la rentabilité ».
Une résolution votée en AG ne peut donc ni être en contradiction avec l’objet social de l’entreprise (présent dans ses statuts qui sont modifiables seulement à l’unanimité), ni l’empêcher d’être rentable. La loi Pacte (2019) ajoute cependant la prise en compte obligatoire, par l’entreprise, de ses impacts sociaux et environnementaux, et le choix d’une "raison d’être".
Les actionnaires sont de plus en plus impliqués. L’autorité des marchés financiers (AMF) milite pour que leurs résolutions soient systématiquement présentées en AG. L’IFA (Institut français des administrateurs) recommande « une communication tout au long de l’année avec les actionnaires », rappelle sa directrice générale, Karine Dognin-Sauze.
Se développent des « fonds activistes », qui investissent dans des entreprises jugées « propres » ou dans des entreprises plus polluantes, pour infléchir leur activité, et peuvent aussi conseiller les actionnaires individuels sur leur vote.
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D’autres moyens de pression existent. « Toutes les techniques d’influence peuvent être utilisées dans le cadre d’une guerre économique, note Miriam Garnier : infiltration du CA et du top management, influence médiatique, action judiciaire… »
Cela commence à porter ses fruits : « 30 % pour la contre résolution chez Total, c’est le signe que les actionnaires sont inquiets et Total doit vraiment s’en préoccuper, assure Tiphaine Compernolle. Les actionnaires s’expriment en AG mais peuvent aussi le faire en partant ».
Pour Karine Dognin-Sauze, les questions environnementales sont « un enjeu parmi d’autres. L’assemblée générale doit aborder la stratégie dans son ensemble. Les questions sociétales prennent une place croissante dans les AG qui n'ont pas pourtant pas vocation à être un lieu de débat sociétal ».
Reste que dans les multinationales, une poignée d’administrateurs prend des décisions qui ont des répercussions mondiales. « On ne peut pas laisser les entreprises ou leurs actionnaires dicter aux populations de la planète dans quelles conditions environnementales elles vont vivre, tranche Miriam Garnier. Ce n’est pas au capital privé mais au législateur de définir la norme ».
Pour aller plus loin
Recommandations de l’Association française de gestion (AFG) sur la bonne gouvernance en entreprise et notamment en assemblée générale
Code de commerce, partie législative, livre II, partie II, chapitre V, section 3, sur les assemblées d’actionnaires des sociétés anonymes
Dans le programme de SES
Première. « Comment les entreprises sont-elles organisées et gouvernées ? »