Economie
Les collectifs de salariés vont-ils verdir le capitalisme ?
Soucieux de faire avancer la cause écologique dans leur entreprise, ils se regroupent de manière informelle et en général spontanée. Cette nouvelle forme d’engagement, concurrente et complémentaire des syndicats, commence à avoir un réel impact.
Elsa Ferreira
© Getty Images/iStockphoto
Dans les couloirs, à la sortie des ateliers, devant la machine à café, les salariés se réunissent et discutent. Le sujet : la transition écologique de leur entreprise et les actions à mettre en œuvre pour y parvenir. Afin de structurer leurs initiatives, ils décident parfois de se regrouper en collectifs. Alstom, EDF, Veolia, Michelin, Hermès, Decathlon…
Plus d’une centaine d’entreprises françaises – dont 30 % du CAC40 – ont désormais leur collectif interne. En 2021, des bénévoles de ces organisations informelles ont formé l’association Les Collectifs afin de se mettre en réseau et de partager leurs retours d’expériences. De 27 collectifs en 2021, ils sont passés à plus de 100 en 2023.
Si ces structures sont innovantes, elles ne sont pas nouvelles, explique Tristan Haute, enseignant-chercheur en science politique à l’université de Lille, spécialiste des relations professionnelles et du rapport des salariés aux syndicats. « Elles sont inspirées de théories managériales développées dans les années 1980-1990 ».
À cette époque, la critique du taylorisme se popularise et laisse place au concept de management participatif. L’idée : impliquer les salariés dans des structures collectives, éloignées des syndicats et davantage dépendantes de la hiérarchie et de la direction, explique le spécialiste.
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De la confrontation à la co-construction
La nature des relations entre l’organisation salariale et la hiérarchie est fondamentale. Alors qu’une structure syndicale se construit sur une base revendicative « puisqu’il s’agit ensuite de négocier avec les employeurs », les collectifs se construisent dans un objectif « d’amélioration des résultats de l’entreprise », analyse l’enseignant-chercheur. « Longtemps on avait des cercles de qualité qui permettaient d’améliorer la qualité des produits de l’entreprise ; là, on peut améliorer l’ambiance de travail, la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise. »
Cela n’empêche pas ces collectifs de constituer un contre-pouvoir, précise Tristan Haute, « mais on est dans des dynamiques d’arrangement beaucoup moins formalisées et conflictuelles que le dialogue social ».
Pour Raphaël Deswarte, employé d’une grande banque française et bénévole au sein des Collectifs, les deux structures, syndicales et collectives, sont « complémentaires ». « Un certain nombre de personnes participent aux deux », précise-t-il.
Moins formel que le syndicat, le collectif permet néanmoins d’embarquer les salariés « à partir d’un élan commun et d’une envie de passage à l’action ».
Le bénévole se retrouve dans une dynamique de co-construction où les collaborateurs engagés dans les collectifs souhaitent être force de proposition pour insuffler des changements dans l’entreprise. « Les décideurs décident, mais les collectifs sont là pour permettre aux salariés de prendre part à cette décision. Ils sont la partie prenante la plus au cœur de l’entreprise et doivent y avoir une place suffisante. »
Lobbying interne
Reste une question : peut-on changer les choses de l’intérieur ? « Il n’y a pas de solution miracle, reconnaît Raphaël Deswarte, il faut faire preuve d’humilité face aux transformations profondes du monde, il existe une multitude de leviers, l’un d’entre eux est cette transformation interne. »
Avec son « Atlas des actions » l’association Les Collectifs recense les initiatives existantes et fournit un manuel pour les implanter à son tour dans son entreprise. Au menu, sensibiliser et former (fresque du climat, ateliers et tables rondes…), faire évoluer les pratiques internes (restauration d’entreprise, politique de transports, recyclage des mégots et compostage…), mais aussi plaider pour une redirection responsable des modèles d’affaires (convention citoyenne interne, co-construction avec le département RSE…).
La capacité à changer les choses de l’intérieur dépend aussi de la taille de l’entreprise, du secteur d’activité, des formes d’actionnariat ou encore de la tradition de négociations dans l’organisation, ajoute Tristan Haute. « La relation employé/employeur est fondé sur un échange : d’un côté force de travail et subordination, de l’autre un salaire et le droit du travail. » Les travailleurs qualifiés ont bien plus de marge de négociation que les autres.
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Risques de récupération
Malgré leurs bonnes intentions, ces collectifs ne risquent-ils pas de devenir, aux yeux des dirigeants, un instrument pour contenir les ambitions écologiques des employés, pour canaliser les revendications dans les limites de la stratégie de l’entreprise, pour les mettre au service d’une politique RSE et donc de la communication ? s’interroge Tristan Haute, qui renchérit : « Ça peut aussi permettre de tenir les syndicats à distance. »
Pour Raphaël Deswarte, « c’est un risque, mais ce que nous constatons, ce sont surtout des collectifs créés spontanément et des employés bénévoles. S’ils donnent de leur temps, c’est qu’ils sont convaincus que ça apporte quelque chose. Et beaucoup de responsables RSE se rendent compte que la liberté du collectif lui permet d’être un laboratoire d’idées utile pour l’entreprise. »
L’éco-syndicat se voit comme l’avenir du dialogue social
Tristan Haute, enseignant-chercheur en science politique à l’Université de Lille, le reconnaît, « les sujets environnementaux sont plutôt secondaires pour les organisations syndicales ».
Pourtant, un vent nouveau souffle : en 2020, une cinquantaine de salariés ont créé Printemps Écologique, un « un éco-syndicat pour transformer l’appareil productif de l’intérieur » et mettre l’écologie au cœur du dialogue social. Aujourd’hui, l’organisation rassemble plusieurs milliers de sympathisants dans 170 entreprises.
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