L'essentiel
- Les intérimaires sont souvent employés pour couvrir les besoins de main-d'œuvre en période de hausse d'activité, comme durant la période de Noël.
- Ils sont considérés comme une solution temporaire pour les entreprises qui ont besoin de flexibilité pour gérer les aléas de l'activité.
- Cependant, ces emplois temporaires et « atypiques » peuvent être précaires et mal rémunérés, et peuvent mettre en danger la sécurité financière des travailleurs qui en dépendent.
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Il est 18h10 ce samedi 10 décembre, à la sortie du métro Château d’Eau, à Paris. Charles hâte le pas pour se rendre à sa mission de manutention du soir. À 21 ans, cet étudiant a déjà de nombreux emplois courts derrière lui, pour une multitude de tâches différentes. Une manière de gagner de l’argent adaptée à son emploi du temps.
Ces emplois d’un jour, il les trouve depuis deux ans via l’application StaffMe, une entreprise de travail temporaire d’un nouveau genre, qui confie des missions à des travailleurs ayant un statut d'auto-entrepreneurs. Une illustration du développement des formes de travail dites « atypiques » ou formes particulières d’emploi, qui se sont développées depuis les années 1980.
Emplois atypiques
Emploi qui ne correspond pas aux modèles traditionnels d'emploi à temps plein à durée indéterminée pour un seul employeur. Il peut être caractérisé par une durée de travail incertaine, des horaires irréguliers, une rémunération non salariale ou une absence de contrat de travail formel. Ces formes d'emploi sont souvent considérés comme précaires, car généralement moins stables, souvent associés à des salaires inférieurs et à une moins bonne couverture sociale. Cependant, ils peuvent être adaptés à certaines situations de travail, comme l'emploi étudiant ou l'emploi à temps partiel pour concilier vie professionnelle et personnelle. Selon l’Insee, cela concernait 13,7 % des travailleurs en 2018.
Né aux Etats-Unis au début des années 1950, le travail intérimaire s’inscrit dans le modèle post-taylorien. Exit les règles rigides, place à la flexibilité. Des statuts qui peuvent parfois se substituer au CDI, une forme bien plus pérenne d’emploi.
Une solution rapide pour les entreprises
Comme durant la période des soldes, le commerce a besoin de davantage de bras à l’approche de Noël. Selon Jean-Baptiste Achard, cofondateur de StaffMe, certains secteurs voient même leur besoin de main d'œuvre doubler. « On observe un fort accroissement de la demande dans les secteurs de l’événementiel, l’animation commerciale ou tout ce qui tourne autour du e-commerce, comme la préparation de commandes. »
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L’intérim est ainsi une réponse temporaire à un besoin éphémère. Comme l’explique Claudine Pierron, docteure en sciences humaines et spécialiste de l’employabilité, « les entreprises utilisent l’intérim comme variable d’ajustement en cas de surcroît d’activité ». En ce qu’il permet de gérer les aléas qui pèsent sur l’activité de l'entreprise, l’intérim est un instrument de gestion flexible de la main d'œuvre.
Variable d'ajustement
Ressource utilisée par un agent économique pour réduire un déséquilibre passager entre les moyens dont il dispose et les engagements qu'il a contractés.
Un statut de mieux en mieux perçu
Et ces missions, Charles est loin de les subir. Il sacrifie volontiers son samedi soir pour gagner de quoi atteindre ses objectifs : « je fais des missions de deux à huit heures. J’essaie toujours d’apprendre quelque chose et d’enrichir mon réseau ».
Alors qu’à l’origine, les agences d’intérim étaient considérées comme des « marchands d’hommes »1, leur perception a fortement évolué, notamment grâce aux premiers cadres légaux, établis dans les années 1970.
« Les agences d’intérim ont cherché à améliorer leur image en appelant à des conventions collectives et une amélioration du statut », relate Rachid Belkacem, maître de conférence en économie à l’Université de Lorraine. Aujourd’hui, les intérimaires ont notamment droit à la formation et touchent une prime de précarité à la fin de leur contrat.
Des mesures qui ont conduit à professionnaliser l’intérim et à lui donner une image positive. « Les expériences intérimaires sont bien vues sur le CV, c’est socialement accepté », poursuit le chercheur. L’intérim peut servir d’outil de formation, d’immersion dans un milieu professionnel et de sources de revenus pour une période choisie. « Un intérimaire connaît différents secteurs, des expériences qui pourront contribuer à son employabilité », confirme Claudine Pierron.
Une “trappe à pauvreté”
Mais il ne faut pas céder à une vision édulcorée de l’intérim. Lorsque Mathieu, étudiant de 24 ans, a travaillé en tant qu’intérimaire durant le mois de décembre 2019 à la Fnac, ce n’était pas choisi. « C’est le seul contrat qu’on m’a proposé. » Claire Versini, co-responsable du laboratoire d’innovation de l’association Tout est possible, travaille sur les problématiques qui persistent pour l’accès à l'emploi des personnes qui en sont éloignées. « Les allocataires du RSA sont régulièrement intérimaires, et ce n'est pas toujours un statut choisi », raconte-t-elle.
Les étudiants ne sont en effet pas les seuls à recourir à l’intérim. Belinda Guerni, responsable de l’agence Artus Interim à Tours, reçoit tous types de profils : « certains se tournent vers l'intérim en attendant une opportunité en CDI ». Pour ces derniers, le risque est que l’intérim devienne « une trappe à pauvreté », un terme utilisé par l’économiste Bernard Gazier.
Trappe à pauvreté
Concept désignant la difficulté pour les individus ou les familles pauvres de sortir de la pauvreté qui se caractérise par l'existence de barrières économiques, sociales et culturelles qui empêchent les personnes pauvres de bénéficier pleinement des opportunités offertes par la société et de s'en sortir financièrement. Par exemple, la difficulté pour une personne pauvre de trouver un emploi stable et bien rémunéré complique ensuite l'accès à un logement adéquat, à une alimentation de qualité ou à des soins de santé de qualité. Difficultés qui peuvent à leur tour entraîner des problèmes de santé, de déscolarisation ou de désocialisation, aggravant la pauvreté et rendant encore plus difficile d'en sortir.
« Après leur mission, les intérimaires reviennent au chômage », illustre Rachid Belkacem. Les intérimaires peuvent également rencontrer des difficultés pour se loger, car les propriétaires étant souvent réticents à accepter un locataire n’ayant pas un salaire fixe.
L’intégration sociale face à l’individualisation du travail
Charles soutient que la majorité de ses missions se déroulent dans une ambiance conviviale. Pourtant, le travail intérimaire fragilise l’une des finalités du travail : l’intégration sociale. Vectrice de liens sociaux, l’activité professionnelle permet d’augmenter son capital social mais également une participation à la vie politique, notamment à travers le syndicalisme.
Avec l’individualisation des carrières, le travail tend à s'émietter, et donc à fragiliser à la fois l’intégration sociale et la solidarité professionnelle. « Pour une grande partie des intérimaires, ce type d’emploi affaiblit la capacité d’intégration sociale, confirme Rachid Belkacem. Cela peut avoir des effets sur leur rapport aux autres ».
Outre le fait de ne pas pouvoir travailler le dimanche et ainsi toucher une rémunération doublée, Mathieu a noté une autre différence entre lui et les salariés en CDI : « on effectuait des tâches plus physiques ». En effet, selon Rachid Belkacem, « les intérimaires sont souvent chargés de missions ingrates, celles que les travailleurs permanents refusent d’effectuer ». Contrairement aux intérimaires, ces derniers sont protégés par leurs relations salariales et peuvent s’appuyer sur leurs syndicats.
Des conditions de travail dégradées
Cette difficulté est accentuée à l’approche de Noël. Bryan, 22 ans, et intérimaire à plein temps depuis un an et demi, se souvient d’une mission de préparation de commande effectuée pendant la période des fêtes où « le boulot était multiplié par quatre ». Même constat pour Mathieu : « travailler en décembre a été compliqué car il y avait un immense flux de personnes, donc beaucoup de fatigue nerveuse à la fin de la journée. »
Car au-delà de l’aspect physique, le travail intérimaire peut affecter le bien-être moral des travailleurs. Le travailleur doit chaque fois s’adapter à une nouvelle configuration et à un nouveau rythme de travail. Cette problématique est aggravée par une autre donnée : la baisse tendancielle de la durée des missions.
« Dans les années 1970, la moyenne était de cinq semaines, contre moins de deux aujourd’hui. Cela nécessite une capacité d’adaptation immédiate, car l’intérimaire doit être rentable », explique Rachid Belkacem. Une pression pouvant générer du stress, « conduisant à certaines maladies professionnelles ».
La charge de Charles est particulièrement aisée ce soir. Son travail consiste à faire la plonge et démonter les installations du plateau après une action de promotion. « La mission se passe très bien, mais ce n’est pas toujours le cas. Parfois, je me rends à une prestation puis je suis renvoyé chez moi et ne suis pas payé car la livraison n’arrive pas. »
Le reflet du double visage de l’intérim : s’il offre des avantages à certains, il ne fait pas se leurrer quant à la précarité de son statut. Notamment lorsqu’il est exercé « faute de mieux ».
1. Guy Caire, Les Nouveaux Marchands d'hommes ?, 1973
Dans le programme de SES
Terminale. « Quelles mutations du travail et de l'emploi ? »
Première. « Comment se construisent et évoluent les liens sociaux ? »