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Ce sont peut-être les bébés, en donnant du coffre pendant les réunions en visio, qui ont changé le regard des managers… ou plutôt les difficultés à recruter, qui ont fait évoluer les entreprises ? « Parler de sa situation de parent dans sa boîte, c’est devenu plus facile. La parentalité est désormais dans les politiques RH », constate Jérôme Ballarin, le président de l’Observatoire de la Qualité de vie au travail (QVT).
Les entreprises, d’ailleurs, ne manquent pas de le faire savoir. Pas une semaine sans une tribune dans la presse ou un communiqué listant les mesures à prendre : allonger le congé du père ou du second parent (Parental Act signé par 105 entreprises de la tech en février 2020), donner aux parents leur mercredi – L’Oréal le fait depuis 2008 –, leur réserver des places en crèches (Casino, SFR, Renault et la société de conseils BearingPoint) ou encore proposer des séances de coaching (EDF, TF1, BNP Paribas) pour aider à être de bons parents tout en faisant carrière.
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Même les PME s’y mettent, accompagnées de start-up leur vendant clé en main des politiques de parentalité. « Des employeurs qui se préoccupent à ce point de la vie privée des salariés, on n’avait plus vu ça depuis l’époque des entreprises paternalistes, avant les années 1960. Il n’y a encore pas si longtemps, de nombreux patrons réagissaient à l’annonce d’une naissance comme un amant trahi, furieux à l’idée d’être bientôt délaissé », note Damien Richard, enseignant-chercheur en management à l’Inseec Grande École.
Il en a lui-même fait l’amère expérience en 2003 quand il s’est mis aux quatre cinquièmes pour s’occuper de son aînée.
Les entreprises se penchent à nouveau sur la vie de famille de leurs salariés. Sandrine Tanquerel, professeur assistant en gestion des RH à l’EM Normandie, explique : « Les Anglo-Saxons ont été les premiers à se saisir du sujet, par pragmatisme, pour combler le vide laissé par l’État. Aux États-Unis, il n’y a pas de congé maternité. En France, l’inflexion est venue plus tard, vers 2010, quand l’État a exigé des entreprises des résultats concrets et chiffrés en matière d’égalité professionnelle. »
Comment rassembler 30 % de femmes dans les conseils d’administration (loi Copé-Zimmermann, 2011) et comités de direction (loi Rixain, 2021) si les carrières des mères sont gelées ? Après une naissance, une femme sur deux arrête de travailler ou du moins lève le pied, et son salaire se met à baisser, contrairement à celui du père, observe l’Insee.
Le congé paternité patine
À l’orée des années 2010, on s’est aussi rendu compte que le travail pouvait faire souffrir, voire tuer. Pour faire baisser le stress et la fameuse « charge mentale », qui s’alourdit de manière spectaculaire avec les bambins, les DRH et les managers ont dû se saisir du sujet de la QVT et de l’articulation entre vie pro et vie perso.
Un sujet devenu encore plus saillant avec la crise sanitaire et la généralisation du télétravail. « Beaucoup d’entreprises, comme TalentSoft, m’ont contactée au lendemain du premier confinement, en me disant : “J’ai des parents à bout, comment je les aide ?” », témoigne Delphine Cochet, dirigeante de Ma Bonne Fée, qui vend des solutions de garde et des politiques de parentalités aux PME.
Reste que ces politiques, très affichées, sont peu utilisées. « La prise du congé paternité est stable depuis 20 ans : près d’un jeune père sur trois ne le prend pas », relève le Cereq.
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« On leur fait comprendre à demi-mot que ce n’est pas le moment », indique Delphine Cochet. Et même parfois que ce n’est pas leur rôle. « On attend toujours de l’homme qu’il pourvoie aux revenus du ménage et de la femme qu’elle soit une bonne mère », grince Sabrina Tanquerel, de l’EM Normandie.
Quant aux mesures de flexibilité au travail censées faire baisser la charge mentale des parents, elles produisent souvent l’effet inverse. « On vous donne vos mercredis, mais comme les objectifs sont maintenus, vous vous retrouvez à travailler le dimanche », poursuit l’enseignante en gestion des RH. « C’est entre 30 et 40 ans que se joue encore une carrière, c’est-à-dire au moment même où se construit la famille. Tant qu’on ne changera pas le parcours professionnel on restera coincé dans ce schéma archaïque : profiter de ses enfants ou réussir sa vie professionnelle », conclut Damien Richard, de l’Inseec.
Plutôt « mampreneure » que salariée
Maman travaille et… elle galère ! « Il faut jongler entre les réunions mises à 18 heures, le planning de la nounou, les rendez-vous chez le pédiatre… Cela nécessite une énergie folle, et pour qui ? Pour un employeur qui vous sucre votre promotion, vous met dans un placard et vous fait bien comprendre qu’en ayant un enfant, vous avez signé le gel de votre carrière », s’agace Delphine Weiss, mère et dirigeante de l’agence Cré & Lia.
Alors, certaines mères, comme Delphine, souvent trentenaires avec un ou deux enfants, décident de quitter le salariat et de créer leur boîte afin de mieux concilier carrière et vie de famille. Ce sont les « mampreneures ». Le mouvement, initialement baptisé « mompreneure », est né aux Etats-Unis dans les années 1990, avant d’arriver en France à la fin des années 2000.
En 2009 naît ainsi le réseau Mampreneures, comptant aujourd’hui 400 adhérentes. Depuis le milieu des années 2000, les gouvernements successifs, en menant une politique de soutien à l’entrepreneuriat – création du statut d’autoentrepreneur, émergence d’incubateurs, réseaux de soutien aux femmes d’affaires – ont permis à de nombreuses femmes et mères de se lancer. Mais attention, il ne faut pas croire que c’est de tout repos !
« J’avais vendu l’idée à mon mari, en lui disant : “Tu verras, en créant ma boîte, je pourrai m’organiser, déléguer et du coup, prendre la moitié des vacances scolaires.” Tu parles ! », rigole Laure Courty, dirigeante de Jestocke.com, le AirBnB pour les garde-meubles.