Si ce nom ne vous dit rien, c’est aussi parce qu’un épais mystère entoure la société, une véritable « boîte noire » qui n’accorde aucune interview aux journalistes occidentaux et ne publie aucune information sur son chiffre d’affaires ou ses fournisseurs.
Tout serait parti d’un homme, Chris Xu, ce Chinois sans aucune expérience dans le textile qui a lancé le site d’e-commerce en 2008. Les clefs de sa réussite : d’abord, des prix incroyablement bas, particulièrement adaptés aux bourses de la génération Z. « Avec 1,50 euro, vous pouvez vous acheter quatre hauts en solde chez Zara. Sur Shein, c’est 10 hauts », résume l’historienne de la mode Audrey Millet.
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6 000 nouveautés par jour
Deuxième ingrédient du succès : une variété quasi infinie de vêtements. Représentante de l’ultra-fast fashion, Shein va encore plus vite que la fast fashion, qui proposait déjà une cinquantaine de collections par an.
Elle mettrait à la vente près de 6 000 nouveautés toutes les 24 heures ! Pour ce faire, la société utiliserait un algorithme particulièrement efficace, qui scrute les vêtements qui « marchent » sur les réseaux sociaux, chez les stars et chez les concurrents. L’agorithme réussirait à détecter, voire à prédire des micro-tendances.
Une forme de haut attire l’attention des réseaux sociaux ? Le patron est bricolé en deux heures par des logiciels, la production est lancée quasi instantanément pour 200 pièces. S’il se vend rapidement, on augmente les quantités. Si c’est un flop, on arrête.
Pour fabriquer ces petites quantités, Shein s’appuie sur un réseau de 6 000 petits ateliers situés à Canton, dans le sud de la Chine, auxquels elle va passer commande, presque en direct, grâce à un logiciel maison.
Du design à la production, comptez seulement 10 jours, contre trois semaines pour Zara. Le délai est si court qu’il aurait pour conséquence une cadence infernale pour les employés, déplorait l’ONG suisse Public Eye, en novembre 2021.
Le site chinois Sixth Tone, Le Monde et Les Échos, qui ont enquêté, ont observé que la majorité des petites mains de Shein étaient des immigrés, provenant d’autres provinces de Chine, payés à la pièce et enchaînant des semaines de 74 heures. Souvent sans contrat de travail, ils touchent entre 700 et 1 200 euros, avec un seul jour de congé par mois.
En retour, Shein a répondu qu’elle « s’engageait pleinement à respecter des normes de travail exigeantes » et prenait « des mesures immédiates », si elle constatait qu’un fournisseur n’adhérait pas à son code de conduite.
Avec ce délai si serré de 10 jours, Shein aurait également déploré quelques ratés, par exemple la mise en vente d’un collier avec une croix gammée. Et puis la société n’a pas le temps de s’assurer qu’elle ne viole aucun droit de propriété intellectuelle.
Sur les réseaux sociaux, les plaintes émanant de designers s’estimant lésés se sont accumulées contre les « pillages » du géant chinois, identifiées par le hashtag #sheinstolemydesign.
Mais si les grandes marques peuvent envisager un procès, les petits créateurs en ont peur. La raison : « le coût élevé des frais d’avocats et l’absence de règles précises de dépôt de dessins et modèles pour les petites entreprises, ce qui les prive de protection en cas de plagiat », énumère Amélie Canton, avocate spécialisée en propriété intellectuelle.
Face aux critiques, Shein a mis en place une procédure conduisant parfois au retrait du produit, comme après la plainte de The Tropical Society, qui avait vu son maillot de bain copié point par point par le géant.
Le modèle Kardashian
Troisième ingrédient du succès, typique du e-commerce chinois : sur Shein, on fait du shopping en se divertissant. L’écran affiche : « Jouez à des mini-jeux sur le site ou écrivez des commentaires sur des produits commandés et vous serez “récompensés” par des points à faire valoir sur une future commande ».
Avec, en arrière-plan, des comptes à rebours qui rappellent en permanence que les réductions temporaires seront bientôt terminées. Et qu’il ne faut surtout pas les rater.
Enfin, des stars comme les Kardashian, et une armée de petites mains, des influenceuses sur TikTok principalement, rétribuées ou non, sont chargées de promouvoir la marque à travers des hauls : des vidéos qui les montrent en train d’ouvrir un énorme colis Shein et de faire des essayages. Le succès est fou : le hashtag #sheinhaul a été vu près de 5,1 milliards de fois.
Plomb, arsenic, mercure…
Cette pratique participerait à une collectionnite adictive : des vêtements one shot enfilés pour prendre une photo ou passer une journée, seraient vite rangés, voire jetés, alors que l’industrie du textile représente près de 10 % des gaz à effet de serre selon le programme des Nations unies pour l’environnement.
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Les produits Shein contiendraient aussi des composants nocifs. Au Canada, des tests de l’Université de Toronto effectués en octobre 2021 ont conclu qu’une veste pour enfants vendue sur le site de Shein contenait près de 20 fois la quantité de plomb autorisée par la loi canadienne. Un sac à main rouge contenait plus de cinq fois ce seuil : des niveaux dangereux qui pourraient provenir des pigments de teinture et peuvent entraîner des risques d’obésité, de diabète et de cancers, a expliqué la radio CBC.
Les deux produits ont été retirés, le géant chinois s’engageant à ne plus travailler avec les fournisseurs concernés.
Il faudrait en réalité tester toute la chaîne de production, des champs de coton jusqu’au produit final, insiste Audrey Millet qui s’appuie sur les travaux de Subramanian Muthu, un chercheur de l’école polytechnique de Hong Kong ayant relevé des traces de plomb, d’arsenic, et de mercure dans les textiles. « Ces métaux sont extrêmement dangereux, ça passe par les pores et ça favorise les infertilités et les cancers de la peau », déplore Audrey Millet.
« La génération Z continue d’aduler la marque Shein tout en défilant pour l’environnement, j’aimerais qu’elle n’oublie pas une chose: de même qu’il n’y a pas de planète B, il n’y a pas d’humain B. »
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