Cet article est extrait de notre magazine consacré aux super-pouvoirs économiques des politiques. À retrouver en kiosque et en ligne.
Combien de temps durent les compétences techniques ? Trente ans dans les années 1980, trois en 2021, selon un rapport de l’OCDE.
L’explication : l’accélération technologique, amplifiée par le Covid. Dans ce contexte, l’attention se porte de plus en plus sur les soft skills, les compétences comportementales, plus durables. « De nombreuses boîtes qui ne recrutaient que sur diplôme ont dû s’intéresser à la personnalité des candidats », estime David Bernard, dirigeant d’AssessFirst (un outil prédictif de recrutement).
Même les secteurs très techniques, où prévaut souvent une organisation verticale, s’y intéressent de plus en plus, notamment pour attirer des femmes. « Les bénéfices des soft skills pour l’entreprise sont mal évalués », reconnaît Stéphanie Fraise, vice-présidente de BlaBlaCar, en charge des ressources humaines, « mais une chose est sûre : un collaborateur qui les développe est plus engagé et plus performant. »
Soft skills (compétences douces)
Aptitudes relationnelles ou comportementales liées au « savoir être » (leadership, agilité, écoute, esprit d’équipe, initiative…) et non à la technique (le savoir-faire) d’un métier. Elles incluent les facultés cognitives et d’apprentissage, l’esprit critique, les capacités d’analyse et de prise de décision.
Chez Picard, Agathe Boillot, responsable Attraction des talents et Marque employeur, les juge indispensables dans un secteur alimentaire en pleine évolution. Concentrées sur la satisfaction client, ces soft skills contribuent à faire de Picard une des enseignes préférées des Français. Elles permettent « une grande diversité au sein des équipes » et sont le reflet d’un intérêt « pour la qualité de vie au travail. Chez Picard, le turnover est de 19,3 %, contre 30 % pour l’ensemble du secteur. Cela prouve une chose : recruter sur les soft skills, les valeurs, la vision, c’est vertueux ».
Les salariés sont demandeurs. « Ma première entreprise, qui faisait peu de place à la créativité et à la confiance, n’arrivait pas à garder certains salariés », raconte Fanny Auger, directrice de marque. Chez Picard, dans le recrutement, « les soft skills comptent autant que les compétences techniques », assure Agathe Boillot. Pour les magasins, il se fonde même uniquement sur celles-ci, la formation technique venant ensuite.
Tâtonnements dans l’évaluation
Tout le monde peut développer n’importe quelle soft skill, certes avec plus ou moins de facilité.
Mais pour tous, ces compétences se travaillent, à condition d’être méthodique. La première étape (souvent négligée) : définir les soft skills utiles et nécessaires.
À partir de ses valeurs et de ses missions, par exemple, BlaBlaCar a déterminé un socle de cinq soft skills essentielles, chacune déclinée dans une grille avec les comportements et compétences attendus selon le poste et l’expérience du salarié et évaluée par des actions mesurables. « La grille est encore un peu théorique, mais l’application est de plus en plus concrète. » Vient ensuite un plan de développement et d’évaluation des salariés, puis les formations sont lancées.
Pour Yoann Brugière, cofondateur et associé du cabinet d’experts-comptables Orbiss, il est important d’« individualiser le parcours et de diversifier les profils ». Fanny Auger, elle, « essaye de mieux sentir la personne, de tendre des perches », comme avec cette étudiante venue pour un stage d’office manager. Elle l’a testée sur des mini-missions et l’a orientée vers le secteur commercial et marketing. L’entreprise l’a recrutée dès la fin de ses études.
La formation doit être concrète et interactive. David Bernard conseille aussi « d’expérimenter dans des situations qui obligent à utiliser ces compétences ».
Le format décalé a aussi ses adeptes. Avec The School Of Life, centre de formation dédié aux soft skills, Fanny Auger utilise des œuvres d’art et des concepts de culture générale. Pour Agathe Boillot, « c’est plutôt l’accompagnement par les managers qui fait la différence au quotidien. Les soft skills des salariés sont ancrées depuis le début. Reste à les formaliser ».

Picard, comme BlaBlaCar, prend en compte ces « compétences transverses » dans l’évolution de carrière. Chez Picard, elles influent sur la rémunération variable (bonus annuel calculé à parts égales sur les chiffres de vente et la qualité de l’accueil). Chez Orbiss aussi, elles entrent dans le calcul des primes, mais ce lien de cause à effet reste très marginal.
Culture du feedback
Mais comment évaluer la progression des soft skills ? BlaBlaCar et Picard les intègrent dans leurs entretiens annuels, avec une évaluation basée sur la grille interne et des exemples concrets.
Selon Stéphanie Fraise, « le plus compliqué, c’est d’amener les managers à illustrer leur propos avec quelque chose très observable ». David Bernard explique qu’il existe désormais « de nouveaux outils de psychométrie ». Si Fanny Auger se dit « assez sceptique sur les outils d’évaluation », elle valorise surtout, comme les autres intervenants, la « culture du feedback : il doit être précis, constructif et bienveillant ».
Psychométrie
Science de la mesure des caractéristiques psychologiques des individus.
Mais attention, les soft skills ne sont pas gravées dans le marbre. Si on ne tient pas compte des avancées en psychologie, en psychométrie, cela ne sert à rien.
Stéphanie Fraise note aussi que « la majorité des entreprises n’utilisent pas d’outil de développement. Quand la démarche n’est pas formalisée, l’évaluation est trop subjective. Si on ne sait pas formaliser ce qu’on a besoin de développer, pourquoi et comment, on manque d’outils, on manque de compréhension et le développement n’est pas efficace ».
Car les soft skills sont un « plus » essentiel. Y compris face aux robots. Pour David Bernard, « on automatise les métiers quand les soft skills n’y sont pas importantes. Mais le leadership, la conviction, la collaboration, un robot en est incapable » .
L’entretien : annuel ou régulier ?
Dans presque toutes les entreprises, les salariés sont évalués chaque année, soit à travers une revue de performance soit par un entretien d’évaluation. Le manager fait le point sur les accomplissements du salarié : a-t-il ou non atteint ses objectifs ? Quels points améliorer ?
Cet entretien est facultatif et certaines entreprises privilégient un feedback régulier plutôt qu’un unique point annuel. De manière formelle ou non, le manager va alors débriefer avec son collaborateur sur ses réalisations à plus court terme et parfois, faire des retours rapides et précis. Ces entretiens ne doivent pas être confondus avec l’entretien professionnel, qui est, lui, obligatoire tous les deux ans, avec pour objet les perspectives d’évolution professionnelle et les formations nécessaires correspondantes.
Les Compétences du XXIe siècle : comment faire la différence ? Créativité, communication, esprit critique, coopération, de Jérémy Lamri, Michel Barabel, Olivier Meier (Dunod, 2018)