Science Politique

Une vaccination obligatoire pour tout le monde serait-elle plus facile à gérer ?

À partir du 30 août, le pass sanitaire devient obligatoire pour les salariés de plusieurs établissements recevant du public tels que les restaurants, cafés, musées ou encore cinémas. Ne pas faire de distinction et mettre tout le monde sur un pied d’égalité aurait sans doute été plus pratique d’un point de vue opérationnel.

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Le pass sanitaire est étendu à plusieurs établissements recevant du public.

Le pass sanitaire est étendu à plusieurs établissements recevant du public.

© Fred MARVAUX/REA

En raison de l'annonce gouvernementale concernant un pass vaccinale qui serait mis en place en France courant janvier 2022, nous avons décidé de republier cet article paru en août lors de la mise en place du pass sanitaire.

Nombreux sont ceux qui attendaient la décision du Conseil constitutionnel de ce jeudi 5 août : à l’exception de deux points censurés (sur la rupture anticipée des CDD et l’isolement obligatoire des malades), les Sages ont validé la quasi-totalité du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire.

Le texte, qui entérine une extension du pass sanitaire et la vaccination obligatoire pour certaines professions, a été publié au Journal officiel dès ce vendredi 6 août.

Concrètement, cela signifie que la primo-vaccination sera obligatoire à partir du 15 septembre pour les professionnels de la santé, les sapeurs-pompiers, personnels de la sécurité civile, employés du transport dans le secteur sanitaire, aides médicales à domicile, employés par un particulier employeur.

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Avant même sa promulgation, la décision a attisé les critiques : plusieurs hôpitaux ont appelé à une grève illimitée pour protester contre cette vaccination obligatoire. Même annonce du côté des syndicats de sapeurs-pompiers. “Contrairement à votre postulat de départ, nous n’avons jamais demandé à être assimilés à des personnels soignants”, écrit la fédération SPP-PATS dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron.

Finalement, une vaccination obligatoire pour tous, sans différence de traitement entre les uns et les autres, aurait peut-être été plus simple. "Mais c’est aujourd'hui impossible en France", explique Sandra Gallissot, ancienne avocate et DRH, aujourd’hui consultante. "Imposer la vaccination à tous serait considéré comme disproportionnée au but recherché."

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L’organisation complexe du pass sanitaire

La loi stipule par ailleurs que le pass sanitaire sera demandé aux salariés (à partir de ce 30 août) et aux clients des établissements recevant du public (ERP) tels que les bars, cafés, restaurants, les établissements accueillant des personnes vulnérables comme les Ehpad, les foires, salons et séminaires ou encore les avions, cars et trains interrégionaux dès lundi 9 août.

Sur le terrain ? L’organisation risque d’être complexe. D’une part pour les employés : "Quelqu’un qui ne voudrait pas se faire vacciner devra faire des tests PCR tous les deux jours. Techniquement, ce n’est pas impossible, mais c’est assez lourd", poursuit Sandra Gallissot.

Compliqué pour les employeurs aussi, puisque la récurrence du contrôle pourrait varier si le salarié est vacciné ou s’il préfère faire un test PCR de moins de 48 heures. “Aujourd’hui, l’employeur n’a pas accès à ces informations, il sait seulement si le pass est valide ou pas. D’un point de vue opérationnel, c’est sans doute ce qui sera le plus compliqué pour les entreprises.” Les décrets d’applications doivent encore être communiqués et pourraient donner des indications sur ce sujet.

Le risque du licenciement

Et les salariés qui ne présenteront de pass sanitaire ? “Les employeurs ne peuvent pas les accepter dans l’entreprise”, répond Sandra Gallissot. Dans un premier temps, les salariés pourront prendre leurs congés puis, il y aura une suspension du contrat. Ce qui signifie, une absence de salaire. Un licenciement est-il possible ?

Oui, mais pas en raison du pass sanitaire”, poursuit l’ancienne avocate. “Sur le fait que les salariés ne pourront pas exercer leur activité professionnelle selon la réglementation en cours. Cela crée une désorganisation importante dans l’entreprise qui justifie un licenciement. Bien sûr, l’employeur n’est pas obligé de licencier.”

Concrètement, quelqu’un qui ne voudrait pas se faire vacciner devra faire des tests PCR tous les deux jours. Techniquement, ce n’est pas impossible, mais c’est assez lourd.
Sandra Gallissot

Ancienne avocate et DRH

Batailler avec les clients

Toutefois, quand on questionne les professionnels des secteurs concernés par la nouvelle loi, c’est plutôt le pointage du public qui pose problème : “On n’est pas opposé à la vaccination”, insiste Jean-François Ferrando, président de la confédération nationale des très petites entreprises (CNTPE).

“Mais avec l’extension du pass sanitaire, les entreprises vont faire le boulot des forces de l’ordre. C’est un problème éthique : une partie de la population va devoir contrôler une autre partie de la population. Tout ça parce que le gouvernement avait promis de ne pas rendre la vaccination obligatoire. C’est un manque de courage politique.”

Ces contrôles provoquent de nombreuses craintes pour Evyline Wang, gérante d’un bar à Nancy qui accueille majoritairement des étudiants. “En basse saison, la vérification sera facile. L’un de mes cinq salariés ou moi-même la ferons. Mais en haute saison, à la rentrée, je vais devoir faire appel à un agent de sécurité pour gérer les entrées et sorties des clients.”

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Au risque, d'en perdre : "Certains ne sont ou ne veulent pas se faire vacciner. Je vais devoir batailler avec eux et constamment devoir leur expliquer. J’ai aussi peur que certains clients ne soient pas compréhensifs et deviennent agressifs alors qu’on ne fait qu’appliquer les règles qu’on nous a imposées.”

La gérante le sait déjà, “l’extension du pass sanitaire va me faire perdre du chiffre d’affaires alors que c’était déjà assez difficile cette année”.

Toute la chaîne en souffrance

À quelques kilomètres de là, Frédéric Prudent, propriétaire du restaurant Le Cellier d’Clem à Dijon, est dans le même état d’esprit. “Des clients m’ont déjà averti qu’ils ne viendraient plus. C’est le problème avec cette pandémie : les gens ont arrêté ou ont changé leur façon de consommer. Ils ne se rendent pas compte que derrière, c’est toute la chaîne qui en souffre : la production, la transformation, la distribution…”

Éco-mots

Chaîne d’approvisionnement (ou supply chain)

C’est l’ensemble des intervenants (producteur, distributeur, grossiste, transporteur, transformateur…) qui contribuent à la mise à disposition d’un produit au consommateur. La construction de cette chaîne aboutit à une forte interdépendance entre les différents acteurs.

Pour le restaurateur, cette nouvelle loi vient s’ajouter à de nombreuses difficultés : “On a été fermé pendant 10 mois, certes il y a eu les aides de l’état, mais entre les clients qui ne sont pas revenus à cause du télétravail, le mauvais temps cet été et maintenant le pass sanitaire, ça fait beaucoup !”

Qui plus est, ajoute-t-il : "Il est hors de question d’engager une personne juste pour faire ces contrôles de pass. Le moindre salarié chargé équivaut à 2 000 euros. Clairement, je n’ai pas les moyens !” 

Frédéric Prudent a donc mis une croix sur le calendrier à la date du 30 août : Bruno Le Maire, ministre de l’Économie a donné rendez-vous aux professionnels dont l’activité serait pénalisée par l’instauration du pass sanitaire. “Nous prendrons les décisions nécessaires pour les aider”, avait promis Bercy. “Eh bien nous allons voir ça”, conclut le restaurateur.

Éco-mots

Cotisations patronales

Correspondent aux cotisations sociales payées par l’employeur. Elles s’ajoutent au salaire brut pour constituer le coût total du travail pour l’employeur. Le montant des charges sociales patronales est compris entre 25 et 42 % du salaire brut. Selon le niveau du salaire, l’employeur bénéficie en effet de réductions de charges.

Pour d'autres, rien ne change

De nombreuses entreprises ne sont pas concernées par l’instauration du pass sanitaire, même si, en leur sein, certains salariés peuvent être en contact avec du public. Pour eux, rien ne change. “Elles peuvent continuer à travailler avec les gestes barrières et le protocole sanitaire que l’on connaît", indique Sandra Gallissot.

En d’autres termes, résume l’experte du droit du travail : “S’il n’y a pas de pass sanitaire, il y a masque !” L’un des risques selon elle est d’observer un relâchement des gestes barrières. “En open space, les personnes qui ont été vaccinées peuvent être tentées de retirer le masque. C’est à l’employeur de rappeler les bons gestes.”

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