« Lesbiennes, gays, bisexuel.e.s, transgenres, on vous encourage. » Ce 17 mai – journée mondiale de lutte contre l’homophobie –, ce n’est pas sur un tract que l’on peut lire ces mots, mais à la Une de La Tribune, un grand média économique.
Ils sont signés par 173 signataires de la charte de L’Autre Cercle, l’observatoire qui promeut l’inclusion des personnes LGBT+ au travail, parmi lesquels Orange, Sodexo, Vinci, Engie, Barilla…
Les LGBT+ représentent « environ 7 % de la population », estime Alain Gavand, coresponsable de l’observatoire. Soit près de 4,7 millions de consommateurs en France, et plus de 500 millions dans le monde, un immense marché à capter !
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Du cynisme au pragmatisme
De plus en plus d’entreprises le comprennent. « Les “industries du vice” (alcool, tabac, bars et boîtes de nuit) ont été les premières à cibler les personnes queer (qui s’affranchissent des étiquettes sexuelles). Aujourd’hui, des couples non hétérosexuels apparaissent dans toutes sortes de publicités », observe Lee Badgett, économiste au sein du Williams Institute à l’université américaine UCLA.
Faut-il y voir du pink washing, c’est-à dire-une manipulation du marketing et de la communication ? D’abord, « la com’ n’est pas un gros mot quand on travaille à faire évoluer la société », rappelle Alain Gavand. Et puis le pink washing serait un pari incertain.
« On ne sait pas si ces publicités inclusives font vraiment changer les comportements des consommateurs, aucune étude ne le démontre », analyse Lee Badgett. Alors qu’une vraie politique d’inclusion, en revanche, ça rapporte. Aux salariés, à l’entreprise et à ses actionnaires.
Pour la majorité des entreprises, le cynisme du pink washing a été balayé par l’avantage économique que présente le fait d’œuvrer pour l’égalité des personnes LGBT. Cette prime d’inclusion est documentée dans l’ouvrage de Lee Badgett1, qui rassemble des décennies de recherche théorique et empirique.
Par exemple, une progression de 10 points sur la note (entre 0 et 100) attribuée par la Harvard Business Review (HBR) pour évaluer le degré d’inclusion des personnes LGBT dans l’entreprise, permet aux employeurs de gagner 4 % sur le bénéfice par employé et rapporte aux investisseurs entre 0,65 % et 0,85 % de dividendes en plus chaque année2.
Par ailleurs, les entreprises qui traitent de manière égalitaire leurs collaborateurs aux orientations sexuelles différentes innovent plus et déposent davantage de brevets, qui sont ensuite davantage utilisés. Ainsi, Mastercard permet aux personnes trans de choisir leur pronom, même s’il est différent de leur genre administratif.
Quant à Renault, elle fête les 30 ans de sa Clio avec une publicité mettant en scène un amour lesbien et de nombreuses firmes françaises soutiennent un réseau LGBT+ interne à leur structure.
Inclusion rentable
Outre-Atlantique, les entreprises vont plus loin. En 2016, quand le gouverneur de Caroline du Nord présente la loi surnommée « Bathroom Bill » interdisant aux personnes trans d’utiliser les toilettes du genre auquel elles s’identifient, Deutsche Bank gèle ses projets d’investissement dans cet État, Paypal renonce à y installer 400 emplois et la National Basketball Association délocalise ses matchs en dehors de l’État.
Au total, pour la Caroline du Nord, une perte sèche de 3,8 milliards de dollars sur 12 ans2. Pour un activisme encore plus impactant, l’alliance est de mise. En 2015, le collectif « Open For Business » rassemble une quarantaine de multinationales (IBM, Google, Lego… rejointes en 2020 par Ikea, Facebook ou L’Oréal) formulant des demandes aux gouvernements des pays qui négligent l’égalité envers les personnes LGBT+.
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Comme celui du Japon, à qui 27 propositions sont adressées, dont la légalisation du mariage pour les couples de même sexe. À grand renfort de graphiques comparant les performances japonaises à celles des autres pays du G7 ou de l’OCDE, la coalition montre les bénéfices pour l’économie de Tokyo ou Osaka.
Ces dirigeant(e)s s’inspirent des travaux du Williams Institute indiquant qu’une progression de 12 % de l’acceptation des personnes LGBT dans de telles villes tournées vers les services, booste le PIB par habitant de 4 600 dollars.
Cet activisme peut donner l’impression d’une hypocrisie, reconnaît Lee Badgett, quand une entreprise comme Paypal s’offusque de la « Bathroom Bill » transphobe tout en opérant dans des pays où l’homosexualité est un crime.
Pour s’en défendre, plusieurs multinationales ont élaboré, avec la New York School of Law, un modèle de soutien à la cause en trois paliers selon le niveau d’inclusion des personnes LGBT+ dans les pays où elles font affaire.
Entre s’abstenir de défier la culture du pays (premier palier) et l’activisme (troisième palier), elles sont parfois prises dans un entre-deux, par exemple quand les autorités de Singapour interdisent aux firmes étrangères d’apporter leur soutien au « Pink Dot », un événement qui promeut la culture queer.
La filiale singapourienne de la firme Dow a organisé, dans ses locaux, un mini « Pink Dot » sans s’opposer publiquement aux règlementations LGBTphobes du pays.
Le retard des Français
Un tel engagement a de quoi impressionner depuis une France plus frileuse. « Ni Nike France ni aucun équipementier n’a été fichu d’être sponsor des Gay Games de Paris, en 2018 », regrette Catherine Tripon, porte-parole de L’Autre Cercle.