L’essentiel
- À peine arrivé chez Twitter, Elon Musk a licencié la moitié des salariés et modifié la culture d'entreprise
- Mais dans un pays où le contrat entre l'employé et l'employeur est roi, l'action du nouveau propriétaire et dirigeant n'enfreint pas la loi
- En raison de "l'employment at will", l'employeur n'a pas besoin de motif pour renvoyer ses employés sans avoir à craindre de répercussions légales.
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« À 9 heures (heure du Pacifique), le vendredi 4 novembre, tout le monde recevra un e-mail avec comme sujet : votre rôle à Twitter. (…) Si votre emploi n’est pas impacté, vous recevrez une notification sur votre adresse chez Twitter. Sinon sur votre adresse personnelle ».
Ainsi, la veille, la direction annonça un plan massif de licenciement (environ la moitié des effectifs), sans motif ni préavis. Vu de France, la méthode est brutale. Surtout que dans le même temps, le nouveau patron, informait les 4 400 prestataires, en majorité en charge de la modération, que dorénavant il se passerait de leurs services. Pourtant, du strict point de vue du droit américain du travail, il n'y a là rien de répréhensible.
L’essentiel
- À peine arrivé chez Twitter, Elon Musk a licencié la moitié des salariés et modifié la culture d'entreprise
- Mais dans un pays où le contrat entre l'employé et l'employeur est roi, l'action du nouveau propriétaire et dirigeant n'enfreint pas la loi
- En raison de "l'employment at will", l'employeur n'a pas besoin de motif pour renvoyer ses employés sans avoir à craindre de répercussions légales.
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« À 9 heures (heure du Pacifique), le vendredi 4 novembre, tout le monde recevra un e-mail avec comme sujet : votre rôle à Twitter. (…) Si votre emploi n’est pas impacté, vous recevrez une notification sur votre adresse chez Twitter. Sinon sur votre adresse personnelle ».
Ainsi, la veille, la direction annonça un plan massif de licenciement (environ la moitié des effectifs), sans motif ni préavis. Vu de France, la méthode est brutale. Surtout que dans le même temps, le nouveau patron, informait les 4 400 prestataires, en majorité en charge de la modération, que dorénavant il se passerait de leurs services. Pourtant, du strict point de vue du droit américain du travail, il n'y a là rien de répréhensible.
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Aux États-Unis, un marché du travail très flexible
« Le droit du travail aux Etats-Unis, c’est compliqué, sourit Alexandre Blumrosen, avocat membre des barreaux de Paris et New-York et dirigeant du cabinet d’avocats international Polaris Law. Il y en a autant qu’il y a d’États. Cela nous vient de notre histoire, de notre Constitution et de son 10e amendement. Ce dernier énonce que tous les pouvoirs qui n’ont pas explicitement étaient confiés à l’État fédéral restent aux mains des États fédérés. Ainsi 98% des règles et lois en matière de droit du travail sont de leur faits. Et pour les 2% restant, il y a deux cas : soit la loi fédérale est immuable et est appliquée à la lettre, soit elle ressemble à une ‘directive européenne’, chaque État l’adapte à ses spécificités nationales ».
La Californie, là où sont situés les bureaux de Twitter, fait partie des dix Etats, ayant une des législations les plus protectrices pour les salariés. Suffisamment protectrice pour permettre aux anciens de Twitter de contester leur licenciement et d’être réintégrés ?
« Non malheureusement, tranche Donna Kesselman, sociologue spécialisée sur les droits sociaux aux Etats-Unis et professeure à l’université Paris Est-Créteil. Aux États-Unis, un patron n’est pas tenu de donner un motif. Les droits en matière d’embauche comme de licenciements repose sur une doctrine fondatrice des relations entre employeur et employés aux États-Unis : "l’employment at will"».
Employment at will
Ce principe du droit du travail américain trouve son origine dans le traité, Master and Servant (1877) du juriste et juge à la Cour Suprême d’Horace Gray Wood. Ce traité a ensuite inspiré plusieurs décisions de justice, dont l’arrêt de 1884 rendu par la Cour Suprême du Tennessee dans l’affaire « Payne contre Western & Atlantic R. R ». Ce dernier énonce : « Toute personne peut renvoyer ses employés "at will", quel que soit leur nombre, pour une cause réelle et sérieuse, sans cause, ou même pour une cause moralement répréhensible sans avoir à craindre de répercussions légales. » Aujourd’hui 49 des 50 Etats américains continuent d’appliquer cette doctrine. Une seule exception, le Montana qui autorise le licenciement seulement s’il est fondé sur un motif réel et sérieux.
L’idée libérale derrière est qu’en facilitant les licenciements, on favorise les embauches. Le marché du travail reste ainsi très fluide. « Il est d’ailleurs très probable, que les anciens de Twitter aient pu se faire rapidement embaucher, dans la journée, par une entreprise concurrente de la Sillicon Valley » suppose Maître Blumrosen.
Un collectif d’ex-employés de Twitter a malgré tout lancé une action en justice devant le tribunal fédéral de San Francisco. « Ce n’est pas le licenciement qui est contesté mais le non-respect du préavis de 60 jours » démêle la sociologue.
Une loi fédérale de 1988, le WARN Act (Worker Adjustment and Retraining Notification Act) énonce que toute entreprise de plus de 100 salariés licenciant au moins 33% de ses effectifs, est tenue de respecter un préavis de 60 jours. En Californie, le seuil est abaissé : « la règle s’applique pour les sociétés employant 75 salariés ou plus » précise Maître Marion Kahn-Guerra, avocate associée du cabinet Desfils et spécialisée en droit du travail.
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Flexibilité du marché du travail
Ensemble de mesures permettant l’adaptation du facteur travail, de l’emploi et de sa rémunération aux variations de la demande et des conditions de concurrence subies par les entreprises. Concrètement, il s'agit de la capacité des entreprises, en vertu des lois et des réglementations, à prendre des décisions concernant l’embauche, le licenciement, les heures et les conditions de travail des employés. Dans un marché du travail flexible, la réglementation en matière de main-d’œuvre est moins stricte et elle peuvent par exemple licencier les employés à leur gré. Plus un marché du travail est flexible, plus il est supposé favoriser l'embauche et une baisse du chômage. Mais, réduit aussi en parallèle, la sécurité économique des salariés.
Le contrat fait la loi
Les premiers contacts avec leur nouveau patron leur feraient presque regretter de ne pas avoir été virés. Lors de la première discussion, M. Musk est arrivé avec un quart d’heure de retard et des mauvaises nouvelles. « Il n’est pas impossible que Twitter fasse faillite » a-t-il posé. Ambiance. Quelques jours plus tard, arriva le choix (l’ultimatum?) posé aux employés : « travailler de longues heures à haute intensité » ou partir avec 3 mois de salaire. Ils avaient jusqu’au lendemain midi pour cocher « oui » (travailler de longues heures) ou « non ». N’ont-ils que ce choix ou peuvent-ils contester ces décisions en s’appuyant sur un droit du travail encadrant sa durée et ses conditions d’exercice ?
Pas vraiment. « Il existe bien aux Etats-Unis, une durée légale de travail hebdomadaire. Elle est de 40 heures et a été fixée par l’État fédéral en 1938 avec le Fair Labor Standard Act. Mais elle n’interdit pas à l’employeur de faire travailler ses employés plus de 40 heures. Il n’y a pas aux États-Unis de plafond comme en France*. Cette loi acte seulement qu’à partir de la 41e heure, il devra le payer plus » explique la sociologue Donna Kesselman. « En Californie, la 41e heure de travail est majorée de 50%, et la 61e heure (soit 12 heures de travail par jour) est payée double » précise Maître Blumrosen.
Aux États-Unis, le cadre légal est en effet assez souple. Les protections et avantages sociaux sont négociés au sein de l’entreprise, individuellement d’employé à employeur, et fixés par contrat. C’est le contrat qui octroie des droits et qui fait loi.
Autrement dit, si certains employés de Twitter ont dans leur contrat des clauses mentionnant une durée de travail hebdomadaire, des journées de télétravail, Elon Musk ne peut pas revenir dessus. Ces clauses sont le seul frein que peuvent opposer les employés aux décisions de leur nouveau patron en l’attaquant pour violation de contrat.
Pour aller plus loin
« Le retour en grâce du syndicalisme américain » de Donna Kesselman, dans la revue AOC, septembre 2022.
« Flexibilité et performance du marché du travail : une relation équivoque » de Catherine Sauviat Dans Chronique Internationale de l'IRES 2016/3 (N° 155), pages 154 à 171
Dans le programme de SES
Première. « Comment les entreprises sont-elles organisées et gouvernées ? »
Terminale. « Quels sont les sources et les défis de la croissance économique ? »