La France, championne de la féminisation pour les conseils d'administration
Des quotas de femmes dans les entreprises en France ? Ça sonne comme du déjà-vu. La proposition de loi faite par la députée LREM Marie-Pierre Rixain, est un peu la suite de la loi Copé-Zimmerman. Le texte référence en matière d’égalité professionnelle a fêté ses 10 ans cette année. C’est lui qui a imposé des quotas de femmes dans les conseils d’administration.
Sur ce point, le bilan est plutôt positif. La France est devenue championne en termes de féminisation des CA. avec un taux de femmes arrivant à 44,3 % en 2019, contre 13 % en 2011. « La preuve que l’argument qu’on a pu entendre au début, sur la peur de ne pas trouver de femmes pour ces postes n’était pas valable », commente Mathilde Mesnard, experte de l’égalité en entreprise à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Qui plus est, l’instauration de ces quotas a permis aux entreprises de professionnaliser davantage les processus de recrutement des membres des conseils d’administration : « On en a finalement amélioré la qualité globale des pour pouvoir recruter des femmes. »
Quotas Copé-Zimmermann
Loi du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration (CA) et de surveillance (CS) et à l’égalité professionnelle, proposée par les députés Marie-Jo Zimmermann et Jean-François Copé.
Des lieux stratégiques
La preuve, pour beaucoup de spécialistes, que les quotas de la loi Copé-Zimmerman ont eu des effets positifs. Néanmoins, « on s’est vite rendu compte que les vrais lieux stratégiques de pouvoir n’étaient pas les conseils d’administration, mais bel et bien les comités de direction et les comités exécutifs », poursuit Rachel Silvera, économiste et codirectrice du groupe de recherche Marché du travail et Genre (MAGE). « Si l’on veut la parité au sommet, il faut des quotas dans les Comex et les Codir. Sur ce point, la proposition de loi Rixain est une petite révolution. »
Aujourd’hui, la France est largement devancée par les pays nordiques ou le Royaume-Uni : on ne recense que 10 femmes à la tête d’une entreprise dans les 120 que compte l'indice boursier SBF. Et elles ne représentent que 22 % des membres des comités exécutifs. Pis encore, une seule femme dirige un groupe du CAC 40, qui regroupe les principales capitalisations boursières françaises.
De fait, « les quotas, outil certes contraignant, apparaissent comme un mal nécessaire », juge Rachel Silvera. « C’est sûr que l'on préférerait que les entreprises aillent naturellement vers plus de mixité. Mais force est de constater que cela fait de nombreuses années que l’on parle d’égalité et qu’on ne l’atteint pas naturellement. »
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Repenser les parcours de carrière
« Il faut que le législateur agisse pour forcer un vrai changement », renchérit clairement Mathilde Mesnard de l’OCDE. Cela étant dit, s’attaquer aux Codir et Comex s’avérera plus difficile.
« Dans les conseils d’administration, on peut trouver des personnes externes. Ils sont, en plus, renouveler régulièrement. Or, pour que plus de femmes occupent des postes aux comités de direction ou exécutif, il faut travailler sur les parcours de carrière, les processus internes d’évaluation, de promotion. Ce sont des changements plus lourds, qui prennent plus de temps. Quelque part, un Comex, c’est le résultat de carrières qui durent 20-30 ans. Ce sont des gens de 50 ans et plus. »
C’est là que, pour l’experte de l’OCDE, la proposition de loi Rixain semble ambitieuse. « Elle forcera peut-être les entreprises à mettre en place des processus de gestion de carrière plus égalitaires du début à la fin. Elles devront s’organiser pour faire monter les femmes à tous les niveaux. Ça fait longtemps qu’on voit que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à sortir de l’enseignement supérieur, mais qu’à partir de 35-40 ans, elles disparaissent des circuits ou qu’elles sont moins bien placées. »
Administrateur
Personne physique ou morale (dans ce cas représentée par un mandataire) élue par l’assemblée générale des actionnaires (AG) dont elle protège les intérêts et qui forme, au sein de l’entreprise, le conseil d’administration (CA).
Une parité élitiste
Mais l’optimisme qu’engendre la nouvelle législation ne doit pas balayer certaines limites. Comme pour les conseils d’administration, il ne faudrait pas que les postes occupés par les femmes ne concernent uniquement les fonctions dites support (ressources humaines, communication, finance, juridique). « Les nominations dans les unités “business hardcore” reviennent majoritairement aux hommes », déplore Mathilde Mesnard. « Si on ne veut pas voir des “femmes potiches” dans les Comex, il va falloir un vrai travail de la part des entreprises. »
Enfin, comme d’autres spécialistes, Rachel Silvera regrette que la proposition de loi Rixain n’aille pas encore plus loin. « Le quota choisi est de 40 %. Pourquoi pas 50 % ? », questionne l’économiste. Qui plus est, on a limité le champ des entreprises : seules celles qui ont plus de 1 000 salariés seront concernées. La loi Copé-Zimmerman concernait pourtant les plus de 250 employés.
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« Mais ma critique principale reste le fait que l’on exige une parité élitiste. Elle ne concerne que la frange dirigeante des salariés. Comme si, en pensant l’égalité au sommet, elle ruisselait à tous les niveaux de l’entreprise. Ça ne fonctionne pas du tout comme ça. » Ainsi, pour la maîtresse de conférences à Paris-Nanterre, l’une des clés, plus radicale, serait d’instaurer des quotas à tous les niveaux, et à tous les dispositifs : du recrutement aux promotions.
Pour Mathilde Mesnard, la proposition semble difficile à concevoir pour l’heure, alors que « la proposition de loi Rixain appelle un changement sociétal qui ne va pas se faire sans grincer des dents ».
D’autres mesures pour l'égalité
La proposition de loi Rixain évoque d’autres points pour l’égalité femmes-hommes, parmi lesquelles, l’obligation de verser le salaire ou les prestations sociales d’une femme sur un compte bancaire dont elle est détentrice ou le codétentrice ; la garantie de place en crèche aux familles monoparentales ; la publication d’un index de l’égalité par les établissements d’enseignement du supérieur ou encore des objectifs de mixité dans le soutien aux entreprises de la part de la banque publique Bpifrance.