Avec la cinquième vague de Covid-19, l’apparition du variant Omicron et le relâchement des gestes barrières, le Premier ministre Jean Castex a annoncé le 27 décembre l’obligation pour les entreprises de recourir au télétravail « trois jours minimum par semaine et quatre quand cela est possible ». C’est moins strict que chez nos voisins belges, qui ont l’obligation de télétravailler quand leur métier le permet au moins quatre jours par semaine.
Depuis le début de la pandémie, un ensemble d’acteurs au sein des entreprises rejette le tout-télétravail. En témoigne, la position de Geoffroy Roux de Bézieux, président du Mouvement des entreprises de France (Medef). « C’est une erreur », selon le patron des patrons, au micro de Jean-Jacques Bourdin, sur RMC. Il dit « non à l’obligation » de télétravailler, mais « oui à un effort supplémentaire » de la part des entreprises.
Ce rejet n’est pas le seul fait du patron des patrons ou de managers conservateurs.
Trois jours de présence pour garder le lien
La première crainte est celle de la perte de lien avec l’entreprise. Anne, manager et directrice des opérations dans un centre de gestion pour compte de tiers dans le secteur de l’assurance, rapporte que certains employés ont souhaité rester en télétravail toute la semaine. Mais la direction a refusé, justement pour éviter que les collaborateurs s’isolent des équipes et de leur environnement de travail.
Pendant le premier confinement, la manager a pu rapidement constater qu’à cause du 100 % distanciel « certaines personnes fanaient et perdaient de l’engouement pour leur travail ». Alors, la direction a décidé de faire revenir ces personnes sur site.
« Il y avait certes une obligation de télétravailler, mais seulement si les collaborateurs pouvaient exercer dans de bonnes conditions, décrit-elle, on a estimé que l’isolement provoque un risque que la personne ait un arrêt de travail et soit moins productive. Comme les conditions requises pour un rendement acceptable, selon nos indicateurs, n’étaient pas présentes, elle revenait sur site. »
Pour les collaborateurs à distance, la direction a mis en place de nouveaux outils pour conserver une bonne communication. « Avec la démocratisation de Teams, nous avons créé des "flashs hebdo". » Leur objectif est de faire un point sur le bien-être du collaborateur, et sur l’activité. Une fois par semaine, on demande au salarié comment il va. Ensuite, on s’attarde sur l’accomplissement des tâches de la semaine. Cette méthode a permis à tous de maintenir un lien, devenu « plus fort qu’avant la crise », car auparavant le bien-être revêtait un aspect bien plus personnel que professionnel.
Pour garantir le lien, la direction a décidé de poursuivre le télétravail mais pas toute la semaine. Alors, le Comité social et économique (CSE) de cette entreprise du secteur des assurances est en proie à la ratification d’un accord encadrant ce mode de fonctionnement. « Aujourd’hui, nous sommes sur un modèle de 3 jours en distance et 2 jours de présence, mais parce qu’on est encore sous la coupe d’une crise sanitaire. Autrement, indique la directrice des opérations, l’accord prévoit 2 jours de télétravail par semaine ».
Maintenant que l’entreprise a l’expérience d’un an et demi de travail à distance, « on est dans les starting-blocks, on sait qu’on risque de devoir faire partir tout le monde », annonce-t-elle. Dans son secteur d’activité, couplé à celui des activités financières, 56 % des salariés étaient au moins un jour en télétravail (21 %, tout secteur confondu), selon l’enquête de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).
Des conséquences sur la santé à surveiller
Côté employés, ce sont surtout les jeunes qui préfèrent eux aussi demeurer sur site. Eléanor a 24 ans. Elle effectuait son stage, à distance, toute la semaine. Elle vient d’obtenir son CDI et a refusé de télétravailler, sans hésiter.
Comme 60 % des jeunes télétravailleurs interrogés lors d’un sondage par Odoxa, elle a eu le sentiment d’être moins efficace et de ne pas avoir d’impact sur la société qui l’employait. Une situation qui s’est dégradée lorsque sa tutrice est partie à cause d’un burn-out. « On m’a délaissée, je n’avais plus rien à faire, alors que si j’avais été sur place, j’aurais eu de nouvelles tâches, soutient-elle, à la fin de mon stage, j’ouvrais mon ordinateur mais je ne prenais plus la peine de rester devant. »
Même si elle avait de bonnes relations avec sa tutrice, elle a ressenti des difficultés pour demander de l’aide : « quand ma supérieure avait des réunions et que je ne parvenais pas à répondre aux demandes des clients, j’étais sur la touche. J’envoyais des messages à des collègues, mais j’avais peur parfois de les déranger », confie-t-elle.
Elle fait aussi partie des 26 % de télétravailleurs qui ont ressenti davantage d’états d’anxiété ou de dépression en télétravail qu’en présentiel (Ugict-CGT). Sa dépression a commencé lorsqu’elle a dû suivre ses cours en distanciel : « Je suis quelqu’un de jovial en temps normal. Puis mes proches ont vu que je perdais du poids. Je ne les croyais pas ». Le verdict est tombé : Eléanor souffre d’anorexie. « Les symptômes étaient peut-être là avant le premier confinement, mais l’isolement les a exacerbés », analyse la jeune femme.
Le télétravail, ce n’est pas que de la pénibilité mentale pour certains salariés. Il s’agit aussi d’une souffrance physique, comme pour 39 % des télétravailleurs en 2021 (Ugict-CGT). Un chiffre en baisse par rapport à 2020 (44 %). « J’avais l’impression d’avoir 70 ans ! », se remémore Eléanor.
Sans chaise adaptée, sa sciatique, « du bas du dos jusqu’à la jambe », s’est aggravée. « Mon dos frottait sur la chaise. Couplé à l’anorexie, j’ai développé des escarres et un problème à la nuque. »
Des douleurs qu’elle impute à la sédentarité : « En présentiel, on peut aller d’un bureau à un autre, mais quand on est chez soi, c’est différent. J’ai même acheté un coussin adapté à ces douleurs. Ce n’est pas très sexy. » Ces conditions de travail ont des conséquences aujourd’hui car, même au bureau, elle confie « ne pas pouvoir rester assise très longtemps ».
Du télétravail oui, mais en mode hybride !
Bien qu’elle se sente « mille fois mieux » depuis qu’elle travaille sur site, la jeune femme tempère son jugement : « Le télétravail n’est pas si négatif, mais à petites doses, une ou deux journées par semaine. »
« Deux ou trois jours de télétravail, sous condition de l’organiser pour s’assurer de ne pas dépasser une jauge, c’est garantir entre 40 % et 60 % de l’effectif sur un site donné », estime Christophe Platet dans sa tribune, et ajoute que le mode hybride à l’avantage de garantir l’application des gestes barrières et la distanciation.
L’obligation de télétravail ne fait pas tout pour enrailler les contagions au Covid-19, car « 57 % des métiers tous secteurs confondus ne sont pas "télétravaillables", rappelle le fondateur du cabinet de conseil Lundano. Pour lui, « s’il devait y avoir une question en ces temps de cinquième vague, ce serait donc plutôt celle du confinement que celle du télétravail ».