Ce 6 mai 2019, l’ex-PDG de France Télécom était attendu de pied ferme au tribunal correctionnel de Paris. Après neuf années de procédure judiciaire, il était jugé pour « harcèlement moral » aux côtés de six autres anciens cadres dirigeants du groupe aujourd’hui devenu Orange. Didier Lombard est le premier président d’un groupe du CAC 40 contraint de répondre de sa politique de gestion des ressources humaines devant un tribunal. Dans un contexte d’ouverture à la concurrence, il avait fixé pour objectif la suppression de 22 000 postes et la mobilité de 10 000 travailleurs sur la période 2006-2008.
Des dégâts en chaîne
Le plan de restructuration appliqué s’avère draconien. Dès 2008, une vague de suicides, tentatives de suicide et dépressions frappe l’entreprise. « Nous recevions jusqu’à 15 appels par semaine de la part d’employés à tous les niveaux hiérarchiques et travaillant sur différents sites en France », se souvient Patrick Bertoncelli, président de l’Association des victimes de harcèlement au travail. Les salariés qu’il a au bout du fil subissent des agissements malveillants répétés (remarques désobligeantes, intimidations, mises à l’écart injustifiées, fixation d’objectifs irréalistes) qui dégradent fortement leurs conditions de travail. C’est la définition même du harcèlement moral.
L’assouplissement de 2016
Le mode de management dans sa globalité est mis en cause au travers du procès qui s’est ouvert. Les ex-dirigeants de France Télécom sont accusés d’avoir sciemment ordonné une organisation du travail qui désoriente et pousse à bout les salariés dans le but de les voir quitter d’eux-mêmes l’entreprise sans avoir à les licencier, donc en évitant de verser des indemnités. « C’est d’abord une pathologie de la solitude. C’est le signe d’une perte des solidarités dans le monde professionnel, conséquence d’organisations du travail qui déstabilisent le salarié », juge Marie Pezé, psychanalyste, experte de la souffrance au travail auprès de la cour d’appel de Versailles.Or depuis une loi votée en 2002, les entreprises ont pour obligation de préserver la santé physique et mentale de leurs salariés.
Ce que dit la loi
Selon le Code du travail : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » Le Code pénal contient un article similaire.
Elles sont tenues de prévenir le risque de harcèlement. « Les dirigeants doivent analyser l’organisation et l’environnement de travail afin de se demander en amont s’ils tiennent suffisamment compte de l’humain », explique Marie-France Hirigoyen, l’une des premières personnes en France à avoir étudié scientifiquement le harcèlement moral. Les dirigeants doivent former les managers de manière approfondie. Si toutefois un cas survient, les entreprises sont censées accompagner le salarié, mener une enquête interne et proposer une médiation pour résoudre le problème. En revanche, en 2016, la Cour de cassation a entendu certaines critiques et assoupli l’« obligation de sécurité de résultat ». Si le dirigeant a pris toutes les mesures de prévention prévues par la loi et réagi aussitôt en cas de harcèlement, il ne pourra pas être tenu pour responsable.
Tous concernés
Si l’on est victime ou témoin de harcèlement, il faut en parler, à un(e) responsable des ressources humaines ou au médecin du travail. Il est de leur responsabilité de se mettre à l’écoute des salariés harcelés. « En 2017, une DRH qui n’avait pas dénoncé un cas de harcèlement moral a été condamnée à un an de prison avec sursis », rappelle Marie Pezé. Le thème de la santé au travail devrait faire l’objet d’une nouvelle loi dans les prochains mois. Le verdict du jugement des ex-dirigeants de France Télécom est attendu le 2 juillet 2019. Ils encourent jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende.
Un impact économique non négligeable
Coût total du stress au travail en France entre 1,9 et 3 milliards €
Coût pour la société des problèmes de santé liés au travail
Entre 388 et 715 millions d’euros

Maladies cardiovasculaires (MCV) liées au travail
Entre 650 et 752 millions d’euros

Dépression due à des exigences professionnelles élevées
27 millions d’euros

Troubles musculosquelettiques (TMS) associés à de fortes exigences professionnelles
Pour aller plus loin
Le document d’analyse « Calcul des coûts du stress et des risques psychosociaux liés au travail » publié par l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail en 200