Près d’un tiers des managers arrêteraient de manager s’ils le pouvaient (29 %, selon une étude Cadreo). Pour Françoise Dany, chercheuse en gestion des ressources humaines à l’EM Lyon, « la carrière managériale est très exigeante et ne répond pas toujours aux attentes. Et les cadres ont parfois le sentiment qu’on ne leur donne pas les moyens d’accomplir leurs missions ».
Beaucoup témoignent de leur goût pour l’accompagnement d’équipes, mais aussi de leur lassitude face aux conditions de travail : nombre de tâches écrasant, beaucoup de reporting, peu de voix au chapitre.
Dans de rares cas, ils demandent même à être rétrogradés. Françoise Dany explique que « les organisations ignorent souvent le quotidien des équipes. La gestion se fait à l’aide d’indicateurs déconnectés du réel. Les managers sont soumis à la pression des coûts, on leur demande de prendre de la hauteur, mais ils ont du mal à tout faire. Or ces difficultés sont rarement discutées. Ils peuvent se sentir seuls ».
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Ne pas confondre management et leadership
Le manager encadre des équipes, organise leur travail, les fait progresser et atteindre des objectifs grâce à des compétences qui s’acquièrent. Le leader influence, insuffle une vision, est suivi. Un manager n’est pas toujours leader et l’inverse est vrai aussi. Les qualités requises ne sont pas les mêmes.
Loin de l’entraide et du terrain
Marie (le prénom a été modifié), conductrice devenue manager chez Keolis, se sent prise en étau : harcèlement par la hiérarchie d’un côté, aucune autonomie de l’autre. Ils ne peuvent pas décider de sanctions, doivent quémander bouteilles d’eau et lingettes désinfectantes. « On est des pions, on ne sert à rien », regrette-t-elle.
En devenant manager sur le tard dans un hôtel de luxe, Cécile Mkavavo a « attrapé le virus du management », mais découvert un monde « individualiste, qui conduit à devenir opportuniste » et éloigne de l’entraide du terrain. Elle regrette que « les managers aient de moins en moins de temps pour s’occuper des équipes ».
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Elle note aussi qu’ils doivent délivrer une « rentabilité qui les éloigne de l’humain ». Les salariés rechignent face à l’autorité, ils demandent de la coopération et de la légitimité. Avoir servi en salle, passé l’aspirateur, fait les lits, renforce pour elle la crédibilité d’un manager. Alors parfois, « pour être reconnu, il faut partir dans une autre entreprise ».
Les managers ont de moins en moins de temps pour s’occuper des équipes.
Cécile Mkavavo,manager sur le tard dans un hôtel de luxe.
Pour Françoise Dany, il y a « urgence à revisiter le management ». Deux leviers « doivent être activés ensemble ». D’une part, les conditions de travail et les éléments symboliques : rémunération, évolution dans la hiérarchie, avantages, formation, mais « souvent, ce n’est plus suffisant ».
D’autre part, « donner vraiment les moyens de bien faire son travail. Quand il faut faire plus avec moins, qu’on demande beaucoup aux équipes, on est bridé si on n’a pas le pouvoir de les récompenser. Si les horaires sont harassants et les moyens insuffisants, le manager cale… Pour revaloriser la fonction, on doit prouver que les managers sont bien traités et la situation, enviable ».
Dans un contexte qui impose aux entreprises de se réorganiser en permanence, « il faut des modalités d’émergence collective des idées, aider les équipes à s’adapter. Cela peut redonner de l’intérêt au rôle du manager qui, de simple administrateur, devient un médiateur, un accoucheur d’innovation ».
Créer une chaîne de confiance
Selon Gérard Thomas, donner confiance au manager est la clé de tout. Entré à Alstom avec un BEP en génie électrotechnique sur les plateformes d’essai, il a suivi des formations internes et change souvent de poste. Trente ans après, il est responsable qualité engineering. « Je ne savais pas que j’avais le profil, je me suis vraiment éclaté dans le management. »

Source : L’état de l’art du management en France, Maison du Management/Opinionway.
Océane Mourisard explique qu’à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, son premier poste, « mon manager me faisait énormément confiance et m’a donné des responsabilités, laissé prendre des initiatives. Sans cela, je ne sais pas si j’aurais envisagé de devenir manager ».
À Koovea, où elle est entrée comme alternante en communication, elle perçoit le même état d’esprit. Elle va d’ailleurs prendre la tête du service communication de la start-up et recruter son équipe. Valoriser le management, cela passe aussi par la souplesse : d’une part, ne pas faire miroiter le management comme seule évolution possible, d’autre part accompagner véritablement ceux qui sont déjà managers ou souhaitent le devenir, non parce que c’est une médaille, mais parce qu’ils savent pouvoir s’épanouir à ce poste et servir l’entreprise.
Tout lâcher pour créer sa boîte
Parfois, le management devient si compliqué que les managers partent monter leur entreprise. Ainsi David Breuil, qui a encadré jusqu’à 250 personnes, appréciait « l’aspect humain, faire monter les équipes en compétence ». Il a pourtant fini par partir, lassé, entre autres, par des relations forcément plus distantes dans de grosses équipes, la lourdeur du management, du reporting, quelques profiteurs.
Ses sociétés de recrutement, Kogito.io et SoLeadaire.org, se développent et il doit faire appel à des collaborateurs. Son expérience de manager lui permet de savoir ce qu’il ne veut pas : un management vertical avec un lien hiérarchique. Il travaille donc surtout avec des indépendants. « Quand on enlève la structure hiérarchique, on se concentre plus sur la production. » Selon lui, ses collaborateurs « sont plus libres et moi, je dois leur donner envie de continuer à travailler avec moi, ce qu’on peut oublier dans un contrat salarié ». Et il « n’envisage pas un retour à un poste salarié de manager ».
Christophe Carignano a aussi créé sa société. Manager pendant 10 ans sur des chantiers de General Electric à l’étranger, il appréciait le contact humain, l’aspect multiculturel, l’autonomie dont il bénéficiait sur place, presque comme un chef d’entreprise. De retour en France, il se retrouve en quelque sorte placardisé, officiellement manager, mais sans personne à gérer.
« Je me voyais progresser et j’ai connu un arrêt soudain. Je ne suis pas le seul à avoir vécu ça, plein d’autres managers se sont retrouvés du jour au lendemain sans équipe. » Ils ont trouvé dans l’entrepreneuriat ce qu’il ne trouvait pas ou plus dans le management : de l’autonomie et du sens.