« Les commerciaux ne pensent qu’à court terme » ! « Les marketeurs n’ont jamais mis les pieds sur le terrain » ! Les relations entre ces deux services sont réputées explosives, alors qu’ils collaborent pour vendre les offres de l’entreprise. Pourquoi cette réputation ?
Le marketing a une dimension stratégique (marchés, produits, positionnement) et opérationnelle (prix, distribution, publicité, outils de vente). Les commerciaux, eux, contactent les clients. Même objectif, mais rôle et perspectives différents : « Commerciaux et marketeurs ne parlent souvent pas le même langage ! », reconnaît Aurélien Gohier, responsable marketing en charge du digital chez l’éditeur de logiciels professionnels Dassault Systèmes.
Une guéguerre coûteuse
« Pour schématiser, le marketing tend à avoir une vision stratégique agrégée, les ventes une vision plus micro-centrée sur leurs clients », résume Dominique Rouziès, professeure de marketing à HEC. L’organisation de l’entreprise influence beaucoup la relation entre ces deux pôles : la séparation, y compris physique, l’asymétrie des pouvoirs, compte. « Et puis les indicateurs de performance ne sont pas alignés », ajoute Aurélien Gohier, ce qui est d’autant plus problématique qu’une part de la rémunération en dépend.
Mais peut-on parler de guerre ? Il est notoire que des tensions demeurent, même si rares sont les responsables qui acceptent d’en parler. Selon le cabinet américain IDC, seulement 8 % des entreprises estiment que les deux services sont alignés. Geodis ou Dassault Systèmes affirment que les relations ont toujours été bonnes et s’améliorent encore, même s’il subsiste des frictions.
Pour Olivier Nguyen Van Tan, vice-président en charge du marketing France de l’éditeur de CRM Salesforce : « Je ne peux pas dire que je suis en guerre avec mes commerciaux. Les entreprises sont toutes différentes, mais toutes ont la volonté de fluidifier les relations, car l’enjeu est capital ». Dominique Rouziès le confirme : « Des commerciaux qui refont le travail du marketing à leur sauce, cela entraîne perte d’argent et démotivation. Je ne suis pas sûre que les entreprises le mesurent souvent. »
Le client comme ciment
De mauvaises relations pourraient coûter jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires. Pour Olivier Nguyen Van Tan, l’alignement est une question de survie. « Le client doit être au centre de la stratégie pour articuler les équipes autour d’un référentiel commun, sous peine de perdre des parts de marché. »
Les méthodes sont connues : échanges réguliers formalisés, implication forte de la direction dans le rapprochement, outils donnant accès aux mêmes données en temps réel, alignement des objectifs sur les opportunités créées, recrutement de profils ouverts, rotation des salariés dans les services.
En sortant de l’école, le marketeur Aurélien Gohier a demandé à accompagner les commerciaux sur le terrain. « J’ai gagné en légitimité, appris à parler leur langage. Le marketeur doit connaître le terrain, se documenter sur la vente, et inversement. Cela demande du temps et de l’accompagnement. Au management de rendre ça possible. »
Une part du travail du directeur marketing de Dassault Systèmes est ainsi dédiée à la recherche sur la vente et sur la formation des commerciaux aux enjeux marketing. Chez le transporteur Geodis, une application permet aux commerciaux de créer très vite des présentations personnalisées à partir des contenus des marketeurs, qui analysent leur utilisation et le niveau de maîtrise, pour adapter contenus et formations.
Il y aura toujours des tensions… dans les moments tendus, « quand les chiffres baissent, durant les périodes de closing ou de renouvellement des abonnements", reconnaît Olivier Nguyen Van Tan. Aurélien Gohier rappelle que « les entreprises avec les meilleures réputations sont probablement celles dont tous les services sont alignés, or cela passe beaucoup par la vente et le marketing ». Idéalement, « au lieu de courir après une croissance à court terme en boostant le nombre et le volume de ventes, mieux vaut orienter les objectifs de toute l’entreprise sur l’expérience et la satisfaction client ».