La guerre des écrans se concentre sur les contenus. Certains groupes de médias qui étaient autrefois ses partenaires, comme Walt Disney, commencent à avoir peur de Netflix et refusent désormais que la plateforme diffuse leurs contenus. Du coup, Netflix doit investir de plus en plus dans des émissions, documentaires, séries et films originaux, par exemple « Orange Is The New Black » ou « The Queen ».
La « chaîne » accélère aussi son offensive dans le cinéma et veut produire quatre-vingt films cette année, beaucoup plus que la plupart des studios traditionnels hollywoodiens. Après son contrat pour six films avec Adam Sandler, elle a embauché Brad Pitt pour « War Machine », elle a produit le blockbuster « Bright », avec Will Smith, sans oublier « Okja », un film projeté au festival de Cannes.
Il faut entre six mois et cinq ans pour rembourser un programme original
La production de ces contenus originaux va lui coûter huit milliards de dollars (6,5 milliards d’euros) en 2018, deux milliards de plus qu’en 2017. En 2019, la firme pourrait dépenser jusqu'à 13 milliards de dollars. Mais rien n’est trop coûteux pour acquérir et fidéliser de nouveaux abonnés.
Le problème, évidemment, c’est que tout cet argent est dépensé avant la diffusion et il est amorti – remboursé – au fil du temps et du visionnage par les abonnés, ce qui peut prendre entre six mois et cinq ans. Ce modèle oblige Netflix à consommer beaucoup de capital.

Comme de nombreuses plateformes numériques dont la réussite est planétaire, Netflix applique la méthodes du bulldozer : des investissements massifs dans les contenus et des prix très bas pour atteindre successivement quatre objectifs : séduire un maximum d’abonnés, affaiblir ou anéantir les concurrents, conquérir des parts de marché et enfin remonter ses tarifs pour faire enfin des bénéfices et verser des dividendes à ses actionnaires.
Voilà l’histoire à la fois fascinante et terrifiante que Netflix raconte aux investisseurs qui parient leur argent sur son succès. Reed Hastings ne le cache pas : il y aura des sorties de fonds pendant « de nombreuses années » pour soutenir sa croissance dans le monde entier. Comme Amazon, qui a longtemps réalisé des profits négligeables alors que son chiffre d’affaires explosait.
Les investisseurs soutiennent toujours Reed Hastings, mais pour combien de temps ?
Quand on dépense beaucoup de milliards tout de suite alors que les recettes viendront plus tard, quand on accumule une dette estimée à 6,5 milliards de dollars sans faire de bénéfice malgré un chiffre d’affaires de 10 milliards, la course en tête peut ressembler à une fuite en avant. Combien de temps Netflix va-t-il tenir et trouver des financements ? Pour l’instant, le ciel est au beau fixe. Les investisseurs se bousculent et la valorisation boursière de l’entreprise frôle les 100 milliards de dollars, un tout petit peu moins que le groupe pétrolier Total.
Pariant sur des profits futurs et rassurés par la forte croissance actuelle de la société, les investisseurs continuent pour l'instant de soutenir Reed Hastings mais certains professionnels du secteur commencent à s'interroger : Netflix est il une baudruche, une « bulle » qui peut exploser ? Si les nouveaux contenus sont des hits, si les abonnés continuent à affluer par millions chaque mois, tout ira bien. Sinon… Le streaming vidéo payant ne sera pas éternellement en croissance. Si aujourd’hui, Netflix est à la fois pionnier et leader, rien ne garantit que ce monopole sera durable. La croissance finira bien par ralentir et alors la dette deviendra l’obsession des investisseurs.
Jawad Hussain, un spécialiste de la santé des entreprises qui travaille à l’agence S&P, l’explique clairement : « Si la croissance des abonnés ralentit, si les marges stagnent, c’est-à-dire si les dépenses de programmation de l'entreprise dépassent sa capacité à augmenter sa base d'abonnés, son accès aux marchés financiers, donc à de l’argent frais, serait compromis. » Bref, Netflix est engagé dans un marathon financier dans lequel il existe deux issues possibles : régner en monopole après avoir détruit ou absorbé tous ses concurrents, ou disparaître avec fracas.
Quand on accumule une dette de 6,5 milliards de dollars sans faire de bénéfice, la course en tête ressemble à une fuite en avant 