Cet article est extrait de notre magazine consacré au pouvoir d'achat. À retrouver en kiosque et en ligne.
En 2020, six directeurs d’Eco CO2 enchaînent les rendez-vous chez les banquiers. Ils ont besoin d’emprunter pour un gros achat : leur entreprise. Eco CO2 est une PME de 114 salariés spécialisée dans la sensibilisation des particuliers, des entreprises et des organismes publics à la réduction de leur impact environnemental.
L’histoire commence en janvier 2019. Jacques Allard, P.-D.G. et fondateur, leur annonce qu’en 2021, il prendra sa retraite. « Il n’était pas question qu’on lui rachète ses parts, il cherchait un repreneur et nous associait au processus », rapporte Johanna Le Conte, 36 ans, membre du comité de direction depuis 2018.
Entrée dans l’entreprise en 2015, elle a pris, en 2016, la direction du service Relations clients et en 2020, celle du pôle Innovation et développement. Elle aime son travail, le départ à la retraite du patron ne l’enthousiasme guère. Après tout, Eco CO2 marche bien. Depuis 2015, le chiffre d’affaires grimpe chaque année en moyenne de 80 %, pour atteindre 9,2 millions d’euros en 2020.
« Je ne souhaitais pas que les choses changent », confie à son tour Isabelle Senn Zilberberg, 50 ans, arrivée en 2013, membre du Codir depuis 2018 et responsable des opérations depuis 2020. « J’étais convaincue qu’avec un repreneur, au moins une de nos trois activités (solutions connectées, campagnes de sensibilisation, études) passerait à la trappe. Je n’avais pas tort, certains candidats à la reprise nous l’ont dit très clairement. »
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« Pourquoi pas nous ? »
Au fil des réunions pour préparer la cession, une idée germe dans la tête des six directeurs : « Pourquoi pas nous ? ». « Dans ces réunions, l’entreprise est auscultée sous toutes ses coutures : ses forces, ses faiblesses, ses ressources, ses leviers de croissance. Ça nous a permis d’avoir une vision globale de la boîte et de nous donner confiance. En 2019, nous n’étions pas prêts. Un an plus tard, nous étions mûrs », explique Johanna.
Pour acheter un appartement, on va voir son banquier afin d’obtenir un prêt. Pour racheter sa boîte avec ses collègues, on commence par créer une structure, la « holding de reprise ». Elle regroupe tous les collègues associés dans l’aventure.
C’est la holding qui rachète ensuite la boîte et non chacun des associés à titre individuel. Bien sûr, pour réaliser la transaction, la holding a besoin d’argent. Les repreneurs versent donc leur apport personnel, ce qui en général ne pèse pas lourd. Le plus gros du financement vient des banques et des fonds d’investissement.
La holding est un garde-fou, une sorte de tampon. C’est elle qui contracte le prêt, en mettant en garantie les biens personnels des associés. C’est la holding qui rembourse le prêt grâce à une partie des bénéfices dégagés par l’entreprise, qui remontent à la holding sous forme de dividendes.
Première étape, donc : la tournée des banques. « Les premiers rendez-vous étaient assez rock’n’roll. À l’époque, nous n’avions pas de directeur financier. Du coup, on ne comprenait même pas les questions qu’on nous posait », s’esclaffe Johanna. « Il y avait de quoi devenir fou. Entre les banques soi-disant enthousiastes qui ne vous donnent plus de nouvelles et celles qui attendent l’accord d’un fonds d’investissement pour prêter, impossible de s’y retrouver », rigole à son tour Isabelle.
« Un rachat d’entreprise est un processus long, lourd et coûteux. Il faut payer un audit, engager un avocat et un financier pour les montages financiers et juridiques », prévient Audrey Missonier, enseignante-chercheuse sur la cession d’entreprises à Montpellier Business School.
« La BPI et les banques d’affaires spécialisées sur ces opérations connaissent les codes, le vocabulaire, les réflexes à avoir. Il ne faut pas hésiter à les solliciter. Les banquiers se paient à la réussite de l’opération et sont demandeurs de dossiers », encourage Olivier de Lagarde, président du Collège de Paris formant de futurs entrepreneurs.
C’est ce que finissent par faire les six directeurs. Inspirit Partners, cabinet de conseil en fusion-acquisition, au départ sollicité par Jacques Allard pour trouver un repreneur, se fait embaucher par le club des six. La BPI se porte garante pour leur prêt. Et le futur ex-patron, désireux de voir leur projet réussir, décide de garder quelques parts dans la boîte, un signe de confiance pour rassurer les investisseurs. La Banque Populaire dit « oui ».
L’habit fait le patron
Le 8 juin 2020, les six directeurs et 72 salariés d’Eco CO2, mis dans la confidence, achètent 55 % des actions d’Eco CO2.
Johanna Le Conte est devenue présidente et Isabelle Senn Zilberberg directrice générale. « Une fois qu’on a le costume, ce qu’on dit devient officiel. C’est une employée à qui je venais de confier mes doutes, qui me l’a rappelé. À cet instant, j’ai compris que les choses avaient changé », confie la nouvelle dirigeante. Isabelle, elle, s’immerge dans les réglementations, le droit, les conventions.
« Avant, on décidait sans vraiment vérifier que tout était dans les clous. Monsieur Allard s’en chargeait. Aujourd’hui, nous sommes les responsables. »
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