C’est la transition écologique la plus draconienne jamais réalisée par une entreprise : celle de DONG Energy, devenue Ørsted. « Notre stratégie de croissance, c’était de développer le charbon, le pétrole et le gaz en Europe du Nord », reconnaît l’entreprise dans un livre blanc qui revient sur cette transformation. Elle peut se targuer aujourd’hui d’être à la pointe de la lutte contre le réchauffement climatique.
Conviction environnementale sans doute, nécessité économique sûrement. « Au début des années 2000, DONG Energy avait du mal à trouver les sources pour de futurs bénéfices », raconte Jonas Rimer Hansen, journaliste économique au quotidien danois de référence Berlingske. Alors que les pays commencent à formuler des engagements environnementaux, le renouvelable apparaît soudain comme une vraie opportunité commerciale. En 2009, l’entreprise commence à investir dans le vert. Les clients affluent. Entre 2007 et 2020, les émissions de carbone de DONG ont diminué de 86 %. Dans le même temps, les résultats d’exploitation doublent et la part des profits attribuables au renouvelable atteint les 98 %. La vertu, ça rapporte ?
Vitesse, tensions et emplois
De 85 % d’énergies fossiles et 15 % d’énergie verte en 2009, Ørsted déclare vouloir l’inverse pour 2040. En 2018, avec 22 ans d’avance, c’est mission accomplie. « Il y a eu beaucoup de combats en interne », reconnaît Jonas Rimer Hansen. À une époque où le réchauffement climatique et le développement durable ne sont pas encore sur toutes les lèvres, beaucoup jugent trop radical le virage envisagé. Une grande partie des budgets est redirigée vers les équipes en charge des énergies vertes, jusque-là très restreintes. Les énergies fossiles, pourtant rentables, sont délaissées. « [Le PDG] Anders Eldrup était tellement concentré sur les énergies renouvelables qu’il oubliait tout le reste. Il avait des œillères », poursuit Jonas Rimer Hansen. Contesté, le dirigeant est remplacé en 2012 par Henrik Poulsen. « Avec le recul, beaucoup réalisent aujourd’hui qu’il avait raison, qu’il fallait le faire », concède le journaliste.
Dans leur livre blanc, les équipes de Ørsted reconnaissent une « résistance interne et externe ». Elles ajoutent : « Ce qui semble être surtout un défi technologique ou financier est d’abord un défi de leadership. Nous avons dû dépasser l’inertie des opinions et des routines et redéfinir ce que nous sommes en tant qu’entreprise. Cela a été difficile, notamment sur le plan individuel et psychologique, car nous avons dû abandonner des domaines d’expertise qui rendaient fiers des milliers de collègues. »
Certains ouvriers spécialisés dans le pétrole ou le gaz ont suivi leurs activités lorsque celles-ci ont été cédées à d’autres exploitants, comme Ineos. D’autres sont restés pour une formation interne. Recruter n’est pas facile, car les experts des nouvelles énergies sont rares, par exemple les ouvriers de maintenance de turbines offshore. Mais globalement, en termes d’emplois, la transition a été une victoire. « Quand la transition a commencé, il y avait près de 5 500 employés. Aujourd’hui, ils sont environ 7 000 », rapporte Jonas Rimer Hansen.
L’énorme pari de l’éolienne offshore
Au sein des renouvelables, le choix de l’entreprise, c’est l’éolien offshore (en mer). Un pari risqué, puisque cette énergie est à l’époque plutôt chère : 167 euros par MWh en 2012 contre 56 euros en 2019. Pour faire baisser les prix, il a fallu travailler de concert avec l’industrie, expose Ørsted dans son livre blanc. L’investissement majeur de l’entreprise, en 2009, ce sont 500 turbines Siemens dans deux parcs, en Angleterre et au Danemark – « plus que toute la flotte mondiale », précise le livre blanc. La même année, l’entreprise a racheté l’entreprise d’installation d’éolienne A2SEA pour environ 168 millions d’euros, « afin de contrôler cette partie stratégique de la chaîne d’approvisionnement ». En 2012, DONG Energy et Siemens signent pour 300 éoliennes de plus.
Pendant ce temps, DONG se sépare de projets qui avaient longtemps pesé lourd dans ses profits, dont un projet de centrale à charbon près de la ville de Greifswald, dans le nord de l’Allemagne. « Pour Anders Eldrup, l’entreprise ne pouvait pas s’engager dans une transition verte et en même temps construire l’une des plus grandes centrales à charbon d’Europe », explique Jonas Rimer Hansen.
En 2016, DONG Energy entre en Bourse avec une valorisation de 13,2 milliards d’euros, contre six milliards deux ans plus tôt. En 2017, elle entérine sa mue et devient Ørsted. L’entreprise a, depuis, investi en Asie puis aux États-Unis et se diversifie dans l’énergie solaire, l’hydrogène vert et le stockage d’énergie.
L’entreprise aurait voulu être 100 % renouvelable d’ici 2025, mais la crise énergétique a douché cette ambition : le gouvernement danois a demandé à Ørsted de conserver un peu plus longtemps ses dernières centrales à charbon, pour remplacer le gaz russe.
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