« Quand on parle d’évolution, on pense souvent nouveau job, nouvelles responsabilités, supervision d’équipes. Or, ce n’est peut-être pas ce qu’attendent la majorité des salariés », suggère Pascal Grémiaux, président de l’éditeur de logiciels de ressources humaines Eurécia. « La crise a révélé et accentué les difficultés du management. »
Françoise Dany, chercheuse en gestion des ressources humaines à l’EM Lyon, note que « si pendant longtemps, le management a été la voie royale, très prisée, elle attire moins aujourd’hui ». Anita Sapinho, DRH France de la société de conseil Keyrus, tempère un peu : « Le management reste assez recherché par les collaborateurs, mais on ne peut plus dire qu’on n’a pas raté sa carrière si on n’a pas managé. »
En Chiffres
66 %
Proportion des salariés qui ne souhaitent pas devenir managers. Source : Baromètre « Radioscopie des managers », Cegos, 2018
L’autonomie, l’épanouissement, le développement de compétences, l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle deviennent de vrais enjeux de gestion de carrière. Françoise Dany confirme : « Ceux qui en ont les moyens vont plutôt se positionner en free-lance sur des missions ponctuelles. »
L’autonomie, l’épanouissement, le développement de compétences, l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle deviennent de vrais enjeux de gestion de carrière. Françoise Dany confirme : « Ceux qui en ont les moyens vont plutôt se positionner en free-lance sur des missions ponctuelles. »
Luc Carnesecchi, ingénieur informatique à la retraite, assume n’avoir jamais fait de management et avoir eu une carrière épanouissante. « J’ai souvent répété à mes supérieurs : je ferai du management quand je serai moins bon techniquement. » Il a changé plusieurs fois de poste et d’entreprise afin d’évoluer autrement que verticalement et pour développer de nouvelles compétences. Il s’est positionné comme expert, « seule voie permettant d’éviter la fonction de manager ».
En Chiffres
3 milliards d’euros
Ce que coûterait aux entreprises françaises la mauvaise gestion de carrière. Source : Étude « Adapt to Survive », PwC, 2014.
Foule de passerelles
Pour garder leurs salariés, les entreprises doivent donc proposer des alternatives au management. Titre d’expert technique, postes transverses, gestion de projet, passage réfléchi d’un poste à un autre sont les plus cités. Koovea, start-up spécialisée dans la chaîne du froid, a créé « le poste de lead tech, responsable de la partie technique d’un projet, sur qui se repose le manager », explique son cofondateur, Yohann Caboni.
De même chez Alstom, où certains techniciens « ont une ancienneté et un niveau technique tels qu’il est difficile de les remplacer », d’où la création de titres d’experts techniques, raconte Gérard Thomas, responsable qualité.
« Certaines personnes vont naturellement vers des responsabilités managériales, d’autres sont meilleures en tant qu’experts, et auraient été mal à l’aise comme managers. »
Pascal Grémiaux,président de l’éditeur de logiciels de ressources humaines Eurécia.
Eurécia s’emploie donc à repérer lors d’entretiens formels et au quotidien dans quelle voie les salariés s’épanouiraient. Chez Keyrus, parmi les « nombreuses passerelles, selon Anita Sapinho, on compte la mobilité, nationale ou internationale et la polyvalence, souvent technique, très prisée ».
Il y a parfois des reconversions, même si c’est plus rare, ou un changement de secteur. « Une autre évolution possible, c’est l’intrapreneuriat. » Toute évolution fait l’objet d’un dispositif d’accompagnement. « L’idée, c’est de valoriser les compétences, d’accompagner les collaborateurs dans leur carrière. Ce sont des éléments de fidélisation, qu’on met aussi en avant au cours du recrutement. »
Intrapreneuriat
Contraction d’« intra » (à l’intérieur) et « entrepreneur ». Démarche visant à introduire une gestion entrepreneuriale au sein d’une organisation. Les salariés qui deviennent « intrapreneurs » mènent à bien un projet autonome, avec beaucoup plus d’indépendance. Le but : créer ou maintenir un climat d’innovation au sein de l’entreprise.
La voie de l’expertise
Valoriser tous les postes comme on le fait pour le management, cela passe par de la communication interne, mais aussi une politique salariale adéquate, avec des experts et intrapreneurs aussi bien payés que les managers. C’est ce vers quoi tend Koovea. Chez Keyrus, Anita Sapinho assure que « le salaire dépend du niveau d’expertise plus que de la fonction ».
« Gérer une équipe », un poncif social
Selon Françoise Dany, « les personnes se font une représentation de ce qu’est une belle carrière selon ce qu’ils voient autour d’eux ». Les cadres adaptent aussi leurs ambitions selon les plans de leur entreprise et le contexte économique.
D’après ce qu’a pu observer Valérie Sablé, du groupe Keyrus, « quand on commence à monter dans la hiérarchie, on nous demande combien de personnes on a sous sa responsabilité. Dans l’inconscient collectif, un directeur doit gérer des gens ».
Aller plus loin
La Gestion des carrières, Françoise Dany, Laetitia Pihel, Alain Roger, Vuibert, 2013