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Peut-on vraiment sauver Air France ?

L’épidémie de Covid-19 a frappé la compagnie aérienne nationale au tout début de son plan de redressement. Si le soutien massif de l’État lui permet d’échapper à la faillite, rien n’assure à ce stade qu’elle parviendra à mener à bien sa mue et ainsi éviter une nationalisation.

Yves Adaken
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© Getty Images

L’histoire se répète. Vingt-six ans après avoir sauvé Air France en la recapitalisant à hauteur de 20 milliards de francs (4,3 milliards d’euros), l’État vole à nouveau à son secours.

A priori, pas de nationalisation cette-fois ci, mais une aide qualifiée d’« historique » par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire.

Celle-ci comprend 3 milliards de prêts directs de l’État et 4 milliards de prêts bancaires garantis par la puissance publique. Elle s’ajoute au coût du chômage partiel qui finance actuellement les salaires de 80 % des 45 000 salariés d’Air France (1,1 miliard d’euros sur l’année 2019).

Les dessous de la montée au capital gouvernementale 

[Mis à jour le 8 avril 2021] La compagnie va toucher jusqu'à 4 milliards d'euros d'aides de l'Etat, sous la forme d'une conversion des 3 milliards d’euros de prêt déjà accordés par la France en 2020 et d'une augmentation de capital pouvant aller jusqu’à 1 milliard d’euros. Cette recapitalisation a été approuvée par l'Union européenne mardi 6 avril, sous plusieurs conditions. Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission, en charge de la concurrence, veille à ce qu'Air France redevienne rentable. Elle a notamment précisé dans un communiqué : "Tant que la recapitalisation n’est pas remboursée à 100 %, Air France et sa holding sont soumis à une interdiction de dividendes".

La France n’est pas la seule à soutenir ainsi sa compagnie nationale, véritable « ambassade volante » dont dépendent 350 000 emplois directs et indirects dans le pays. Les Pays-Bas vont appuyer le prêt de 2 à 4 milliards d’euros à KLM, le partenaire d’Air France au sein du groupe Air France-KLM, dont les deux États sont actionnaires à 14 %.

Les États-Unis, l’Allemagne ou Singapour débloquent des sommes similaires pour empêcher leurs compagnies fanions de faire faillite. Car c’est bien cette menace que fait planer le Covid-19 en clouant les avions au sol pour une durée indéterminée.

Équation à plusieurs inconnues

Malgré des mesures d’économie et un trafic réduit de 95 % en avril 2020, Air France brûlait 25 millions d’euros par jour en raison de ses frais fixes (maintenance, loyers des appareils…). De quoi épuiser ses réserves de cash avant l’été.

Le prêt de 7 milliards doit lui permettre de tenir 12 à 18 mois supplémentaires. Mais sera-ce suffisant ? Car le trafic ne reviendra pas à la normale avant 2022.

Le rythme de la reprise dépendra de la réouverture des frontières et de la volonté des voyageurs de reprendre l’avion. Il va falloir les rassurer par des mesures sanitaires. Et les inciter par des tarifs attractifs. Ce qui aura un coût.

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Par ailleurs, si des règles de distanciation sociale étaient imposées, un siège sur trois pourrait être laissé inoccupé. Or un taux de remplissage de 66 % n’est rentable pour aucune compagnie aérienne. Celui d’Air France frôlait les 88 % en 2019.

Autant d’inconnues qui expliquent l’extrême prudence des banques – y compris françaises – à participer au plan de sauvetage. Pour les amadouer, le gouvernement a dû porter sa garantie à 90 % du montant des prêts !

La question de la rentabilité est d’autant plus sensible qu’elle se posait déjà avant la crise. C’est une faiblesse chronique d’Air France. Sa marge opérationnelle ne s’élevait qu’à 1,7 % en 2019. Loin derrière les 7,6 % de Lutfhansa et très loin des 12,8 % d’International Airlines Group (British Airways, Iberia, Vueling).Les boulets de la compagnie française sont connus. Ses lignes intérieures sont déficitaires depuis des années (200 millions d’euros de pertes l’année dernière). En particulier celles de Hop, sa filiale transrégionale.

Et elle doit supporter des charges sociales beaucoup plus élevées que les low cost qui font travailler des pilotes pseudo-indépendants ou établissent la base d’affectation de leurs salariés dans les pays les moins chers.

Une dette qui explose

De 6,1 milliards d’euros fin 2019, la dette d’Air France-KLM va grimper pour atteindre entre 15 et 17 milliards cette année. Sur la base de la trésorerie d’exploitation dégagée l’année dernière, le groupe mettrait 25 ans à la rembourser… à condition d’y consacrer toutes ses ressources. Impensable ! Les actionnaires vont donc devoir participer à une augmentation de capital, ce qui promet des discussions animées avec l’État néerlandais, la compagnie américaine Delta Airlines, la Chinoise Eastern Airlines ou le fonds d’investissement Causeway…La France pourrait aussi transformer sa créance en actions. Le risque d’une nationalisation n’est pas encore écarté.

Rétablir la compétitivité

Arrivé aux commandes d’Air-France-KLM il y a deux ans, le directeur général Ben Smith a présenté en novembre 2019 un plan destiné à rétablir la compétitivité du groupe en cinq ans.Les contreparties exigées en échange de l’aide publique l’ont conduit à ramener ce délai à deux ans. Cela passera par la fermeture de plusieurs lignes intérieures. Et par des réductions d’effectifs.

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Un plan de départs volontaires va donc être lancé. Mais pour réussir et éviter une crise sociale, il devra être généreux. Autrement dit, coûteux. Voilà pour les mesures d’économies. Mais il faut aussi augmenter les profits. Favoriser la montée en gamme d’Air France et de la très juteuse classe affaires. Et développer Transavia, la filiale low cost du groupe dédiée au moyen-courrier. C’était déjà la priorité de Ben Smith avant la crise. Il a d’ailleurs obtenu l’été dernier des pilotes de lever la limite des 40 appareils qui entravait le développement de la compagnie.

 « Tant que des différences salariales existeront avec les autres compagnies, ce sera difficile pour Air France de lutter. Transavia permet de réduire cet écart. Elle doit grossir le plus vite possible. » 
Didier Bréchemier

associé au cabinet de conseil Roland Berger.

L’amélioration de la rentabilité est l’une des deux contreparties exigées par l’État. L’autre étant qu’Air France devienne « la compagnie la plus verte du monde ».

La bonne nouvelle, c’est que les engagements environnementaux réclamés par le gouvernement semblent compatibles avec les plans de la direction. Sauf qu’il faudra financer sur la durée le plan déjà engagé pour la doter d’avions moins polluants.

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Toutes les commandes d’Airbus A220 (moyen courrier) et A350 (long courrier), qui permettent de réduire la consommation de 20 à 25 %, sont pour l’instant maintenues. Mais qu’adviendra-t-il en sera-t-il si les profits ne sont pas au rendez-vous ?

Pour autant, aussi massive qu’elle paraisse, l’aide apportée à Air France permet seulement d’éviter la faillite à court terme et de poursuivre la restructuration prévue avant la crise.

Elle porte à un niveau très élevé l’endettement du groupe, laissant planer un doute sur sa capacité à rembourser dans un environnement aussi incertain.

Faute de pouvoir dégager rapidement des marges suffisantes, il faudra donc procéder à une augmentation de capital l’année prochaine. Air France est loin d’être sortie des turbulences.

Le défi vert ou comment coopérer avec la SNCF

En échange de son aide, le gouvernement impose à Air France de réduire de 50 % ses émissions de CO2 sur les vols intérieurs d’ici la fin 2024. L’État fournit un des moyens d’y arriver : il exige l’arrêt des liaisons Paris-province là où une alternative ferroviaire existe en moins de 2h30.

Cela tombe bien, car ces lignes concurrencées par le TGV étaient déjà dans le collimateur de la direction. Cette condition ouvre toutefois le difficile chantier d’une coopération avec la SNCF. Quant à l’obligation d’utiliser d’ici 5 ans 2 % de carburant alternatif durable, elle pose d’autres questions. Comment la remplir alors que la filière de production n’existe pas encore ? Et cette norme sera-t-elle imposée aux autres compagnies ?