Sociologie

Plafond de verre : quotas de femmes en entreprise, solution miracle ou piège ?

Série - Si les entreprises ne veulent pas promouvoir les femmes, faut-il les y obliger ? C’est le pari fait par la loi de 2011 sur les quotas de femme dans les entreprises du CAC 40. Un pari gagnant, mais qui ne lève pas toutes les barrières du plafond de verre. [Plafond de verre 4/4]

Sandrine Chesnel, illustration de Hay Li
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Illustration de l'article Plafond de verre : quotas de femmes en entreprise, <span class="highlighted">solution miracle ou piège</span> ?

© Hai Ly

À 25 ans, un recruteur hésite à embaucher une femme, parce qu’il a peur qu’elle fasse un enfant ; à 35 ans, il préfère éviter de l’embaucher, parce qu’il a peur que ses enfants soient malades ; et, à 45 ans, il ne veut plus l’embaucher… parce qu’il la trouve trop vieille !

Et c’est bien dommage puisque passé 45 ans, les femmes qui ont eu des enfants sont à la fois très expérimentées et encore plus disponibles pour leur travail. Soit le profil idéal pour intégrer un comité exécutif ou un comité directeur d’une entreprise.

Senior et femme : le combo plombant

Dans les faits, c’est rare. Sur le marché du travail français, les "seniors" (comprenez les plus de 45/50 ans) sont souvent mis à l’écart si ils ou elles ont la malchance de perdre leur emploi. Perçus comme trop chers, pas assez souples.

Double peine alors pour les femmes de cet âge qui cumulent stéréotypes sur le genre et l’âge. "À cela s’ajoutent les barrières que se mettent les femmes elles-mêmes, parce qu’elles ont trop bien intégré ces clichés, explique Sophie Dancourt, fondatrice du média J’ai piscine avec Simone, pour les femmes de plus de 50 ans. Par exemple dans des négociations elles vont souvent demander moins que ce qu’elles pensent mériter, parce qu’elles n’osent pas s’affirmer. Même chose pour les promotions".

Ainsi selon une étude citée par Nina Roussille, post-doctorante en économie à Berkeley, à l'occasion d'une conférence de l'Ecole d'économie de Paris, plus les années passent et plus les femmes demandent un salaire moins élevé que les hommes de leur tranche d'âge : si à la sortie de l'école elle réclame le même salaire, 10 ans plus tard elles sont prêtes à se contenter de 6% de moins que les hommes.

Sophie Dancourt dénonce aussi un autre effet un peu pervers lié aux quotas : "Beaucoup d’entreprises, quand on leur reproche de ne pas mettre plus de femmes à des postes stratégiques, disent ne pas en trouver. C’est parfois une bonne excuse. Mais de fait, il y a aussi des femmes qui, arrivées à une certaine maturité, n’ont pas envie de servir d’alibi, d’être celle qu’on va montrer en exemple pour dire que l’entreprise a brisé le plafond de verre".

Payer une pénalité plutôt que de se mettre en marche

Et pourtant, les quotas, ça marche. Il y a 10 ans, l’assemblée nationale adoptait la loi Copé-Zimmermann, du nom des deux députés qui l’ont portée, Jean-François Copé, et Marie-Jo Zimmermann.

Son objectif : obtenir une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration (CA) et de surveillance, alors qu’à la fin des années 2000 les CA des entreprises du CAC 40 ne comptaient que 10 % de femmes. Il s’agissait de faire exploser le plafond de verre qui empêche les femmes d’accéder aux postes à responsabilité. 10 ans plus tard, les mêmes entreprises revendiquent 45 % de femmes dans leurs conseils d’administration - alors que le seuil était fixé par la loi à 40 %. Bingo.

“Oui, cette loi est utile, quand rien ne bouge il n’y a pas d’autre choix que de mettre un pied dans la porte, explique Stéphanie Moullet, économiste et directrice de l’Institut régional du travail de l’université d’Aix-Marseille. Le problème est que cette loi était censée faire des émules, provoquer un effet boule de neige, qui n’a pas vraiment eu lieu. En dehors des CA du CAC 40, les femmes restent minoritaires aux postes de direction. Sans quota, et surtout sans contrôle de l’application de ces quotas, rien ne bougera”.

Dans son bilan de la loi Copé-Zimmermann, paru en janvier dernier, le Haut Conseil à l’égalité femmes-hommes est un peu plus optimiste et souligne que depuis cette première loi, une demi-douzaine d’autres “ont enrichi le dispositif", par petites touches, dans les fédérations sportives, les ordres professionnels, les jurys de concours…

Mais d’évoquer également, notamment dans la fonction publique, “une forme de routinisation des quotas engageant les ministères à payer (une pénalité) plutôt qu’à se mettre en mouvement”, montrant du doigt pour exemple les différents conseils créés pour lutter contre la pandémie, qui ne se sont pas préoccupés de la parité ; ainsi du Conseil scientifique nommé par le président de la République, qui compte 17 membres, dont seulement 5 femmes. La culture de la parité “n’est pas advenue” résume le Haut conseil à l’égalité.

Féminisme washing partout, égalité nulle part

Paradoxe : les femmes patinent à l’entrée des codir et des comex, pour l’instant pas encore soumis à des quotas, mais dans le même temps les discours sur la nécessaire égalité femmes-hommes n’ont jamais été si nombreux et encouragent la pratique du “féminisme washing”.

Ou l’art et la manière d’instiller de l’égalité dans sa communication et son marketing, sans répercussion sur ses pratiques RH. On peut ainsi évoquer le secteur de la mode, qui utilise beaucoup les slogans féministes et le “girl power”, alors que selon une étude du site Business of Fashion1, seulement 14 % des marques de mode les plus influentes sont dirigées par des femmes.

Comment aller plus loin pour permettre une véritable égalité entre femmes et hommes, garante de l’efficacité économique ? L’éducation, des filles comme des garçons, est centrale.

Mais le Haut conseil à l’égalité, fort des résultats obtenus par la loi Copé-Zimmermann, fait d’autres propositions, comme par exemple, conditionner l’obtention de financements publics ou d’autorisation administrative au respect des obligations légales en matière de parité et d’égalité.

Il suggère également que soit ajoutée dans l’index égalité femmes-hommes, dit Index Pénicaud, la part des femmes dans les instances de direction (comex et co dir) des entreprises qui y sont soumises. 

Et de rappeler que nombre d’études, notamment celle réalisée par le cabinet McKinsey, Women Matter, montrent qu'il y a toujours "une forte corrélation positive entre la présence de femmes à des postes de leader et la performance financière de l’entreprise".

En politique aussi, le plafond de verre existe

Parce que les rôles modèles sont importants pour déconstruire les stéréotypes, "il y a aussi beaucoup à faire en politique", glisse Isabelle Attard, députée EELV de 2012 à 2017. "En apparence, tout est réglé. Lors des dernières élections départementales, sur les affiches de campagne il y avait toujours un homme et une femme. Mais au final, combien de présidents de département sont des présidentes ?" demande l'ex-députée. 

Comme dans l’entreprise, les femmes politiques hésitent trop à se mettre en avant, attendent qu’on vienne les chercher, pensant que leurs compétences et leur capacité de travail suffiront à les distinguer, "mais ça ne marche pas comme ça, ni en politique, ni dans l’entreprise". Alors pour briser le plafond de verre, "faute de grives, on prend des merles, et on accepte le principe des quotas" résume malicieusement Isabelle Attard.

Et que conseiller aux jeunes femmes qui rêvent d’intégrer les plus hautes sphères dirigeantes des entreprises et des administrations ? "Qu’elles ne prennent jamais rien pour acquis, prévient Stéphanie Moullet. Elles doivent avoir conscience qu’il existe encore dans beaucoup d’entreprises une forme de culture viriliste et un sexisme ordinaire qui peuvent saper la confiance en soi. Travailler leur réseau professionnel, dans un cadre institué comme informel. C’est parfois autour de la bière de fin de journée que se passent les meilleurs tuyaux sur les postes qui vont se libérer".

"Et si elles se mettent en couple, qu’elles choisissent bien leur conjoint !" glisse aussi Céleste. Un conseil pas si farfelu, souligne Isabelle Attard, puisque la gestion du couple, puis de la famille, peuvent constituer des obstacles à la progression dans l’entreprise si c’est la femme qui gère tout. Et alors, peut-être les femmes pourront briser le plafond de verre.

Pour aller plus loin : 

1.  "Chronique du travail. 8". L’égalité dans l’entreprise, IRT, 2018.

"Comment je suis devenue anarchiste", Isabelle Attard, Editions Seuil, 2019.

“Féminisme washing”, Léa Lejeune, Editions du Seuil, Paris, 2021.

Relire tous les épisodes de la série Plafond de verre

Écrite par Sandrine Chesnel, illustrée par Hai Ly.

Épisode 1 : "Plafond de verre : sommet des inégalités entre femmes et hommes en entreprises"

Épisode 2 : “Des jeunes générations trop optimistes ?”

Épisode 3 : "Quand l’enfant parait, la carrière patine"

Épisode 4 : "Quotas de femmes en entreprise, solution miracle ou piège ?"

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