Les loisirs favorisent-ils le surpoids ? D’un côté, travailler plus longtemps limite le temps que nous pourrions consacrer à faire du sport et à préparer des repas équilibrés. De longues heures de travail favorisent le stress, souvent compensé par une consommation plus élevée de graisses et de sucres.
Plus de loisir serait donc bon pour la santé. Mais d’un autre côté, un surcroît de temps libre peut aussi se traduire par plus d’heures à grignoter des chips devant la télévision. A priori, les effets des loisirs sur le tour de taille sont donc ambigus.
Une étude menée par deux économistes spécialistes des questions de santé au travail lève en grande partie cette ambiguïté. Elle exploite une singularité dans la mise en œuvre des 35 heures, au 1er janvier 2000, dans les entreprises de plus de 20 salariés.
Cette réforme n’était pas forcément synonyme d’un passage de 39 heures à 35 heures de travail hebdomadaire, elle devait simplement se concrétiser par 184 heures de travail en moins sur l’année, réparties selon des règles peu contraignantes.
À lire aussi > LDLC : pourquoi l'entreprise de e-commerce a fait le choix des 32 heures
Mais une région, l’Alsace-Moselle (aujourd’hui intégrée dans le Grand Est) a fait exception. La saint Étienne et le Vendredi saint y sont des jours fériés, contrairement au reste de l’Hexagone, et il fut décidé que ces deux jours faisaient d’ores et déjà partie de la réduction du temps de travail annuel. Ainsi, ce dernier ne diminua en Alsace-Moselle que de 168 heures contre 184 heures dans le reste de la France.
Ce n’est qu’à partir de 2003 que cette disposition particulière fut supprimée et que la réduction annuelle de 184 heures dut s’appliquer aussi en Alsace-Lorraine, malgré ses deux jours fériés supplémentaires.
Et les cols blancs ?
Pendant trois ans (2000-2001-2002), la hausse du temps de loisir fut donc moindre en Alsace-Lorraine que dans le reste de la France.
L’étude utilise cette différence pour mesurer l’effet des loisirs sur le poids des salariés. Pour cela, elle s’appuie sur une enquête de l’Inserm contenant un grand nombre de données de santé des employés d’EDF-GDF entre 1997 et 2006.
EDF-GDF présente l’avantage d’être une très grande entreprise, implantée de manière homogène dans toute la France. En moyenne, ses employés sont donc « les mêmes », qu’ils travaillent en Alsace-Moselle ou dans le reste de la France. Il suffit alors de comparer l’évolution du poids des employés entre ces deux entités géographiques pour savoir si le loisir supplémentaire dont a bénéficié le reste de la France a eu une influence sur le poids de ceux qui y résidaient.
La réponse s’avère différente selon qu’il s’agit de « cols bleus », dont les tâches sont principalement manuelles, ou de « cols blancs », dont les tâches sont principalement intellectuelles.

L'IMC s’obtient en divisant le poids (en kg) par la taille (en mètre) au carré.
La figure 1 reproduit l’évolution de l’Indice de masse corporelle (IMC), parmi les cols bleus, sur la période 1997-2006. Il apparaît que l’écart entre le niveau de cet indice en Alsace-Moselle et le reste de la France reste à peu près constant jusqu’en 2000, commence à diverger modérément en 2001 et s’accroît notablement à partir de 2002. Les trois années de loisirs supplémentaires ont donc vraisemblablement modifié les comportements des cols bleus et, à partir de 2002, les effets sur leur poids deviennent visibles.
Le temps de sport
La figure 2 réalise le même exercice pour les cols blancs. On constate encore que l’écart d’IMC reste constant avant 2000, mais contrairement aux cols bleus, l’IMC tend globalement à décroître à partir de 2002, aussi bien en Alsace-Moselle que dans le reste de la France. Pour les cols blancs, l’écart d’IMC n’a donc pas été véritablement affecté par le différentiel de loisirs supplémentaires dont a bénéficié le reste de la France.
Ces observations graphiques sont précisées par une analyse économétrique rigoureuse. Les auteurs estiment ainsi qu’une baisse de 10 % du temps de travail induit une hausse de 9 % des personnes en surpoids (IMC supérieur à 25) parmi les cols bleus, mais n’a aucun effet statistiquement significatif parmi les cols blancs.
Les cols bleus ne compensent donc pas complètement l’activité physique liée à leur travail par de l’activité physique de loisir, ce qui a tendance à faire grimper le surpoids dans cette catégorie de la population. Ce n’est pas le cas pour les cols blancs, pour qui plus de loisirs signifie aussi plus de sport, pour la majorité d’entre eux.
Note de la rédaction : Électricité de France (EDF) et Gaz de France (GDF) deviennent deux entreprises distinctes à partir de 2007.