« Un, deux, trois… On lève les bras, on s’étire. » Chaque matin chez Adoc International, une société d’informatique installée dans la banlieue de Tokyo, les salariés s’échauffent avant de se mettre au travail. C’est le rajio taisô, une pratique quasi centenaire omniprésente au Japon et créée à l’origine par une compagnie d’assurances américaine, qui diffusait sur les ondes nipponnes un cours de gymnastique. Toyota, le constructeur automobile, a sa propre version.
Chez Sony, la séance de stretching collectif est à 15 heures et facultative. À 8 000 kilomètres de là, en Suède, en revanche, chez la marque de vêtements Björn Borg, les employés ne peuvent couper à la pause sportive du vendredi. « Si on ne veut pas faire de sport, on s’en va », tonne sans ciller Henrik Bunge, le directeur général, 48 ans et silhouette de lutteur bulgare.
À lire Pourquoi la pratique sportive fait du bien à l'économie
Recette anti-absentéisme
Derrière cette tyrannie hygiéniste, « il y a l’idée que si on fait du sport et qu’on prend soin de son corps, on est une bonne personne », explique Carl Cederström, chercheur en économie à l’université de Stockholm et auteur du Syndrome du bien-être1.
« Un, deux, trois… On lève les bras, on s’étire. » Chaque matin chez Adoc International, une société d’informatique installée dans la banlieue de Tokyo, les salariés s’échauffent avant de se mettre au travail. C’est le rajio taisô, une pratique quasi centenaire omniprésente au Japon et créée à l’origine par une compagnie d’assurances américaine, qui diffusait sur les ondes nipponnes un cours de gymnastique. Toyota, le constructeur automobile, a sa propre version.
Chez Sony, la séance de stretching collectif est à 15 heures et facultative. À 8 000 kilomètres de là, en Suède, en revanche, chez la marque de vêtements Björn Borg, les employés ne peuvent couper à la pause sportive du vendredi. « Si on ne veut pas faire de sport, on s’en va », tonne sans ciller Henrik Bunge, le directeur général, 48 ans et silhouette de lutteur bulgare.
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Recette anti-absentéisme
Derrière cette tyrannie hygiéniste, « il y a l’idée que si on fait du sport et qu’on prend soin de son corps, on est une bonne personne », explique Carl Cederström, chercheur en économie à l’université de Stockholm et auteur du Syndrome du bien-être1.
Le sport remplit toutes les missions assignées au management.
Damien Richard,enseignant-chercheur en management et santé au travail.
On est aussi un bon employé qui se donne corps et âme à son entreprise. Selon une étude de l’université de Stockholm2, la pratique d’une activité physique au travail renforce la cohésion, fait reculer de 22 % le taux d’absentéisme et augmente la productivité de 10 %.
Autrement dit, « le sport remplit toutes les missions assignées au management », explique Damien Richard, enseignant-chercheur en management et santé au travail à l’Inseec Business School.
Un confinement pesant
Des kilos en trop et un moral à zéro. Les confinements, la fermeture des salles de gym et des piscines n’ont pas fait du bien à nos silhouettes. Selon une étude de Santé publique France, 57 % des Français ont grossi en moyenne de 2,5 kg pendant le premier confinement.
Quant au moral, il a aussi pâti, entre autres, de ce nouveau mode de vie sédentaire. Selon le dernier baromètre du cabinet Empreinte Humaine, en mai dernier, 44 % des salariés étaient en détresse psychologique et 36 % souffraient de dépression.
En France, cela marcherait encore mieux qu’en Suède à en croire les chiffres d’une étude réalisée en 2015 par le cabinet Goodwill Management et commandée par le Comité national olympique et sportif français, le Medef et AG2R La Mondiale. Le sport en entreprise dope de 6 % à 9 % la productivité par salarié, réduit l’absentéisme de 30 % à 40 %, et améliore la rentabilité de l’entreprise jusqu’à 14 %.
« Je ne renie pas les bienfaits du sport. J’appelle néanmoins à la prudence. Les commanditaires de l’étude trouvent un commun intérêt à vanter les vertus du sport en entreprise », prévient Béatrice Barbusse, ancienne handballeuse professionnelle, sociologue du sport et maître de conférences à l’université Paris-Est-Créteil.
Les entreprises spécialisées dans le sport s’appuient sur ce discours pour s’ouvrir un nouveau marché. Avec un certain succès d’ailleurs, surtout depuis le début de la pandémie, qui a mis le thème de la santé sur le devant de la scène, et le sujet de la cohésion d’équipe au cœur des préoccupations managériales et RH.
Ainsi l’offre « Vitalité en entreprise » d’ASM Omnisports, créée en 2015 et aménageant des salles de gym dans les entreprises, a suscité depuis le début de l’année l’intérêt de 10 nouvelles sociétés. Kiplin, TrainMe et AirFit, des plateformes permettant aux employés de se dépenser, connaissent aussi un gros succès depuis 18 mois.
Pas si motivant
Pour les entreprises clientes aussi, le sport est un bon investissement. « L’employeur montre qu’il se soucie du bien-être de ses employés, c’est bon pour son image », observe Damien Richard de l’Inseec Business School.
Dans la réalité, peu de salariés souscrivent aux activités physiques proposées par l’employeur et beaucoup abandonnent en cours de route.
Françoise Roudier,directrice générale de l’ESC Clermont.
Bien sûr l’activité sportive « s’attaque aux conséquences de l’usure au travail plutôt qu’à sa racine : l’organisation du travail », ajoute la sociologue Béatrice Barbusse. « Ce qui provoque les troubles musculosquelettiques chez les caissières, ce sont les cadences et le caractère répétitif des tâches », abonde Damien Richard. En outre, pour que le sport ait un effet, il faut qu’il soit pratiqué dans la durée.
« Dans la réalité, peu de salariés souscrivent aux activités physiques proposées par l’employeur et beaucoup abandonnent en cours de route », nuance à son tour Françoise Roudier, directrice générale de l’ESC Clermont.
Pas sûr dès lors qu’en abonnant ses employés à la salle de gym ou en équipant l’entreprise en machines de musculation un employeur dope automatiquement la performance de sa boîte, comme le laissent croire les études. « Est-ce d’ailleurs le rôle de l’entreprise de mettre ses employés au sport ? Je retire beaucoup de bienfaits du sport. Mais je le fais pour moi. Si cela devait devenir une injonction de mon employeur, j’y perdrais sans doute en plaisir », confie l’ex-handballeuse Béatrice Barbusse.
Notes
1. L’Échappée, 2016.
2. “Effects of Worksite Health Interventions Involving Reduced Work Hours and Physical Exercise on Sickness Absence Costs”, Drs Ulrica von Thiele Schwarz et Henna Hasson, Journal of Occupational and Environmental Medicine, 2012
En 1870, un « palais social » pour édifier les ouvriers
Jean-Baptiste André Godin, un ouvrier de la campagne picarde, fonde et devient le patron, en 1846, de la fonderie Godin-Lemaire, à Guise. Il « passe pour un précurseur des œuvres sociales tant il accorde une importance particulière aux conditions de travail de ses ouvriers, mettant à leur disposition, chose inédite au milieu du XIXe siècle, une offre variée de services », relate Julien Pierre, maître de conférences à la faculté des sciences du sport de Strasbourg et auteur du Sport en entreprise (Economica, 2015).
En 1859, il fait construire des bâtiments comprenant des logements pour ses ouvriers, des restaurants, des magasins coopératifs. En 1870, il intègre dans ce « palais social » une piscine pour permettre aux ouvriers et à leurs enfants d’apprendre à nager.
D’autres industriels suivront son exemple, comme Peugeot, Renault ou encore les Agnelli, à Turin, à une époque où la direction d’une entreprise est teintée de paternaliste. « Le fabricant doit à ses ouvriers autre chose que le salaire. Il est de son devoir de s’occuper de leur condition physique et morale », déclare ainsi Jean Dolfus quand, en 1826, il récupère la direction de l’usine textile familiale à Mulhouse.
Avec ces œuvres, un capitaine d’industrie entendait attacher ses employés à l’entreprise où ils allaient travailler toute leur vie, accroître leur productivité et aussi les discipliner. « À l’époque, les ouvriers étaient payés en fin semaine. Il n’était pas rare qu’ils dépensent une partie de leur paie au bistrot. Pas très frais le lundi, ils ne venaient pas au travail ou pouvaient s’y blesser », explique Béatrice Barbusse, sociologue du sport.
Créer des clubs sportifs, construire des stades ou des piscines était ainsi aussi un moyen de contrôler le temps passé hors de l’usine et de les orienter vers des activités jugées plus saines et moins nuisibles à la productivité de l’entreprise.