Jean-Luc Mélenchon aime innover en campagne. Après un jeu vidéo sur la fiscalité et des hologrammes pour se dédoubler un peu partout en France, en 2017, le candidat Insoumis a choisi en janvier 2022 de donner un meeting olfactif. Une première.
L’innovation a un coût. Pour cette réunion publique à Nantes devant 3 000 personnes, la campagne a déboursé 300 000 euros, « soit 100 000 euros de plus qu’un meeting traditionnel », a détaillé son directeur de campagne Manuel Bompard à BFM-TV. Ce n’est pas rien : on l’a vu dans notre premier épisode, les meetings constituent la part la plus élevée des dépenses des candidats : plus de 30 % en moyenne en 2017. Lors de la dernière présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron ont dépensé aux alentours de 6 millions d’euros chacun, rien que dans les réunions publiques.
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Pour les petits candidats, les montants consacrés à ces évènements restent généralement modestes - 15 000 euros pour une réunion publique devant un millier de personnes. La moyenne se situe, elle, entre 200 000 et 300 000 euros pour accueillir autour de 5 000 personnes. Et les dépenses pour organiser les plus gros évènements, devant plus de 10 000 personnes, peuvent s’envoler et dépasser le million d’euros.
Désormais célèbre pour sa démesure - et les ennuis judiciaires qu’il a engendrés - le meeting de Villepinte de Nicolas Sarkozy en 2012, tenu devant au moins 40 000 personnes, a dépassé les 3,5 millions d’euros.
Produire à tout prix de belles images pour la télévision
Si la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 est d’une exceptionnelle ampleur, il n’est pas le seul à monter des évènements grandioses. Le meeting du Bourget, organisé par son rival socialiste et futur président François Hollande, a coûté presqu'un million d’euros pour accueillir 25 000 personnes.
S’ils sont si chers à organiser, c’est que ces évènements sont désormais pensés pour la télévision, avec un objectif clé : produire de bonnes images. Une production lourde (caméras, grues…), en témoignage le montant du budget « Son, lumière et images » du candidat socialiste.

Ces dépenses évènementielles pour répondre aux attentes des chaînes sont devenues la norme pour les campagnes les plus importantes. Même le recrutement des conseillers "meeting" du candidat évolue. « Les équipes de campagne embauchent de nouveaux profils : aux côtés des communicants, les réalisateurs, les conseillers artistiques ou autres spécialistes de l’habillage ont pour mission de fabriquer des 'images propres' pour les candidats et d’imposer ces images — et leurs règles — aux journalistes qui sont parqués dans des espaces de plus en plus contrôlés lors des meetings », décrypte la politologue Claire Sécail dans La revue des médias.
Depuis le début des années 2010, la cible marketing principale des meetings n’est plus tant le sympathisant présent dans la salle que le téléspectateur assis chez lui devant son écran. Une dizaine de milliers de personnes déjà convaincues sur place ou plus d’un million de téléspectateurs potentiels à conquérir : les calculs sont vite faits.
C’est ainsi que sont apparues de nouvelles formes de réunions publiques. Avec décor télégénique, comme au Trocadéro, avec la tour Eiffel en fond. Et les drapeaux bleu-blanc-rouge, massivement distribués aux militants à l’entrée des lieux,. Au placard les banderoles locales ou syndicales.
Les horaires de ces évènements épousent les évolutions cathodiques : dans les années 60-70 ils avaient lieu en soirée, puis ils ont basculé en fin d’après-midi pour être repris dans les 20 heures, avant de démarrer encore plus tôt pour être diffusés en direct sur les chaînes de télévision en continu.
Pour obtenir le plus de visibilité possible, dans la salle du meeting, les plateaux des chaînes d’information sont situés pour pouvoir accuellir l’entourage politique du candidat tout au long de la journée, dans le but d’élargir au maximum la visibilité de l’évènement et le faire vivre le plus longtemps possible. De quoi faire de ce rendez-vous un quasi-épisode de téléréalité.
« On programmait nos lancements de meeting pour être en direct sur les chaînes d’info. On leur fournissait les plateaux techniques. Les meetings étaient très regardés, les gens ont suivi ça comme le 'Loft… », expliquait Jérôme Lavrilleux, directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, dans une anecdote rapportée par L’Obs.
Un retour sur investissement difficile à mesurer
Face à de telles sommes se pose forcément la question du retour sur investissement de tels évènements. Il n’aura pas échappé au lecteur averti qu’en dépit des sommes gargantuesques investies en meeting, et largement supérieures à celles de son adversaire (au moins 20 millions d’euros pour Nicolas Sarkozy contre 9,4 millions d’euros pour François Hollande), le président sortant n’a pas été réélu.
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Car attention à ne pas surévaluer « l’effet meeting ». « Il n’existe pas à ce jour d’exemple de meeting qui aurait fondamentalement changé les choses dans une campagne, explique au Point Matthieu Gallard, sondeur chez Ipsos, Les meetings n’ont pas d’effet direct sur les électeurs parce qu’ils ne s’y intéressent pas sur le moment, ni de près ou de loin. Ils vont en entendre parler au JT le soir et dans divers médias le lendemain, mais ça n’a pas le même impact qu’un débat télévisé qui aura des conséquences réelles et mesurables sur le vote. »
Cela ne signifie pas pour autant que ces évènements sont inutiles. Ils impactent l'image que l'on se fait des candidats : « Certains meetings peuvent renforcer les candidats, les crédibiliser davantage, poursuit le directeur d’études d’opinion. Je pense, par exemple, à François Hollande au Bourget en 2012. Il a réussi à incarner le changement » : 44 % des Français estiment que "ce meeting a amélioré l'image du candidat ; 69 % des sympathisants PS, 66 % de ceux d’extrême gauche et 61 % des Verts ont reconnu que ce meeting a amélioré leur perception de Hollande », avait recensé l’institut de sondage BVA.
En 2017, le meeting « parce que c’est votre projet ! » d’Emmanuel Macron, porte de Versailles, va aussi tout changer pour le jeune candidat. Avec une date bien calculée (10 décembre) pour animer les conversations des Français à Noël, il va ancrer la candidature Macron, alors largement perçue comme virtuelle dans l’opinion. « S’il n’y avait eu que 3 000 personnes, c’était fini », confirmera ensuite aux Échos un proche du candidat. 15 000 sympathisants plus tard et une voix cassée, l’Élysée n’est plus seulement une lointaine illusion.
Autres atouts plus discrets, mais non négligeables : ces évènements permettent aussi aux candidats de recruter plus facilement des volontaires pour la suite de la campagne, d’élargir leur base d’e-mails en recueillant les données des personnes qui se déplacent, voire à lever des fonds, via des cagnottes à la sortie des meetings.
Sur la route de la présidence, les meetings sont donc des points d’étapes indispensables, mais qui ne viennent que concrétiser une excellente campagne par ailleurs. Pas un candidat n’est devenu président sans l’un de ces grands moments rituels. En revanche, ils ne garantissent rien. Nécessaires mais pas suffisants. Et à double tranchant. Au vu de la cruauté médiatique, certains regrettent sans doute d’avoir dépensé autant pour monter sur scène.
