En 2017, c’est dans les salons mondains des grands appartements parisiens que s’est joué le cœur de la stratégie de financement de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Celle-ci se fonde essentiellement sur le système de donations des invités qui n’hésitent pas à faire don de grosses sommes pour le projet de l’ex-ministre de l’Économie.
Pour comprendre la spécificité et les limites de cette méthode, il convient de comprendre les règles imposées par la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements publics (CNCCFP) à tous les candidats à l’élection présidentielle.
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Afin de financer leurs dépenses de campagne, en plus du financement public, les candidats disposent de quatre types de ressources privées : les ressources personnelles des candidats (qui peuvent contracter des prêts à la banque), les recettes issues d’opérations commerciales (comme la vente d’objets goodies ou de vêtements en lien avec la campagne), la contribution des partis ou groupement politique et les dons.
« Les dons font l’objet d’une réglementation très stricte de la CNCCFP, détaillée dans un mémento distribué à l’ensemble des candidats et à leur mandataire financier » précise Antoine Nougarède, mandataire financier de Jean Lassalle en 2017 et en 2022.
Versés au compte du mandataire financier de la campagne, les dons émanant de personnes morales de droit privé (entreprises, associations autres que les partis politiques) et de droit public (État, collectivités territoriales etc.) ainsi que de droit étranger sont totalement interdits.
Le montant desdits dons est également plafonné : 4 600 € maximum pour une seule personne physique et ce, durant toute la durée de la campagne présidentielle, 150 € par donateur en espèces.
Quant à la contribution des partis ou groupement politiques, il n’existe pas de plafond légal (même si ceux-ci sont eux-mêmes limités en termes de dons à 7 500 € par personne et par an). « Si ces règles sont scrupuleusement observées, et qu’il n’y a pas de fraude, elles sont assez égalitaires » poursuit Antoine Nougarède.
Macron, les dons de particuliers pour allumer la mèche
Ce sont sur ces règles que repose la campagne Blitzkrieg d’Emmanuel Macron entre 2016 et 2017. Le 6 avril 2016, à Amiens, le futur ex-ministre de l’Économie lance son mouvement En Marche et se lance à l’assaut de l’Élysée.
Le pari paraît hautement risqué : ne disposant guère de l’appui d’un parti politique traditionnel, il n’a pas accès au financement public dont bénéficient les autres candidats. Une solution s’impose donc : investir ses réseaux au cœur même du monde économique dont il est issu et recourir à l’appel aux dons.
Une stratégie qui s’est avérée gagnante : entre mars 2016, date de la création d’En Marche, et décembre 2017, le candidat a levé à hauteur de 15 994 076 € des près de 99 361 dons. Une prouesse pour un candidat « parti de rien ».
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Le plan de bataille mis en place par les équipes du futur président de la République porte un nom : le fundraising (levée de fonds).
Levée de fonds
Acte par lequel une entreprise se finance auprès d’investisseurs autres que des organismes de crédit. Dans le cadre des start-up par exemple les investisseurs apportent de l’argent à la société en contrepartie d’une prise de participation dans son capital social.
Les plus fortunés particulièrement sollicités
Celui-ci s’oriente directement vers les plus gros donateurs, autrement dit, ceux qui peuvent se permettre de rédiger un chèque à 4 600 € voire de 7 500 € pour le parti En Marche. Une manœuvre payante : sur la totalité des dons reçus par Emmanuel Macron, 48 % provenaient de dons de 4 500 € et plus.
En mai 2017, à quelques heures de la fin officielle et du début de la période de réserve électorale, des dizaines de milliers de mails de l’équipe du candidat fuitent et révèlent les dessous de cette course aux dons.
Pilotée par Christian Dargnat, l’ex-patron de la filiale de gestion d’actifs de la banque BNP Paribas, Emmanuel Miquel, alors « senior investment adviser » chez Ardian - une société française de capital-investissement - et désormais conseiller entreprise attractivité et export à l’Élysée et Cédric O, actuel secrétaire d’État chargé du numérique, la collecte de dons parvient en seulement vingt jours après le lancement d’En Marche en 2016 à encaisser la somme de 230 000 €.
Christian Dargnat écrivait dans l’un de ses mails le 10 septembre 201 « Quand on sait que les dépenses de campagne présidentielle sont limitées à 22 millions d’euros et que nous pourrions contracter un prêt bancaire (à hauteur de 9 millions) remboursé si le candidat dépasse le seuil des 5 % aux élections, il nous reste donc à 'trouver' 13 millions. Si l’on arrondit à 10 millions le budget à trouver, il faut donc obtenir des dons de 1 333 personnes à 7 500 euros chacune. »
En s’attardant sur la provenance de ces dons, une donnée est frappante : la surreprésentation parisienne. 15 000 parisiens ont ainsi donné la somme totale de 6,3 millions d’euros au futur président. Soit près de la moitié des dons perçus en tout.
Les arrondissements les plus généreux se concentrent essentiellement à l’ouest : le XVIe arrondissement (1 102 008 €), le VIIe arrondissement (1 035 264 €), le VIe arrondissement (703 268) et le VIIIe arrondissement (530 393 €). À titre de comparaison, les donateurs de la ville de Lille ont donné environ 32 000 € à Emmanuel Macron.
Ces dons ont également pu provenir de l’étranger et notamment du Royaume-Uni, qui a concentré 1 004 donateurs qui ont accordé à Emmanuel Macron la somme d’un million d’euros.
Parmi les premiers donataires, on retrouve plusieurs cadres et deux des plus hauts dirigeants de la banque Rothschild (où l’actuel président a travaillé avant d’être secrétaire adjoint de l’Élysée en 2012), des hauts cadres de banques d’investissement français etc. Les « dîners réussis » de Christian Dargnat parviennent à rapporter environ 150 000 € chacun.
Pour pouvoir jouir de plus de 4 600 € de dons, la recette a été simple : se servir de la structure du parti. Si les dons faits au candidat pour sa campagne présidentielle sont plafonnés à 4 600 € par personne, la somme maximale de dons pour le parti s’élève à 7 500 €. Ainsi, un même donateur a pu donner 4 600 € au candidat et dans le même temps, 7 500 € pour En Marche. C’est d’ailleurs ce qui a été fait, comme l’a révélé l’enquête de France Culture, réalisée en 2019.
En 2017, la stratégie macroniste est une innovation totale, mais ce ne fut guère le seul à solliciter les dons : François Fillon totalisait environ 7,7 millions de dons en plus des 4,9 millions de son association politique, Force Républicaine. Jean-Luc Mélenchon a lui aussi bénéficié des dons à hauteur de 2,8 millions d’euros, qui se sont ajoutés au potentiel financier des dons perçus par le Parti de gauche. Une somme toujours très en dessous de la récolte d’Emmanuel Macron.
Rien d’illégal
Le financement des campagnes électorales est un sujet sensible, puisque même si ce système de dons, bien qu’autorisé, laisse planer la menace du conflit d’intérêts entre le président et ses très généreux donateurs.
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« Quand on annonce qu’aujourd’hui la campagne d’Emmanuel Macron [de 2017] a été rendue possible grâce au financement des grands donateurs on oublie de dire que la plupart des dons ont été récupérés via le parti, et non via le candidat et qu’au plein cœur de la campagne, le candidat Macron a bien dû gérer des problèmes de trésoreries » rappelle l’auteur de l’ouvrage Le Grand Manipulateur : les réseaux secrets de Macron, Marc Endeweld. « Rien ne permet de dire, aujourd’hui, qu’il y a eu quelque chose en dehors de la légalité » ajoute-t-il à l’Obs.
D’ailleurs, si les grosses levées de fond d’En Marche sont impressionnantes, elles avaient aussi pour but d’encourager les plus petits donateurs, assurent les proches du président, et seuls 1,7 % des dons dépasseraient les 5 000 €. Dont acte. Toujours est-il que ceux-ci représentent 45 % de la recette globale sur la campagne de 2017 d’Emmanuel Macron.
« Si les règles sont observées, il n’y a pas d’abus » rassure Antoine Nougarède. « Emmanuel Macron avait tout à fait le droit d’organiser ces dîners et d’y percevoir des dons, du moment qu’ils ne dépassent pas la limite imposée ».