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Présidentielle 2022 : quelles règles s'imposent aux candidats pour le financement des campagnes ?
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Présidentielle 2022 : quelles règles s'imposent aux candidats pour le financement des campagnes ?
Financement public, contrôle des campagnes électorales, dons limités… Dans le dédale des règles de financement, Pour l'Éco fait le tour des grands principes et des limites posés par le système actuel.
Stéphanie Bascou
© DR
« Il y a eu l'engrenage irrésistible d'un train filant à toute vitesse. Les dépenses ont explosé ». Ainsi témoignait Jérôme Lavrilleux en 2014. Si l'ancien directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, a été condamné à trois ans de prison dont un avec sursis pour « abus de confiance » et « complicité de financement illégal de campagne électorale », c'est bien qu'il a contourné les règles existantes en matière de financement des campagnes électorales. Il n'est pas le seul. Outre Nicolas Sarkozy et lui, le tribunal a reconnu coupables 12 coprévenus dans cette affaire Bygmalion.
Mais quelles lois sont-ils soupçonnés d'avoir contourné ? Pour l'Éco a cherché à comprendre le système actuel de ressources et de dépenses des candidats à la Présidentielle. Un corset de règles difficile d’accès, si complexe que tous les candidats à l’élection suprême recoivent le même conseil : entourez-vous de toute urgence d’experts financiers déjà passés par une élection présidentielle. Et soyez intègre, pour éviter la case prison.
Lire l'épisode 1 > Combien ça coûte une campagne ?
Avant 1988, le Far West du financement
Il n'y a pas toujours eu de strict encadrement du financement des campagnes électorales. Pendant longtemps, il n’a même existé sous la Ve République aucune règle encadrant ces dernières. En théorie, les candidats à la Présidentielle devaient compter sur la générosité de leurs militants pour payer leurs meetings, leurs déplacements et leurs collaborateurs. Mais en pratique, ils se tournaient la plupart du temps vers le secteur privé. Cette époque a été marquée par plusieurs scandales retentissants autour du financement des partis politiques, se remémore le professeur de droit public Bruno Daugeron.
Symbole de cette période, l’affaire Urba, qui éclate à la fin des années 80. On découvre que pour financer les campagnes électorales du parti socialiste, de faux bureaux d’études collectent de l’argent auprès d’entreprises, par le biais de fausses factures. Pour la première fois est mis sur le devant de la scène le financement occulte des partis qui touche, en fait, tout le spectre de la vie politique française.
La mise en place de garde-fous
En réaction, le législateur édicte trois premières lois (en 1988, 1990 et 1995) qui modifient complètement le système antérieur. Plusieurs garde-fous sont mis en place, censés éloigner définitivement les financements illicites.
- La mise en place d’un mandataire financier obligatoire
Le mandataire financier devient obligatoire. Afin que les hommes et femmes politiques ne puissent plus manipuler directement de l’argent, il est le seul habilité à recueillir les dons, à tenir un compte de campagne, avec une liste précise des ressources et des dépenses imputables à la campagne électorale.
- Le contrôle de la Commission
Pour rendre le candidat et son parti redevables devant leurs électeurs et devant le contribuable, le compte de campagne doit être certifié par un expert comptable, et envoyé à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) afin d’être contrôlé.
La CNCCFP va approuver le compte de campagne et, en cas de non-respect de certaines règles, le réformer ou le rejeter. Or « la décision de rejet peut être très grave pour le candidat qui ne pourra pas bénéficier du financement public via le remboursement forfaitaire de l’Etat d’une partie de ses dépenses », détaille Bruno Daugeron, directeur du centre de recherche en droit public Maurice Hauriou. Il risque également « une sanction d’inéligibilité d’un an, qui n’est pas obligatoire, et qui dépend de tout un tas de règles du code électoral », ajoute le professeur.
- Le plafonnement des dépenses
Troisième garde-fou : le législateur s’attaque à l’ampleur des dépenses des candidats. Afin de garantir un accès équitable aux cercles du pouvoir, ces derniers ne peuvent désormais plus dépenser autant qu’ils le souhaitent. Ils doivent respecter un plafond de dépenses. De 16,851 millions d’euros pour les candidats présents au premier tour, il monte à 22,509 millions d’euros pour chacun des deux candidats présents au second tour.
Afin de ne pas fausser le jeu électoral, certaines dépenses sont strictement interdites plusieurs mois avant la date du scrutin. A compter par exemple du 1er octobre dernier pour l’élection de 2022, le candidat ne peut pas utiliser à des fins de propagande électorale tout procédé de publicité commerciale par voie de presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle.
- La prise en charge d’une partie des frais de campagne par l’Etat
Quatrième garde-fou : le financement public des élections, en contrepartie du respect de l’ensemble de ces règles du jeu, selon lequel le candidat pourra se faire rembourser une partie de ses dépenses de campagne par l’Etat.
Le remboursement auquel chaque candidat peut prétendre dépend de ses résultats lors de l’élection présidentielle.
S’il a recueilli au moins 5 % des suffrages exprimés au premier tour, le candidat se verra remboursé de ses dépenses à hauteur de 47,5% du montant du plafond des dépenses du 1er tour (soit environ 8 millions d’euros). Ce chiffre tombe à 800 423 euros (soit 4,75% du plafond) s’il n’atteint pas la barre des 5%.
Pour les deux finalistes présents au second tour, le remboursement est un peu plus conséquent, puisqu’il est à hauteur de 10,7 millions d'euros, correspondant à 47,5 % du montant du plafond des dépenses autorisées au second tour.
À côté de ces remboursements, l’Etat verse une avance forfaitaire de 200 000 euros dès qu’un candidat est sur la liste officielle des candidats. Il prend également en charge, indépendamment des résultats, les frais de la campagne officielle diffusée à la télévision, à la radio, ainsi que l’impression et l’apposition d’affiches sur les emplacements officiels.
- Un financement privé très encadré
Enfin, dernier garde-fou : le financement privé reste possible mais à des conditions très strictes. S’adresser à des entreprises est désormais interdit, mais les candidats peuvent recevoir des dons des personnes physiques pouvant aller jusqu'à 4 600 euros, en plus des dons aux partis politiques, possibles à hauteur de 7 500 euros par an et par personne. Les donateurs doivent être de nationalité française ou posséder une résidence en France.
Les candidats peuvent également souscrire des prêts auprès d’une banque européenne depuis la loi pour la confiance dans la vie politique de 2017, ou auprès d’un parti politique de droit français.
De plus en plus de règles mais les scandales continuent
Ce corpus de règles n’a pourtant pas sonné le glas des soupçons et des affaires de financement irrégulier (affaire Karachi en 1995, financement lybien en 2007, Bygmalion en 2012...).
Sur le papier, le système français est solide. En pratique, les contrôles effectués sur les comptes de campagne ne se font qu’a posteriori après l’élection présidentielle, avec une commission sans « moyens humains ni pouvoirs d’investigation suffisants pour appréhender l’ampleur des dérives potentielles », dénonce l’ONG Transparency France International.
Autre problème soulevé : la sanction du candidat élu qui n’aurait pas respecté les règles de financement de la campagne, en dépassant par exemple les plafonds autorisés. « Lorsque les comptes du candidat élu sont rejetés ou présentent des irrégularités, l’élection du Président élu n’est pas remise en cause », estime Transparency International France dans son rapport de 2019. « Si on regarde les précédents : à chaque fois qu’un compte de campagne a été rejeté, il s’agissait d’un candidat battu, comme pour Nicolas Sarkozy en 2012, et Bruno Mégret en 2002 », reconnaît Bruno Daugeron, pour qui la question de l'opportunité politique se pose.
Pour preuve : le témoignage de Jacques Robert, ancien membre du conseil constitutionnel, qui a validé les comptes de campagne de Jacques Chirac et Edouard Balladur en 1995. L’ancien sage raconte dans ses Mémoires que leurs deux comptes auraient dû être rejetés : celui de Chirac présentait des irrégularités, pendant que celui de Balladur comportait des dépassements de plafond de dépenses. Mais, raconte-t-il en 2011, Roland Dumas (le président du Conseil constitutionnel) avait estimé que « les Français ne comprendraient pas qu'on annule l'élection (présidentielle de 1995) pour une histoire de dépassements de crédits ». Les juges avaient fini par valider ces comptes.
« Cela pose des questions juridiques, parce que la Commission ne se prononce pas avant que le Président ne prête serment », analyse Bruno Daugeron. Or, « si elle découvre des choses pour un Chef d’Etat déjà en fonction, se posera la question de savoir s'il est possible de remettre en cause le fait que le Président soit éligible, puisqu'en tant que président de la République, il bénéficie de l’immunité présidentielle ».
Trop de réformes tuent la réforme
Pour autant, faut-il à nouveau une nouvelle loi qui viendrait réformer ce système ? A chaque nouvelle affaire, « le législateur est intervenu et a voté de nouvelles lois qui ont créé de plus en plus de contraintes pour les candidats, sans que cela ne fasse cesser les scandales, observe le spécialiste du droit électoral. La législation n’est pour l’instant pas capable de saisir les mouvements de financement plus profonds. Par exemple, on commence tout juste à parler des dîners organisés par le Président de la République quand il était ministre de l’Economie, effectués pour se constituer un réseau en vue de l’élection présidentielle. S’il n’était pas dans l’illégalité, ces dîners, pourtant, lui ont servi. Or cela, la législation est pour l’instant incapable de le saisir. Et je pense que ces dîners ont eu beaucoup plus de conséquences sur le résultat de l’élection présidentielle qu’un futur changement de plafond des dons ».
Les lois qui voulaient tant séparer le monde de l’argent du monde politique n’auraient-elles pas en partie … manqué leur cible ?
Comptes de campagne
Des fausses factures de Bygmalion à la dette abyssale du PS, Pour l'Éco épluche les dépenses des candidats, fait l'addition des votes et vous explique comment est financée une campagne électorale dans sa nouvelle série « comptes de campagne ».
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