Entreprise
Présidentielle 2022 : Sarkozy et l’Affaire Bygmalion, 10 ans plus tard, un scandale toujours possible ?
Sélection abonnésDepuis la révélation de l’Affaire, en 2014, les jeux d’écriture liant la société Bygmalion à Nicolas Sarkozy continuent d'interroger le système de financement des campagnes présidentielles. Derrière ce scandale, se cache pourtant un simple mécanisme de fausses factures.
Pierre Garrigues
© ©Elodie GREGOIRE/REA
La foudre s’abattait, pour la deuxième fois, sur la Ve République, jeudi 30 septembre 2021. Déjà en procédure d’appel pour échapper à une peine de trois ans de prison, dont un ferme, pour l’Affaire dite « des écoutes », Nicolas Sarkozy écope cette fois-ci d’un an ferme pour le financement illégal de sa campagne présidentielle – malheureuse – de 2012.
Jamais un ancien président de la République n’avait été condamné à de la prison ferme. Alors, doublement condamné ! C’est pourtant le triste record décroché par Nicolas Sarkozy. Il annonce derechef faire appel. Pour l’Éco vous conte l’Affaire, toujours en cours 10 ans après les faits, dans le quatrième épisode de la série Comptes de campagne.
Pour ne manquer aucun épisode, inscrivez-vous à la newsletter Comptes de campagne, tous les lundis matin dans votre boîte mail.
Je m’inscris à la newsletter !
L’Affaire « Bygmalion » est l’une des plus bruyantes casseroles que traîne à sa suite l’ancien président. Le tribunal l’a reconnu coupable d’avoir « poursuivi l’organisation de meetings » électoraux, même après avoir dépassé la limite légale de financements pour une campagne présidentielle.
La foudre s’abattait, pour la deuxième fois, sur la Ve République, jeudi 30 septembre 2021. Déjà en procédure d’appel pour échapper à une peine de trois ans de prison, dont un ferme, pour l’Affaire dite « des écoutes », Nicolas Sarkozy écope cette fois-ci d’un an ferme pour le financement illégal de sa campagne présidentielle – malheureuse – de 2012.
Jamais un ancien président de la République n’avait été condamné à de la prison ferme. Alors, doublement condamné ! C’est pourtant le triste record décroché par Nicolas Sarkozy. Il annonce derechef faire appel. Pour l’Éco vous conte l’Affaire, toujours en cours 10 ans après les faits, dans le quatrième épisode de la série Comptes de campagne.
Pour ne manquer aucun épisode, inscrivez-vous à la newsletter Comptes de campagne, tous les lundis matin dans votre boîte mail.
Je m’inscris à la newsletter !
L’Affaire « Bygmalion » est l’une des plus bruyantes casseroles que traîne à sa suite l’ancien président. Le tribunal l’a reconnu coupable d’avoir « poursuivi l’organisation de meetings » électoraux, même après avoir dépassé la limite légale de financements pour une campagne présidentielle.
Lire aussi > Comptes de campagne - épisode 2 : Financer une campagne présidentielle en étant réglo, est-ce possible ?
Pour masquer ces dépassements de frais, d’un montant estimé par la justice à 20,2 millions d’euros – plus du double de la somme autorisée (par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, voir plus bas) –, Nicolas Sarkozy aurait employé la société Bygmalion, une agence de communication fondée par deux amis du secrétaire général de l’UMP de l’époque, Jean-François Copé, pour rédiger de fausses factures de ses prestations auprès de l’UMP.
Du simple au sextuple
Non, l'affaire « Bygmalion » n’a rien de complexe. C’est un scandale politico-financier des plus simples : un opaque système de double comptabilité et quelques fausses factures.
Dans les comptes, devant chaque prestation, figuraient ainsi deux montants : le premier, réel, et le second, qui apparaissait sur les comptes de campagne, parfois six ou sept fois inférieur au premier chiffre. Il s’agissait donc de factures dites « de complaisance » : ces dernières, contrairement aux factures fictives, reflètent bien une activité économique, mais de manière irréaliste. Par exemple, une livraison de marchandises qui a bien eu lieu, mais pas auprès du destinataire indiqué sur la facture, ou bien dans des quantités différentes de marchandises. Ici, Bygmalion facturait, au-delà de leur valeur, des prestations bel et bien fournies.
Éco-mots
Facture de complaisance
Contrairement à la fausse facture, la facture de complaisance reflète bien une activité économique, mais de manière irréaliste.
Bygmalion n’avait pas à s’inquiéter : l’UMP comblait le manque à gagner en réglant des factures fictives, cette fois-ci, c'est-à-dire adossées à aucune prestation réelles, et qui n’étaient bien sûr pas intégrées aux comptes de campagne.
On est loin des méandres de l’Affaire Khadafi et de ses sulfureux intermédiaires. Pourtant, l’Affaire occupe les autorités judiciaires depuis près de 8 ans. Et remet en cause la probité du système français de contrôle des comptes de campagnes, pourtant robuste sur le papier.
La campagne présidentielle de 2012 du candidat de l’UMP Nicolas Sarkozy est caractérisée, selon le principal intéressé, par un manque de temps. « Ma campagne de 2012 ressemble comme une sœur à celle de 2007 », expliquera-t-il à la barre, en juin 2021. « En 2012, j’ai fait une campagne très dynamique, mais avec un mois et demi de moins. » Il nie avoir, à l’époque, jamais entendu parler d'un prestataire de services de l’UMP nommé Bygmalion.
42,8 millions d’euros
Dépenses de campagne du candidat Sarkozy en 2012.
Revenons en arrière, au mois de février 2012. Le président sortant est donné perdant face à son adversaire socialiste François Hollande, et décide de lancer une campagne éclair. Il enchaîne 44 discours en deux mois et demi, soit trois fois le nombre de meetings prévus au début de la campagne, selon les témoignages recueillis lors de l’instruction. L’organisation de ces meetings est laissée aux soins de la société Bygmalion, via sa filiale Event & Cie.
Lire aussi > Comptes de campagne - épisode 3 : Combien ça coûte un meeting ?
Or, les factures s’empilent rapidement. Le 16 février, un événement à Annecy coûte 250 000 euros, auxquels s’ajoutent 750 000 euros pour un discours à Marseille, une semaine plus tard. Début mars, des notes internes à la campagne alertent sur le risque de dépassement : en ne comptabilisant que 15 meetings, l’addition outrepasse déjà de plus de 640 000 euros le budget autorisé. Nicolas Sarkozy, semble-t-il, fait la sourde oreille : après une pause de quelques jours en raison de la tuerie perpétrée à Toulouse par le terroriste Mohammed Merah, il accélère au contraire le rythme.
Couvert par l’UMP
Les dépenses de campagne du candidat Sarkozy finissent par atteindre 42,8 millions d’euros. Alors, on met en place un jeu d’écritures, auquel consent Bastien Millot, président de Bygmalion, fidèle de Sarkozy et Copé.
Event & Cie sous-estime alors systématiquement les factures des meetings qu’elle organise. La plupart des documents prouvant ces faits ont été détruits, mais une clef USB remise à la Justice par l’un des dirigeants de Bygmalion contient un système de double comptabilité à la simplicité enfantine.
Le meeting du 19 février, à Marseille, aura par exemple « officiellement » coûté 100 100 euros environ, avec une prestation « vidéo » facturée à hauteur de 30 397 euros. En réalité, la vidéo a coûté 236 000 euros, et la facture réelle du meeting est supérieure à 770 000 euros. Les 660 000 euros de différence ont été pris en charge par l’UMP, loin du regard de la CNCCFP, dans le cadre d’autres factures fictives.
En fait, cette pratique semble avoir été chose courante dès 2010, année où la société Bygmalion se voit confier le budget communication de l’UMP et durant laquelle la gestion du site web de l’UMP lui aura rapporté plus de 638 000 euros – contre 3 000 euros, environ, en temps normal. En 2011, la lettre d’information, expédiée par l’intermédiaire de Bygmalion chaque mois aux députés UMP, a été facturée 172 415 euros.
Et, malgré tout, le stratagème ne suffit pas ! En pleine campagne, l’UMP s’aperçoit que la fraude, pourtant massive, ne parvient pas à couvrir le dépassement de la limite ; 3 millions de dépenses de campagne, cette fois sans rapport avec Bygmalion, sont alors simplement pris en charge par l’UMP. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) s’aperçoit du problème.
Éco-mots
Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)
Depuis 1990, cette autorité administrative indépendante se charge de contrôler les dépenses des candidats et candidates aux différentes élections. Ces dernières sont plafonnées selon un montant qui varie selon le type d’élection.
En 2012, dans le cadre de l’élection présidentielle, elle plafonne les dépenses à 16 851 000 euros pour les candidats arrivant au premier tour de la présidentielle et 22 509 000 pour ceux qui atteignent le second. L’objectif : garantir l’équité financière entre les candidats et candidates, pas toujours soutenus par un parti.
Émergent toutefois deux problèmes : d’une part, les comptes des partis ne sont pas autant scrutés que les comptes de campagne, alors même que les premiers financent souvent la majeure partie des seconds ; d’autre part, une fois validée, l’élection présidentielle est définitive, contrairement aux autres résultats de vote en France. Autrement dit, bien que ses pouvoirs aient été élargis suite à cette affaire, le contrôle a posteriori de la CNCCFP continue de peu inquiéter.
Seul véritable risque pour le candidat, dans le cas de la course à l’Élysée : ne pas se faire rembourser ses frais de campagne. Pour chaque prétendant ou prétendante à la présidence de la République, qui obtient au minimum 5 % des suffrages, l’État verse en effet 47,5 % du montant du plafond des dépenses du premier tour, soit environ huit millions d’euros. Si les comptes sont conformes.
Or la CNCCFP a rejeté les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy… estimant qu’il a dépassé la limite autorisée de « seulement » 466 118 € ! Le président sortant, défait, ne se verra pas rembourser ses frais de campagnes (plus de huit millions d’euros), et écope d’une amende de 363 615 €.
Ce sont finalement plusieurs enquêtes de journalistes (Le Point, le Canard Enchaîné, Enquête exclusive) qui révéleront la véritable ampleur l’affaire deux ans après la défaite du candidat de l’UMP. Celle-ci ne se dévoile réellement que bribe après bribe, et occupe, aujourd’hui encore, la magistrature : 13 des 14 personnes condamnées dans le dossier par le tribunal correctionnel ont fait appel en octobre 2021.
Trois questions à Jean-Philippe Vachia
Après avoir atteint la présidence de la quatrième chambre de la Cour des comptes, Jean-Philippe Vachia a été nommé en 2020 président de la CNCCFP. Il coordonnera pour la première fois cette année les 44 juristes et la vingtaine de rapporteurs pour l'analyse des comptes de campagne des candidats à l'élection présidentielle. Il est épaulé par trois conseillers ou conseillères d'État, trois autres issus de la Cour de cassation ainsi que trois magistrats ou magistrates de la Cour des comptes.
Pour l'Éco. Une nouvelle Affaire Bygmalion est-elle possible en 2022 ?
Jean-Philippe Vachia. Les conditions qui prévalaient en 2012 ne sont plus exactement les mêmes pour deux raisons. D'abord justement, il y a eu l'affaire Bygmalion. Maintenant que l'affaire a été jugée, au moins en première instance devant le Parlement de Paris, les partis politiques ne se risqueraient plus à de tels montages. Enfin, la loi a changé. Grâce à la loi organique de 2016, les candidats à la présidentielle doivent produire une navette avec tous les financements provenant d'un parti politique. Ça nous permet d’approfondir notre investigation, plus qu'on ne pouvait le faire auparavant.
Mais nous n'avons pas obtenu tout ce que nous souhaitions. Nous voudrions pouvoir intervenir en temps réel, pendant l'exercice même où ont lieu les dépenses, et non pas en N+1. Et surtout accéder aux détails du livre de comptes, pas uniquement aux états financiers de synthèse.
Intervenir en temps réel vous permettrait-il d’annuler une élection ?
En dehors de la présidentielle, quand on rejette ou quand le compte n'est pas déposé, nous saisissons ce que nous appelons le juge des élections – c'est tantôt le tribunal administratif, tantôt le Conseil d'État, tantôt le Conseil constitutionnel, tout dépend du type d'élection. L’institution peut prononcer l'inéligibilité du candidat concerné et décider de son invalidation, pour un député ou un maire par exemple. Elle peut le faire, mais n'en a pas l'obligation, et uniquement dans le cas de fautes graves et répétées. En revanche, c’est explicitement exclu pour la présidentielle.
Si, par exemple, en 2012, Nicolas Sarkozy avait été élu président de la République, la Commission aurait certainement pris la même décision sur son compte de campagne. Il aurait été rejeté. Et ça a déjà un effet redoutable. Le candidat perd son droit au remboursement de l'Etat. En 2012, par exemple, Nicolas Sarkozy a perdu 10 millions d'euros. Il a en plus été condamné à une amende de 363 615 euros, proportionnelle à la hauteur du dépassement que nous avons calculé.
Mais il n'y a jamais d’invalidation pour le président et je ne connais pas de système démocratique où une telle chose existe.
Pourquoi y a-t-il une différence entre un président et un député?
Dans l’organisation démocratique française, l’invalidation de l’élection d’un député n’altère pas les grands équilibres politiques. Prenons l'exemple du maire, dont l'élection peut-être invalidée. Par définition, le maire est tête de liste. Si ses comptes sont invalidés, il devient alors inéligible. Il ne peut plus être maire, mais sera alors remplacé par son suivant de liste. Ça ne change rien au choix politique effectué par les électeurs. Le député, lui, sera remplacé par son suppléant. Pour le président de la République, il faudrait recommencer les élections. Ce serait complètement déstabilisant. Néanmoins, pour un président de la République réélu dont le compte aurait été révoqué, je pense qu’il lui serait quand même très difficile de gouverner.
Propos recueillis par Cathy Dogon.
- Accueil
- Entreprise
- Stratégie
Présidentielle 2022 : Sarkozy et l’Affaire Bygmalion, 10 ans plus tard, un scandale toujours possible ?