« L’argent se tient au centre du jeu politique. » Pour affirmer cela, l’économiste Julia Cagé1 s’est appuyée sur les données des dépenses de campagne et les voix obtenues aux différentes élections législatives et aux municipales de 1993 à 2012. La corrélation qu’établit la professeure à Sciences Po est claire : « Plus un candidat dépense lors d’une campagne électorale, plus il est en mesure de louer de grandes salles, de faire venir ses supporters, de diffuser ses tracts et ses messages, de saturer les médias et les réseaux sociaux, plus il augmente sa probabilité de victoire. »
Cela joue notamment un rôle auprès des nombreux électeurs qui ne savent pas pour qui voter ou s’ils vont voter. « C’est sur ces électeurs indéterminés que les campagnes électorales concentrent leurs efforts - et leurs dépenses - car ce sont ces voix qu’elles peuvent espérer faire basculer », ajoute-t-elle.
Meetings, communication, déplacements… Comme on vous l’a raconté dans les précédents épisodes de notre série, « mener une campagne électorale nécessite des moyens humains, logistiques et financiers importants », résume Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au Cevipof, "On ne peut pas dire que l’argent fait toute l'élection, mais évidemment il y contribue. »
Lire aussi > Présidentielle 2022 : combien ça coûte un meeting ?
Le nerf de la guerre
Le problème, c’est que les candidats ont de plus en plus de mal à trouver cet argent. Exemple typique : contracter un prêt. C’est un passage presque obligé pour les aspirants à l’Élysée, à moins de s’appuyer sur une fortune personnelle. « La loi Confiance dans la vie politique de septembre 2017 a restreint considérablement les possibilités d’emprunt des candidats aux élections », reconnaît Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. « Ils ne peuvent emprunter qu’auprès d’un parti politique ou d’une banque, mais uniquement si celle-ci a son siège dans un État de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen. »
En parallèle, les banques sont devenues de plus en plus réticentes. « Beaucoup d’affaires ont défrayé la chronique. On a connu des crises car les banques prêtaient un peu n’importe comment », résume Jean-Raphaël Alventosa, médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, dans les colonnes du Progrès. « L’argent ne coule plus à flot, y compris pour les politiques. »
Les banques demandent aujourd’hui des garanties solides. Cela passe par le nombre de voix que le candidat peut récolter. Elles regardent les sondages et exigent parfois que l’emprunteur obtienne aux alentours de 7 à 8 % des intentions de vote à plusieurs reprises. En d’autres termes, les banques veulent s’assurer que les candidats atteindront bien la barre des 5 % des votes lors du scrutin, condition sine qua none pour bénéficier du remboursement, par l’État, de 47,5 % de leurs dépenses de campagne.
Lire aussi > Quelles règles s’imposent aux candidats pour le financement des campagnes ?
À cela s’ajoute l’image des candidats, qui pèse toujours plus pour les emprunts : condamnations ou affaires rendent les crédits plus difficiles à obtenir. Et « il faut reconnaître qu’il y a une sorte de prisme idéologique. Les formations politiques qui sont en odeur de sainteté pour les banques ont plus de facilité à obtenir des prêts que d’autres », résume Bruno Daugeron, professeur de droit public à l’Université de Paris-Descartes.
A contrario, certaines idées peuvent refroidir : « Aux élections européennes par exemple, si vous voulez faire campagne en disant que vous êtes contre l’Europe, mais que vous voulez un prêt de la part d’une banque qui travaille avec l’Europe, le banquier ne va pas scier la branche sur laquelle il travaille », donne en exemple Jean-Raphaël Alventosa.
Les partis politiques en soutien
Pour obtenir plus facilement des prêts, les candidats peuvent s’appuyer sur leur parti politique. Même si ces derniers sont endettés, ils représentent des garanties auprès des banques (patrimoine, contributions des élus locaux, cotisations des adhérents). Car « concrètement, si les candidats n’atteignent pas les 5 %, les partis politiques vont devoir sortir le carnet de chèques », résume Bruno Cautrès, qui imagine difficilement qu’un candidat fasse campagne sans affiliation à un parti.
« C’est pour ça, qu’en même temps, il y a toute une partie de l’iceberg que l’on ne voit pas : la course aux dons. On médiatise beaucoup la course aux 500 parrainages, mais les dons sont cruciaux dans les budgets des comptes de campagne », poursuit le politologue. Ceux-ci, encadrés mais pas publics, servent à financer en grande partie les candidats : pour Les Républicains, les dons privés représentaient en moyenne près de 22 % des ressources pour la période 2012-2016, a calculé Julia Cagé.
Autre exemple : Julien Madar, responsable des financements de la campagne d’Eric Zemmour cité par Mediapart, affirmait en janvier avoir reçu près de 6 millions d’euros de dons. « Un peu partout dans les démocraties d’Europe de l’Ouest, les partis de droite reçoivent chaque année beaucoup plus de dons, de la part d’individus comme d’entreprises, que les partis de gauche », poursuit l'économiste dans son ouvrage.

Aveu d’échec
Mais qu’arrive-t-il lorsque, malgré tout, les candidats ne parviennent pas à rassembler suffisamment d’argent ? Se retirent-ils de la course à l’Élysée ? « Ce n’est pas impossible qu’à un moment donné, ce paramètre entre en compte, nous répond Bruno Cautrès, avant d’évoquer la candidate Christiane Taubira qui a annoncé son retrait de la course à l’Élysée le 2 mars 2022. Même si ces candidats démissionnaires ne le diront jamais. Reconnaître cela serait un terrible aveu d’échec : ce serait dire qu’au fond, avant de se lancer dans l’aventure présidentielle, ils n’ont tout simplement pas fait leurs comptes. Quelqu’un qui entend diriger la France et qui n’arrive pas à monter un budget prévisionnel, cela ne fait pas sérieux. »
S’ils s’accrochent, les conséquences peuvent être douloureuses. En témoigne l’expérience de Philippe de Villiers. Candidat du parti souverainiste Mouvement pour la France lors de la présidentielle de 1995, il a un temps été crédité de 10 % d’intentions de votes dans les sondages, pour finalement obtenir… 4,74 % des voix le jour du scrutin. Après avoir sollicité des contributions financières via une campagne de publicité, « il a dû éponger par lui-même une partie du déficit laissé par sa campagne », relate Bruno Cautrès. Avec forcément des conséquences sur l’avenir d’un politique ou de son parti…
Lire aussi > Sarkozy et l’Affaire Bygmalion, 10 ans plus tard, un scandale toujours possible ?
Une campagne rentable pour les « petits candidat(e)s »
Alors que Valérie Pécresse affiche un score de 4,79 % des voix, Yannick Jador (EE-LV) 4,58 % et Anne Hidalgo (PS) 1,74 %, le politologue s’interroge pour le futur : « Les paramètres budgétaires et économiques vont peser. Le Parti socialiste et Europe Écologie les Verts, déjà dans de mauvaises situations financières, sortent exsangues de cette présidentielle, la question de fusionner les deux organisations se pose. » Il reconnaît malgré tout que cela ne serait pas simple : « Ces partis se heurtent aux problèmes que peuvent rencontrer deux entreprises qui se réunissent : postes en doublons, regroupements de services, ressources humaines… Tout ça est délicat. »
Quelques heures après les résultats du premier tour, Yannick Jadot et Valérie Pécresse ont déjà appelé les sympathisant(e)s à faire des dons. « La catastrophe politique aura des conséquences économiques », ajoute Pierre Bréchon, expert en sciences-politiques.
Finalement, c’est peut-être pour les petits partis politiques que les campagnes présidentielles peuvent être les plus rentables, à la condition d’avoir un budget serré bien sûr : « Les "petits candidats" ne dépensent que très peu d’argent, mènent une campagne de proximité, ne font pas de grands meetings et savent qu’ils ne vont pas gagner l’élection, détaille Bruno Cautrès. Et en même temps, le scrutin leur offre une visibilité sans commune mesure par rapport à leurs poids dans la vie démocratique. Qui connaîtrait Nathalie Arthaud ou Philippe Poutou sans la présidentielle ? Pour eux, dont l’objectif est surtout de montrer que leur courant politique existe, c’est un excellent investissement. »