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Principe de Peter. Les entreprises doivent-elles vraiment promouvoir leurs salariés ?
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Principe de Peter. Les entreprises doivent-elles vraiment promouvoir leurs salariés ?
Sélection abonnésLes entreprises pratiquent souvent la mobilité interne, c’est-à-dire la possibilité pour leurs salariés d’évoluer à un autre poste. Cette pratique, censée apporter motivation et plus grande efficacité, est pourtant loin d’être optimale, et peut parfois s’avérer complètement contreproductive.
Aude David
© Dall-E
L’essentiel
- La mobilité interne permet aux salariés d’évoluer socialement et professionnellement tout en restant dans la même entreprise
- Pour les entreprises, la gestion des carrières est un enjeu important, car cela permet de fidéliser les salariés et d’allouer les bonnes compétences aux bons postes
- Malgré tout, certains systèmes d’attribution des promotions sont contreproductifs et les salariés cherchent désormais d’autres formes de reconnaissance qu’une simple montée en grade et un autre équilibre de vie
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Pour obtenir une promotion ici, rien de plus simple : il suffit de participer au lancement public d’un service. Les ingénieurs informatiques l’ont bien compris : après un lancement, les meilleurs sont promus et quittent le service, en quête d’une nouvelle promotion. Résultat : une avalanche de nouveaux projets, pas tous pérennes. Cette entreprise, rien de moins que Google, est ainsi décrite par un ex-salarié sur Twitter.
L’essentiel
- La mobilité interne permet aux salariés d’évoluer socialement et professionnellement tout en restant dans la même entreprise
- Pour les entreprises, la gestion des carrières est un enjeu important, car cela permet de fidéliser les salariés et d’allouer les bonnes compétences aux bons postes
- Malgré tout, certains systèmes d’attribution des promotions sont contreproductifs et les salariés cherchent désormais d’autres formes de reconnaissance qu’une simple montée en grade et un autre équilibre de vie
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Pour obtenir une promotion ici, rien de plus simple : il suffit de participer au lancement public d’un service. Les ingénieurs informatiques l’ont bien compris : après un lancement, les meilleurs sont promus et quittent le service, en quête d’une nouvelle promotion. Résultat : une avalanche de nouveaux projets, pas tous pérennes. Cette entreprise, rien de moins que Google, est ainsi décrite par un ex-salarié sur Twitter.
Ce système encourage-t-il les salariés à agir dans l’intérêt de l’entreprise et des clients ? A moitié : il les pousse à innover mais ni à s’assurer que les services sont vraiment fonctionnels ou utiles, ni à réparer les erreurs ou maintenir un service.
Google insiders explain why Google launches many products and then abandons them.
Hint: It has to do with chasing promotions. 🤦♂️ pic.twitter.com/u9nwleGxHK— Peter Yang (@petergyang) October 3, 2022
Éco-mots
Mobilité interne
La mobilité interne consiste pour les salariés à évoluer au sein de leur entreprise à différents postes. C’est un cas particulier de mobilité professionnelle, une évolution du statut social professionnelle. La mobilité professionnelle est un cas particulier de la mobilité sociale, c’est-à-dire l’évolution du statut social d’une personne ou d’un groupe de personnes.
Les promotions, censées récompenser les meilleurs éléments, se heurtent à de nombreux écueils, notamment le risque de subjectivité. Pour être efficace, un cadre, nécessaire, doit être en accord avec la stratégie de l’entreprise et ses besoins. Mais aussi, dans l’idéal, avec les aspirations des salariés. Pour Stéphane Dehoche, dirigeant de la plateforme de marketing Imagino, « travailler dans la durée crée de la valeur ». Pour donner envie de rester, « il faut proposer du changement ». L’idéal pour lui sont « les profils pluridisciplinaires, qui assurent le quotidien et innovent ».
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La plateforme immobilière Promy indique dès l’arrivée du salarié les chemins possibles. Selon le fondateur, Romain Solenne, « faire grandir les talents dans l’entreprise était dans le cahier des charges dès le début : c’est plus simple, plus cohérent, parfois moins cher ».
Avec un accompagnement soutenu, plusieurs mois de formations et de mises en situation, un chef de chantier avec une fibre commerciale forte mais sans les connaissances requises est devenu directeur commercial et une alternante en marketing, directrice marketing. Même si « certains abandonnent en voyant la charge de travail, ce n’est pas grave ».
Éco-mots
Gestion des carrières
Stratégie de gestion des ressources humaines qui consiste à concevoir et mettre en œuvre des parcours de carrière pour les salariés. L’objectif principal est la fidélisation et la montée en compétence des salariés.
Nathalie Tessier, chercheuse en sciences de gestion à l’Esdes, remarque aussi qu’on « parle toujours de la carrière de cadre mais un ouvrier peut évoluer quand il est accompagné correctement. Ce n’est pas toujours le cas : un ouvrier qui devient chef d’équipe se retrouve parfois chef de ses anciens collègues… »
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Se heurter au principe de Peter
Pour Stéphane Dehoche, ce n’est pas si simple malgré des promotions réussies, tel un télémarketeur devenu directeur des ventes d’un secteur. Sa crainte est de se heurter au principe de Peter.
Éco-mots
Principe de Peter
Loi empirique en théorie des organisations qui affirme que « dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence », avec pour corollaire qu’« avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité », car un salarié compétent est promu à un niveau hiérarchique supérieur, jusqu’au moment où il se retrouve à un poste pour lequel il n’a plus les compétences et n’évolue plus.
Crainte confirmée par Romain Solenne qui cite des salariés promus parce que performants à leur ancien poste très différent du nouveau. Ainsi « un responsable de réseau devenu responsable commercial national sur ses seuls résultats commerciaux chiffrés mais sans les compétences et le charisme ».
Et Stéphane Dehoche d’expliquer : « La rétrogradation en France est difficile parce qu’une évolution s’accompagne souvent d’une hausse de salaire, qu’on ne peut pas diminuer ensuite. Pour remettre un manager à un poste individuel, il faut qu’il accepte. Quant aux postes qu’on ne peut pas tester avant, une période de transition avec des primes » peut limiter les risques. Gérer les promotions, c’est aussi savoir « dire non » si la personne n’a pas les compétences, mais lui suggérer « un autre poste où elle pourrait s’épanouir ».
Romain Solenne se souvient de précédentes expériences où des salariés performants quittent l’entreprise qui n’a pas su nourrir leurs aspirations d’évolution. Nathalie Tessier remarque que « souvent on oublie les personnes au travail moins spectaculaire, sans doute plus résilientes, à la performance plus durable ». Elle cite ainsi l’entreprise de systèmes d’aération Aldes qui a mis en place une grille pour détecter les compétences utilisées par exemple en associations, pouvant servir en entreprise.
Sur le réseau social professionnel LinkedIn, quand des employeurs vantent la loyauté et la fidélisation, nombre de salariés témoignent, amers, d’entreprises qui préfèrent recruter en externe pour des postes à responsabilité. Selon certains, la meilleure façon d’avoir des postes intéressants est donc de changer régulièrement d’entreprise, plutôt qu’essayer de valoriser sa loyauté.
Pour Stéphane Dehoche, « dans une entreprise en croissance, la promotion interne est facile, car des postes s’ouvrent presque tous les jours ». Alors que « dans les grandes entreprises, il est aussi important de faire savoir que de savoir faire. Si on est très bon sans le faire savoir, la progression sera plus lente. D’où une frustration des meilleurs qui peuvent partir ».
Attentes nouvelles et diversifiées
Nathalie Tessier observe que les « grands groupes ont des systèmes de gestion des carrières très formalisés ». De nombreux outils se sont développés, au côté de procédures légales obligatoires : entretiens annuels, professionnels, de carrière… « On se rend de plus en plus compte que ce qui importe ce ne sont pas seulement les compétences techniques mais aussi immatérielles, les soft skills ».
Quand certains salariés ne demandent qu’à rester à des postes où ils se sentent bien, Stéphane Dehoche joue sur « le salaire, le titre, on emmène vers l’excellence dans leur spécialité, ils deviennent des référents, cela participe à leur reconnaissance. Je ne force pas quelqu’un qui ne veut pas changer ». Chez Imagino, un poste de coach est parfois un intermédiaire avant du management.
La gestion des carrières doit intégrer de nouvelles attentes, intensifiées par la crise sanitaire, de salariés prêts à partir si une entreprise ne leur correspond pas. « Le contrat psychologique, les attentes implicites des employeurs et des employés, a évolué ». Selon la chercheuse en sciences de gestion à l’Esdes Patricia David, les employeurs doivent prendre en compte les carrières « kaléidoscopes », où les salariés attendent du sens, un élément « qui ressort de plus en plus », un équilibre vie pro/vie perso, aussi plus présent, et du challenge, la volonté de « se prouver des choses, évoluer ».
La chercheuse s’interroge sur le terme même de « promotion », initialement « passage d’un niveau hiérarchique à un autre, une approche mécanique. Or il y a de plus en plus une approche organique ». Les salariés veulent aussi « de la reconnaissance, être partie prenante de la progression de l’entreprise, et améliorer leur employabilité ».
Nathalie Tessier témoigne que « lors d’une mission en entreprise, mon contact était un technicien de 22 ans, que j’ai au début cru manager. Il est jeune et l’entreprise lui fait confiance, se repose sur ses soft skills. Elle lui permet de porter ce projet de A à Z et l’évalue sur la façon dont il le porte ».
Pour aller plus loin
La commutabilité comme compétence. Une analyse des mobilités internes par le contrat psychologique. Anne Janand, Rémi Jardat, dans Management & Avenir 2021/1 (N° 121)
Cereq, Bulletin de recherche emploi-formation n°374, 2019 : La formation en entreprise accompagne les promotions mais fait défaut aux plus fragiles
Cereq, bref n°337, juillet-août 2015 : La promotion interne fait de la résistance
L’individu ou l’organisation : qui gère réellement la carrière des cadres ? Françoise Dany, dans Revue Française de Gestion, 2002.
La gestion des carrières : populations et contextes. Françoise Dany, Laëtitia Pihel, Alain Roger. 2013, Vuibert.
Programmes de SES
Seconde. « Quelles relations entre le diplôme, l’emploi et le salaire ? »
Première : « Comment les entreprises sont-elles organisées et gouvernées ? »
Terminale : « Quelles mutations du travail et de l’emploi ? »