Chez Familienversicherung, une entreprise de technologie allemande, les candidats sont payés 500 euros rien que pour venir à un entretien d’embauche. Rester pendant les six mois de la période d’essai vous rapportera 5 000 euros. Ils sont fous, ces Allemands ? Alors, les Français et les Américains aussi.
En France, il suffit d’envoyer son CV au cabinet de recrutement parisien Lynks Partner pour participer à une loterie et espérer gagner 100 000 euros. Chez Goldman Sachs, la banque de Wall Street, on promet aux associés et aux directeurs généraux des vacances illimitées. Au sein de la branche australienne d’EY, tous les employés bénéficient chaque année d’un mois et demi à trois mois de « congés de vie » pour voyager ou simplement « couper » avec le travail.
Recrutements à tour de bras
Les entreprises sont prêtes à tout. Ici, on autorise le télétravail à plein temps. Ailleurs, on supprime la période d’essai. Bref, c’est la guerre… des talents, et les employeurs ne savent plus quoi inventer pour attirer les candidats. Il faut dire qu’ils recrutent à tour de bras.
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Au premier semestre 2022, 4,2 millions d’offres d’emploi ont été publiées sur le site français HelloWork, soit une augmentation de 104 % par rapport au premier semestre 2021. Le volume d’offres dépasse même celui d’avant le Covid. Le 17 juin dernier, il y avait près de 40 % d’offres d’emploi en plus sur Indeed que le 1er février 2020, date de référence sur le marché de l’emploi prépandémie.
La pénurie a changé de camp
En 2022, dans la très grande majorité des secteurs, le rapport de force s’est inversé : il y a plus d’offres que de candidats. Ces derniers s’en frottent les mains, quand les recruteurs s’arrachent les cheveux.
« Cette année, nous avons dû embaucher à l’étranger faute d’avoir eu des réponses en France. Il y a les candidats qui posent des lapins aux entretiens ou qui ne viennent pas leur premier jour de travail et qu’on n’arrive plus à joindre. D’autres qui, quelques jours avant de signer leur contrat, veulent tout renégocier : salaires, jours de télétravail, etc. », décrit Magali Causse, DRH de Logitrade, une PME montpelliéraine qui gère les achats pour des clients industriels.
Des attentes claires
Pourtant, même si le chômage est à son plus bas niveau depuis 2008 (7,3 % au premier trimestre 2022 selon l’Insee), le vivier des candidats reste important. « Beaucoup de personnes en poste expriment une envie de changement. Nous avons sondé, en mai dernier, 750 candidats, dont les deux tiers étaient déjà employés dans une entreprise* : 81 % souhaitent changer de poste entre ce printemps et la rentrée ; 62 % déclarent avoir accéléré au cours des six derniers mois leur recherche d’emploi ; 53 % se disent en recherche active. Et pourtant, ils cliquent moins sur les offres d’emploi et postulent peu » observe Laure Domingos, directrice marketing et communication de CCLD Media RH (conseil en communication RH) et de CCLD Talents (recrutements).
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Mais alors, que veulent les candidats ? Qu’est-ce qui les empêche de postuler ? Un projet qui ne donne pas envie, une rémunération en dessous du marché, des annonces mal rédigées et peu attractives, des difficultés à communiquer avec les recruteurs ou encore des délais trop long de recrutement, répondent les sondés.
Les entreprises doivent écouter
« C’est à la fois sportif, parfois rageant et en même temps très stimulant, car cela nous pousse à nous interroger sur notre façon de recruter », estime la DRH de Logitrade. Fini le temps où les candidats devaient s’adapter aux exigences de l’employeur, les entreprises doivent désormais écouter et répondre aux aspirations des candidats.
Au sein de la PME de Montpellier, Magali Causse, son équipe RH et les managers ont engagé un travail pour abandonner les vieux réflexes de recrutement. Cela a commencé par une redéfinition de leurs besoins. « Doit-on exiger au minimum un bac + 4 ou +5 pour exercer ce poste ? D’autant plus qu’il partira au bout de quelques mois car nous ne serons pas en mesure de nous aligner sur ses prétentions salariales. Est-il indispensable qu’il parle trois langues ? », se sont-ils ainsi demandé. Ils ont aussi interrogé leur manière d’évaluer les compétences d’un candidat.
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« Nous avons commencé un job dating par un match de basket entre managers, RH et candidats, sans savoir qui était qui, avant de nous retrouver ensuite en entretien. C’était très enrichissant, cela nous a permis d’avoir une autre approche du candidat que celle du CV », explique Magali Causse. Les employeurs ayant hier l’embarras du choix et souhaitant des recrues directement opérationnelles avaient tendance à sélectionner les candidats ayant occupé exactement le même poste dans le même secteur, mais chez une société concurrente.
Haro sur les annonces floues
Or « pour convaincre un candidat de quitter son job, il faut lui vendre un nouveau projet. Par exemple, je vais proposer à un contrôleur de gestion travaillant dans un cabinet de conseil un poste chez un gros client, ce qui offre une perspective de long terme », explique Claude Calmon, dirigeant de Calmon Partners Group (recrutement dans le secteur de la finance).
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Les expressions floues comme « super-ambiance de travail », « rémunérations attractives » ou « belles perspectives de carrière » sont également à bannir des offres d’emploi ou lors des entretiens d’embauche. « Il faut être précis. Les candidats attendent des preuves, ils veulent plus que jamais savoir où ils mettent les pieds », constate Laure Domingos, de CCLD.
Ils sont aussi moins patients et se soumettent de moins bonne grâce à ces longs processus de recrutement qui durent des mois au cours desquels ils étaient jaugés par toute la hiérarchie, même par des responsables avec qui ils ne seraient jamais amenés à travailler. Pour gagner la guerre des talents, l’entreprise doit se décider vite, faute de quoi le candidat ira se faire embaucher ailleurs.